La révolution des ultrasons

Cyril Lafon dirige le LabTAU. Ce laboratoire Inserm lyonnais, implanté près de l’hôpital Edouard Herriot et qui compte près de 70 personnes, est au cœur de toutes les recherches sur les ultrasons à visée thérapeutique (HIFU). Sa notoriété est même internationale. Les explications de Cyril Lafon. Par Maud Guillot. Depuis quand ces ultrasons existent-ils? Cyril Lafon: La recherche sur les ultrasons thérapeutiques existe depuis les années 80. On a commencé par utiliser des ondes de choc, qui sont aussi des ultrasons, pour casser des calculs rénaux grâce à un effet mécanique. Une collaboration est née entre le Pr Jean-Michel Dubernard à l’hôpital Edouard Herriot, Dominique Cathignol de ce laboratoire et la société EDAP TMS à Vaulx-en Velin. Depuis cette époque, Lyon est une place forte au niveau international, aux côtés de laboratoires américains. Comment ces recherches ont-elles évolué? Dans les années 90, on s’est intéressés à l’effet thermique des ultrasons, pour le traitement des cancers de la prostate. On brûle les lésions cancéreuses. Plus récemment, dans les années 2010, on les a utilisés pour faciliter la délivrance de drogues vers des sites inaccessibles comme le cerveau (voir Carthera). Les applications sont de plus en plus larges et diversifiées. Le Pr Gil Dubernard mène des essais très prometteurs à l’hôpital de la Croix-Rousse sur l’endométriose (lire interview). Quel est le rôle de votre laboratoire ? On conçoit les dispositifs, depuis les modèles numériques qui prédisent les effets, jusqu’à leur fabrication et le test sur l’animal. Puis on les fournit aux cliniciens pour les essais auprès des patients. Mais c’est quoi ces ultrasons? Ce sont des ondes mécaniques puisque ce sont des sons. On ne les entend pas car leur fréquence est bien au-delà de 20 kilohertz. En créant des vibrations, on fait bouger des particules et on crée des frottements. Du coup, ça chauffe ! Il y a aussi l’effet mécanique de la cavitation. Comme quand on ouvre une bouteille de Perrier et que les bulles sortent. Nous on crée des bulles qui oscillent et qui peuvent avoir un effet sur les tissus, pour perméabiliser des vaisseaux. Les médecins expliquent que ces ultrasons sont très précis, ce qui évite d’abîmer les tissus sains autour des parties malades à traiter... On peut effectivement focaliser ces ultrasons avec une sorte de coupole. Contrairement au rayon qui irradie tout sur son passage. L’avantage c’est donc qu’on peut réitérer le traitement sans problème, puisqu’il n’y a pas de toxicité ni d’effets secondaires. Quelles sont les applications sur lesquelles vous travaillez ? Avec des spécialistes de Saint-Etienne, on s’intéresse à l’ophtalmologie et plus précisément au traitement de la presbytie. Un pari et un marché énorme car tout le monde a des problèmes pour voir de près à partir à un certain âge. Sachant qu’on a déjà développé un dispositif pour le glaucome. C’est d’ailleurs la société de Rillieux-la-Pape EyeTechCare qui commercialise cette solution pour les glaucomes réfractaires. Avec Léon Bérard et la Croix-Rousse, on étudie aussi le cancer du sein pour proposer une nouvelle arme face aux tumeurs résistantes. Comment choisissez-vous vos cibles ? D’abord, techniquement, il faut que la cible soit solide. On ne pourra rien pour la leucémie par exemple. On est plus en difficulté sur les organes creux. L’air étant l’ennemi des ultrasons, on a du mal sur le poumon. Ensuite, si des techniques fonctionnent déjà très bien sur des pathologies, ça ne sert à rien de mener des recherches. Enfin, on répond à des demandes des médecins et cliniciens, comme sur l’endométriose. Comment expliquez-vous le développement des ultrasons thérapeutiques aujourd’hui ? Historiquement, on a utilisé les ultrasons pour l’imagerie, c’est- à-dire l’échographie. Au bout de quelques années, on a un peu fait le tour de la question. On a redécouvert l’intérêt des ultrasons à visée thérapeutique. Et on n’en est qu’au début. CARTHERA FACE AUX PATHOLOGIES CÉRÉBRALES La medtech lyonnaise Carthera développe des dispositifs médicaux pour traiter le glioblastome, cancer du cerveau très agressif, mais aussi Alzheimer ou Parkinson. Les explications de Frédéric Sottilini, Directeur Général. “L’entreprise qui est un spin-off de l’AP-HP et de Sorbonne Université a été créée en 2010 par Alexandre Carpentier, chef de service à la Pitié Salpêtrière. Il a travaillé avec le LabTau (voir interview), ce qui explique le développement de Carthera à Lyon. Ce grand neuro-chirurgien cherchait une solution pour améliorer la qualité et l’efficacité des traitements contre les tumeurs cérébrales, spécifiquement le glioblastome dont le pronostic est sombre. La chirurgie qui est la première approche n’est pas suffisante. Il y a très souvent des récur- rences qui amènent au décès car des cellules cancéreuses se disséminent quand même dans le cerveau sain. Or la barrière hémato-encéphalique qui protège le cerveau des agents pathogènes en empêchant les molécules de passer du sang au cerveau résiste aussi aux traitements. Les ultrasons permettent d’ouvrir cette barrière. Pour cela, on injecte des bulles microscopiques, on émet ensuite un faisceau d’ultrasons qui fait vibrer les bulles, pour appliquer une force sur la paroi des vaisseaux sanguins, ce qui détend les jonctions et permet un meilleur passage des drogues. Sans endommager les cellules en question. L’objectif n’est donc pas directement de soigner par les ultrasons comme dans d’autres types de cancers mais bien de permettre aux autres traitements d’être plus efficaces. Entre 2010 et 2014, nous avons testé notre dispositif en phase 1 pour évaluer les effets secondaires et établir les bons paramètres. De 2018 à 2022, nous avons traité des patients dans plusieurs centres en France et aux Etats-Unis. Nous avons constaté un meilleur contrôle de la tumeur avec une prolongation de la survie de 50 %. Des résultats très intéressants. On parle de quelques mois gagnés pour le malade mais c’est une victoire car on n’en est qu’au début, et on espère que ce sera bientôt des années: nos implants peuvent en effet être combinés avec différents types de molécules comme l’immunothérapie ou la thérapie génique. On s’apprête donc à lancer la phase 3 avec plus de 500 patients aux Etats-Unis et en Europe. Le savoir-faire de notre start-up est assez unique au monde. On a d’ailleurs levé 40 millions d’euros il y a quelques mois. Notre principe peut être appliqué à toutes les maladies sévères du cerveau, notamment dégéné- ratives. Si les traitements sont peu efficaces contre la maladie d’Alzheimer par exemple, c’est aussi parce qu’ils arrivent en petite quantité dans le tissu cérébral, toujours du fait de cette barrière hémato-encéphalique. On mène donc des études exploratoires. On a traité une dizaine de patients pour évaluer la charge des plaques amyloïdes, caractéristiques d’Alzheimer. On a constaté un ralentissement de leur développement. Le Pr Alexandre Carpentier réalise aussi des essais pré-cliniques sur la maladie de Parkinson ou la maladie de Charcot...” Endométriose Une avancée lyonnaise majeure Le Pr Gil Dubernard, chirurgien gynécologue à l’hôpital de la Croix-Rousse, mène des re- cherches pionnières au niveau mondial sur les HIFU contre l’endométriose, un trouble invalidant qui touche 10 % des femmes et même 30 à 50 % des femmes stériles! Quel est l’intérêt des ultrasons dans le traitement de l’endométriose ? Gil Dubernard : Pour lutter contre l’endométriose, il existe des médicaments qui visent à couper les règles, ce qui correspond à une pseudo-ménopause. Ils stoppent le développement de la maladie mais ils ne soignent pas les lésions existantes. Pour les femmes qui veulent avoir des enfants ou qui ne supportent pas ces traitements, le passage par la chirurgie est presque incontournable. Or cette intervention n’est pas anodine. Spécifiquement quand les atteintes sont sur le rectum. Quel est le problème avec la chirurgie? Elle est source de séquelles fonctionnelles à long terme. Les lésions peuvent être très mal placées, on peut être amené à couper l’intestin ou le rectum de femmes jeunes. 1,5 à 3,8 % des patientes peuvent avoir des fistules, un trou dans la paroi rectale et vaginale qui entraîne une communication entre les deux... C’est très mutilant alors que l’endométriose est une pathologie fonctionnelle qui guérit à la ménopause. De plus, 20 % des patientes récidivent malgré cette chirurgie majeure. Il faut donc désormais privilégier les traitements conservateurs comme les ultrasons. Cette intervention avec les ultrasons est beaucoup moins invasive? On entre par voie rectale, donc sans ouvrir le ventre. Entre l’entrée et la sortie au bloc opératoire, on est à 1h24, dont 33 minutes avec la sonde. Contre plusieurs heures pour la chirurgie classique. On travaille même sur la prise en charge en ambulatoire. Les patientes sont très demandeuses, alors que la chirurgie entraîne 7 jours d’hospitalisation et 10 jours d’arrêt de travail ! Quels sont les résultats de vos études ? On a mené deux études: la première, de faisabilité, entre 2015 et 2018 sur 20 patientes puis la seconde, de sécurité, sur 60 patientes dans quatre centres en France entre 2020 et 2022. On n’a constaté aucune fistule recto-vaginale, ni de réhospitalisation pour une reprise contre 14 % pour la chirurgie. On a amélioré les symptômes de façon significative dès le premier mois: moins de douleurs de règles ou pendant les rapports sexuels, de faux besoins d’aller à la selle... A 6 mois, on a une diminution nette de la taille des nodules. Les résultats sont donc très intéressants. Vous avez lancé une nouvelle étude? Oui, pour confirmer tout ça, on a lancé en avril une nouvelle étude qui inclura 60 patientes en double aveugle, c’est-à-dire que ni la patiente ni le chirurgien ne saura si elle bénéficie des HIFU ou d’un placebo. Cela a été validé par le comité d’éthique bien sûr. Trois mois après la dernière patiente intégrée, elles seront rappelées pour être vraiment traitées si elles ne l’ont pas été. Si la maladie récidive, peut-on refaire des ultrasons régulièrement ? C’est la question la plus importante car il ne faut pas juste reculer la date de la chirurgie ! On est en train de rédiger le protocole pour retraiter les patientes qui récidivent. Sur les 115 patientes traitées à ce jour, je ne vois aucun obstacle... Le traitement est précis. Il n’a pas d’impact sur les tissus sains. Il n’y a pas de limite à cette technologie? Si, car on utilise pour l’instant le matériel dédié à la prostate. Or les lésions d’endométriose sur le rectum se développent en arrière de l’utérus, au fond du vagin... Le problème, c’est donc la présence du sacrum sur lequel on butte. On est justement en train de développer une nouvelle sonde. Les ultrasons vont pouvoir être utilisés sur toutes les femmes qui souffrent d’endométriose ? Non, le traitement médicamenteux va rester en première intention. Mais s’il ne marche pas, je pense que les ultrasons seront priorisés par rapport à la chirurgie. C’est une vraie révolution. Or aucune autre équipe ne travaille là-dessus dans le monde. L’ENDOMÉTRIOSE, C’EST QUOI? Au moment des règles, la muqueuse utérine est éliminée. Mais dans l’endométriose, il semble que ce sang reflue et se localise dans le ventre, où il ne devrait pas être. Ce tissu va grossir chaque mois et se fixer sur différents organes: les ovaires, le rectum, l’intestin... Un trouble invalidant qui touche 10 % des femmes et même 30 à 50 % des femmes stériles. Le symptôme majeur de l’endométriose, ce sont les douleurs lors des règles. Elles peuvent être négligées. Au point que la moyenne pour poser un diagnostic est encore de 7 ans. La qualité de vie des patientes peut être détériorée. Certaines femmes ont des pertes de sang abondantes, sont carencées en fer, ont des douleurs atroces, ne peuvent pas travailler plusieurs jours par mois... Et puis bien sûr, cette maladie a des conséquences sur la fertilité. L’endométriose est un mécanisme ultra complexe, avec des théories qui cohabitent. Mais on admet depuis quelques années qu’il existe des facteurs environnementaux comme la présence des perturbateurs endocriniens: dioxine, bisphénol...

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