Médiation : En constante progression

Les médiateurs sont officiellement chargés d’intervenir pour dénouer, à l’amiable, des conflits entre entreprises. Une démarche gratuite et confidentielle. Mag2Lyon a pu interviewer Pierre Pelouzet, le médiateur national mais aussi Roger Trussardi, qui coordonne ce dispositif de médiation en Auvergne-Rhône-Alpes. Ce qui permet de croiser une vision globale et une expérience de terrain. Par Lionel Favrot Dans quelles circonstances ce système de médiation a-t-il été lancé ? Pierre Pelouzet : L’idée vient du Lyonnais René Ricol nommé Médiateur du Crédit par Nicolas Sarkozy, alors président de la République, pour aider les entreprises françaises à surmonter la crise de 2008. L’objectif était de les aider à renégocier leurs prêts auprès des banques. Conscient qu’il y avait aussi énormément de conflits entre les entreprises, René Ricol a suggéré à Nicolas Sarkozy de créer un poste de Médiateur avec un champ d’intervention plus large dès 2010. Une première en Europe et sans doute au monde. La France n’a jamais été imitée ? L’Europe pourrait suggérer à d’autres pays européens de mettre en place un tel outil qui permet de renforcer la confiance entre les acteurs économiques. J’ai été nommé Médiateur des entreprises par le président de la République et je suis placé auprès du ministre de l’Economie. La confiance c’est la clé de votre mission ? L’économie est basée sur la confiance. Quand elle n’existe plus, c’est la loi du plus fort qui prend le dessus. Mais si on consacre son temps et son énergie à résoudre les conflits, on en manque pour développer les entreprises et donc notre économie. Le bilan de la Médiation me semble vraiment extraordinaire. On arrive à recréer du dialogue entre des personnes qui ne se parlent plus. Quels sont les conflits les plus fréquents ? Au départ, la médiation était centrée sur la sous-traitance industrielle. C’est effectivement une source de tensions fréquentes entre des artisans ou des PME et des entreprises beaucoup plus grandes qu’eux. On gère des factures non payées, des contrats interrompus en cours de route, des fins de chantiers qui se passent mal… En 2012, quand je suis arrivé, on a élargi à l’ensemble des secteurs économiques, notamment aux marchés publics entre entreprises et administrations. La médiation se développe-t-elle ? Elle est en progression constante. Quand je suis arrivé en 2012, on gérait une centaine de médiations par an. En 2019, on était déjà à une centaine par mois. L’année 2020 avec le Covid, a été complètement folle car la pandémie a exacerbé toutes les tensions entre les acteurs économiques. On est passé d’un peu plus d’un millier de saisies par an à près de 4500 saisies. Un flot de médiation assez colossal. Quels étaient les principaux problèmes pendant le Covid ? Les conflits entre les entreprises qui, étant fermées, n’avaient plus de recettes, et leurs bailleurs qui continuaient à exiger leurs loyers. Certains propriétaires avaient les moyens de faire un geste, d’autres se retrouvaient autant en difficulté que leurs locataires. Exemple : des anciens commerçants qui avaient vendu leurs fonds de commerce mais gardé les murs en patrimoine pour avoir des revenus de location. Les saisies sont-elle aujourd’hui en recul ? Oui, mais on est resté à un rythme élevé, très supérieur à l’avant crise. Entre 2000 et 2500 par an de 2021 à 2023. Comment vous expliquez qu’il n’y ait pas eu un reflux plus spectaculaire des saisies à la sortie de la pandémie ? Les difficultés économiques persistent et je pense aussi que beaucoup d’entreprises nous ont découverts pendant la crise et nous saisissent désormais plus facilement. Il faut aussi préciser qu’on atteint 70 % de réussite et que cela commence aussi à se savoir. Avez-vous constaté les mêmes évolutions en Auvergne-Rhône-Alpes ? Roger Trussardi : Oui, la progression se révèle aussi très sensible. Les entreprises de la région ont compris tout l’intérêt de tenter une médiation plutôt que de se lancer dans des contentieux coûteux et à l’issue incertaine. L’évolution est même incroyable. Les saisies ont de nouveau augmenté de 40 % entre 2022 et 2023. Il est parfois difficile de faire face à ce nombre de sollicitations. Qu’est-ce qui explique cette augmentation ? Les contrats d’énergie dont les prix flambent, représentent actuellement 15 % des sollicitations. On ne nous saisit pas parce que les prix augmentent, car tout le monde pourrait s’en plaindre mais parce qu’il y a un bug dans l’exécution du contrat, par exemple au moment du renouvellement. A force, on finit par tous les connaître : EDF, Total Energies, Engie, GazelEnergie, Ekwateur, Electricité de Grenoble… Globalement, il faut reconnaître qu’ils réagissent plutôt avec bienveillance mais tous ne sont pas assez structurés pour traiter des cas particuliers. Concrètement, comment on vous saisit ? C’est assez simple. Il suffit de remplir une demande sur notre site internet. En 10 minutes c’est fait. Je reçois toutes les demandes, je jette un coup d’œil et s’il est recevable, je confie le dossier à un des huit médiateurs. On a des fonctionnaires de la Direction régionale des entreprises de l’emploi et des solidarités (DREETS) mais aussi trois bénévoles retraités qui ont exercé de hautes responsabilités pendant leur carrière. Daniel Bourret, ancien président de tribunal de commerce du Puy-en-Velay, Béatrice de la Vergne, une énarque mais aussi Florent Jourdain, un ancien collègue de la concurrence et à la répression des fraudes. Quelles précautions prenez-vous au départ d’un dossier ? On s’assure de la volonté des parties de maintenir des relations commerciales après la médiation. Dialoguer grâce à la médiation permet de rétablir la confiance et notre objectif est que leurs entreprises puissent ensuite poursuivre ou reprendre leur partenariat. L’entreprise qui vous saisit, est forcément partante mais l’autre entreprise concernée a-t-elle davantage de réticences pour négocier ? La première étape c’est d’écouter la partie A qui nous saisit pour entendre tout le mal qu’elle pense de l’autre, la partie B. On essaye alors de s’imprégner du sujet. Ensuite, on doit identifier l’interlocuteur le plus adéquat dans l’autre entreprise. Nous présenter au téléphone, c’est sans doute la partie la plus délicate car on a peu de temps pour expliquer notre mission et rassurer notre interlocuteur sur la gratuité, la neutralité et la confidentialité de cette démarche pour sortir de cette impasse. Avez-vous des refus à cette étape ? C’est de plus en plus rare car la médiation commence à être connue. En revanche, on peut avoir des situations où l’une des parties préfère obtenir une décision de justice. Exemple : un élu qui perçoit qu’il devra payer un marché public plus cher que prévu. Cela peut être pour lui délicat politiquement de révéler, d’expliquer et de convaincre un conseil municipal qu’il doit accepter une rallonge. Si c’est la justice qui l’oblige, il n’y a plus de débat. Qu’est-ce qui provoque le plus souvent un conflit entre entreprises ? Le cahier des charges initial qui n’est pas toujours d’une précision absolue, ce qui donne lieu à des interprétations. Du coup, une hausse du prix des matières premières peut justifier une hausse des prix mais le client ne se sent pas tenu par le contrat. De façon pratico-pratique, ce qui est magique pour nous, médiateurs de terrain, c’est la mise en place de la charte de l’achat responsable. Toutes les entreprises signataires de cette charte désignent un correspondant interne, ce qui nous assure un contact immédiat et privilégié qui nous gagne un temps prodigieux pour tenter de régler les problèmes de manière amiable. Quand on prend contact avec Vinci, Eiffage ou Alstom par exemple, même si on appelle pour une PME auvergnate, on a une personne qui nous écoute. Pierre Pelouzet : Effectivement, après le curatif, on a assez vite essayé de faire du préventif afin de faire changer les comportements et de réduire les conflits. C’est pour cela qu’a été lancé en 2010 la Charte relations fournisseurs responsables pilotée par le Médiateur des entreprises et le Conseil National des Achats, l’association représentative du monde des acheteurs. Il s’agit d’une charte de bonnes pratiques signée par 2 500 entreprises. Ce qui représente 2 500 portes d’entrée pour les démarches de médiation. C’est un succès impressionnant qui nous a permis d’aller plus loin avec un label. En quoi le label est une avancée par rapport à la charte des achats responsables ? L’entreprise ou la structure publique qui demande ce label, accepte que sa démarche d’achat soit auditée par un tiers extérieur. Des grands cabinets type Afnor vont évaluer son respect d’un référentiel de bonnes pratiques. Ce label d’achats responsables constitue maintenant l’étape ultime de notre parcours. Des centaines d’acteurs publics l’ont obtenu et on veut pousser davantage d’entreprises à faire de même. Plus un acheteur est responsable moins on a besoin de médiation. Et c’est très bien ! On n’a pas vocation à s’occuper de tout. Les acheteurs et les fournisseurs sont toujours les mieux placés tant qu’ils arrivent à se parler. Quelques exemples de médiation ? Déontologiquement, on ne peut pas citer les noms des entreprises qui nous font confiance car la démarche est totalement confidentielle. Si la médiation échoue, les entreprises et leurs avocats reprennent leur liberté. Le cas le plus courant, c’est le grand groupe qui commande un certain nombre de pièces sur plusieurs années à un fournisseur qui consent des remises par rapport à ce volume de commandes qui, finalement, n’est pas atteint. Quand on intervient, on tente de trouver une solution qui évite de faire peser cette déconvenue sur le seul fournisseur. Les entreprises s’entendent pour une forme de dédommagement. Cela peut être la réévaluation du prix, la promesse d’un nouveau marché pour compenser le manque à gagner avec un prix plus favorable… Roger Trussardi : J’ai eu exactement ce cas de figure avec un fournisseur de Grenoble qui devait livrer des millions de pièces d’ici 2028 à un grand constructeur automobile. Le modèle de voiture concerné se vend beaucoup moins que prévu. Or, le fournisseur a investi 5 millions d’euros pour répondre à ce marché et il ne peut plus faire face à ses remboursements. Est-ce que le constructeur a été trop optimiste ? Est-ce que c’est un retournement du marché ? En tout cas, la commande n’est pas respectée et toutes les pistes de dédommagement sont étudiées. Comment intervenez-vous concernant les contrats d’énergie ? Le contrat est un contrat. Les fournisseurs d’énergie ne peuvent pas revenir dessus. En revanche, ils peuvent ré-examiner à la marge la répartition été- hiver, ré-échelonner la dette… Les cas les plus embêtants sont ceux qui proviennent des démarchages. Au cours du 2e semestre 2022, quand les prix ont flambé, des courtiers ont sillonné la France avec un discours commercial un peu agressif. Ils prédisaient aux entreprises la fin du monde si elles ne signaient pas tout de suite. A l’époque, personne ne pouvait les aider, ni les fournisseurs d’énergie ni les administrations… Ces courtiers ont parfois signé des niveaux de commande qu’ils ne pouvaient pas respecter. Vous vous intéressez au monde des start-ups ? Pierre Pelouzet : Oui, le monde de la tech’ nous saisit pour des sujets de propriété intellectuelle. Le scénario le plus fréquent, c’est que tout le monde s’entend pendant la phase de recherche. Tant qu’on n’a rien trouvé ! Mais quand le produit commence à rapporter de l’argent, cela peut se dégrader. Le plus gros des acteurs tente de capter plus ou moins l’essentiel des bénéfices. C’est pourquoi le ministre Jean-Noël Barrot m’a confié une mission pour créer un observatoire des relations entre les grands groupes et les start-up. On vient de publier un premier rapport. Que pouvez-vous apporter à ce monde des nouvelles technologies ? La confidentialité de la médiation peut permettre de libérer la parole. Je me souviens de deux entreprises qui se disputaient la paternité d’un brevet. Porte fermée, l’un d’eux a reconnu qu’il utilisait un brevet qui ne lui appartenait pas mais qu’il ne le reconnaitrait jamais devant un tribunal. Ils ont trouvé un terrain d’entente qui leur a évité des années de procédure et des milliers d’euros de frais d’avocat. Tous les profils d’entrepreneurs sont ouverts à la médiation où il y a des différences selon l’âge, les régions, la formation… ? C’est très paradoxal. On aborde un sujet très juridique, basé sur des contrats, mais au final les réactions relèvent des réactions individuelles. On a face à nous deux fortes personnalités qu’on doit faire passer du double monologue au dialogue. Globalement, la culture française pousse davantage à la confrontation. Chacun veut démontrer que l’autre est un salaud. Nos interventions et nos outils sont là pour sortir de cette logique. Faudrait-il parler davantage de la médiation dans la formation des managers ? La sensibilisation des écoles pourrait être une piste. Apprendre à se parler et à s’écouter plutôt que jouer la chaise vide. Les chambres consulaires doivent aussi jouer un rôle. Sans oublier l’Etat. Quand on trouve une issue par la médiation, cela lui évite de mobiliser ses services de la concurrence et de la répression des fraudes qui sont déjà bien occupés et qui peuvent avoir des difficultés à aborder certains conflits très complexes. Que faites-vous quand des entreprises vous saisissent à tort ? S’il s’agit d’un problème de prêt avec une banque, on va les orienter sur le médiateur du crédit. Par exemple pour les problèmes actuels de PGE. Il y a aussi d’autres médiateurs spécialisés, notamment pour l’URSSAF par exemple. Ce qu’on peut conseiller aux entrepreneurs, c’est d’aller sur le site du Club des médiateurs qui est une bonne porte d’entrée. L’objectif c’est de laisser personne sans réponse. De quels effectifs disposez-vous pour faire face à cette hausse des saisies ? En central, j’ai 25 personnes en central pour répartir les flux et suivre les questions juridiques mais j’ai aussi toute une équipe consacrée au parcours national de l’achat responsable. En effet, je pense que le travail à mener se situe en amont des conflits si on veut maitriser cette hausse des saisies. Actuellement, on mène un travail de filière avec le monde du BTP, avec les producteurs d’acier et de bois, mais aussi les distributeurs de matériaux, les artisans, les promoteurs et les majors du BTP, les spécialistes du logement social pour gérer les énormes secousses qui impactent ce secteur. L’inflation, la hausse des taux d’intérêt, les difficultés de recrutement. Je crois beaucoup à ce travail de filière pour assurer une meilleure visibilité de l’avenir. Aujourd’hui, beaucoup d’entrepreneurs et d’avocats se préoccupent des exigences de la compliance qui consiste à s’assurer de l’application réelle des normes de plus en plus nombreuses en termes environnemental ou social. Ce sujet vous concerne ? C’est un sujet indirect pour nous mais très important. Effectivement, les entreprises doivent non seulement s’engager à respecter un certain nombre de normes mais aussi démontrer la réalité de cette application. Les exigences environnementales sociales vont cascader sur les fournisseurs qui assurent la fabrication et le transport pour de grands groupes. Ces derniers ne doivent pas se contenter de leur dire : débrouillez-vous sinon on vous élimine de notre panel fournisseurs ! Par exemple pour la décarbonation des processus industriels et des transports. Nous nous devons d’être vigilants pour nous nous assurer qu’ils les aident sinon ce sont les plus petits qui vont supporter ces normes pour le compte des gros, toute cette charge de la transition.

Sellig “Je ne suis pas à la mode”

Erevan pour entrer dans l’Histoire