Aurélien Giraud : au nom du père

Aurélien Giraud est une des plus grandes stars du skateboard. Connu dans le monde entier par ses vidéos tournées dans les rues de Lyon, Barcelone ou Los Angeles, ce sportif originaire de Bron, sacré champion du monde en février dernier, devrait être une des vedettes des JO de Paris. Retour sur un parcours qui a commencé dans le skatepark de Gerland et dans le quartier de l’Hôtel de Ville. Par Jean-Marc Paillous “Le skate, c’est toute ma vie” affirme Aurélien Giraud. À quatre ans, trois jours avant Noël en 2002, son père fan de sport et de surf l’amène faire du roller au skatepark de Lyon. Grisé par l’ambiance, il voit « un grand » s’élancer et s’envoler et faire de grands sauts. « Le saut était impressionnant, se remémore-t-il comme si c’était hier. Le gars avait réussi à prendre une telle amplitude, j’étais scotché. » Le petit garçon de Bron que le roller n’amusait guère est fasciné par le spectacle et n’a plus qu’une idée : l’imiter. Il demande une planche à roulette à son père qui exauce son souhait quelques jours plus tard. Sa vie ne sera plus jamais comme avant. « Depuis ce jour, je ne l’ai jamais lâchée » , raconte-t-il. Son père qui a pris l’habitude de l’amener au park après l’école décède deux ans plus tard. Aurélien, qui a pris goût à ce sport, s’y plonge à fond. Rouler, glisser à l’époque est un moyen d’oublier sa tristesse, d’être un peu avec son père qui lui avait donner le virus. « C’est le plus beau souvenir que mon père m’ait laissé » . concède-t-il. « Le skate m’a permis d’oublier ma vie qui était dure, de mettre de côté ma peine, et d’avoir un minimum de plaisir. Chacun gère le deuil à sa façon. Moi, c’était avec le skate.» Il passe des heures au park. Sa mère, qui l’accompagne est capable de rester sept heures à le voir évoluer sur les modules de l’immense gymnase. Il y trouve une nouvelle famille. Le manager de la salle se prend d’affection pour ce gamin qui vient presque tous les jours et qui montre des prédispositions. « On l’a vu éclore... se souvient Régis Caillol qui a vu défiler plusieurs générations de riders dans le park qu’il a créé de ses mains. « Il avait un don pour le skate.Tout petit, il faisait des sauts à des hauteurs hallucinantes et skatait vite. Il n’avait pas peur. C’était celui que tout le monde regardait. Il sortait du lot, il avait quelque chose de plus que les autres. » [caption id="attachment_11023" align="alignleft" width="368"] Aurélien Giraud en 2023©Greg_Poissonnier[/caption] RÉFÉRENCE DE SA DISCIPLINE À 7 ans, Aurélien participe à sa première compétition : le V7 teenage tour. Son amour pour la planche à roulettes grandit. Il passe presque plus de temps au park qui est très bien équipé avec de belles rampes, de jolis bowls et de gros tremplins qu’à l’école. Lyon à l’époque est déjà une place forte du skate avec ses figures charismatiques comme Jean- Baptiste Gillet ou Jérémie Daclin et ses « spots » réputés. Le prodige se fait des amis dans le milieu de la « street ». Les plus grands séduits par son enthousiasme l’encouragent et le prennent sous leurs ailes. Ils lui font découvrir aussi bien des boutiques spécialisées comme Wall Street que les dernières manœuvres en vogue. En leur compagnie, il peaufine ses « tricks » sur les trottoirs et les bancs de la place Louis Pradel et les environs de l’Hôtel de Ville. De compétition en compétition, de places d’honneur en victoires, il gagne en maîtrise, prend de l’assurance et se fait remarquer. Des sponsors de plus en plus prestigieux l’approchent et le soutiennent. Le voilà propulsé, à faire des voyages, des vidéos. En 2015, le jeune lyonnais participe au Tampa Am, le plus grand événement amateur créé en 1995. Les meilleurs jeunes riders d’Amérique du Sud, de Russie, du Japon, des États-Unis et d’Europe se retrouvent chaque année en Floride pour un concours très relevé qui est suivi en direct dans le monde entier. Nyjah Huston, Caswell Berry et Luan Oliveira, la plupart des grands noms de ce sport, l’ont remporté. C’est la porte d’entrée vers le circuit pro. Au fil des « runs », le Lyonnais prend confiance et il réalise une manœuvre qui laisse bouche bée les observateurs. Sa victoire sur la côte est des États-Unis est un tournant dans son existence assure sa mère, Sylvie Geneste. « Jusqu’à Tampa, je n’imaginais pas qu’Aurélien puisse faire une carrière... Pour moi, cela restait une passion. Il pratiquait énormément. Mais à Tampa, j’ai mesuré le regard que le monde portait sur Aurélien» . Dès lors, il bascule dans un autre univers. À 17 ans, il fait définitivement de sa passion son métier et skate avec ceux qu’il admirait. À début, le niveau l’impressionne mais il est bien accueilli. « J’aime relever les défis » affirme le jeune homme qui ne cesse de progresser. « On se bat d’abord contre soi-même avant d’affronter les autres. Skater avec ses potes en contest, c’est toujours un plus, on se tire tous vers le haut.» Il devient peu à peu une référence dans sa discipline, « le street », qui consiste à enchainer pendant quarante cinq secondes les figures sur un parcours composé d’obstacles que l’on pourrait rencontrer dans la rues : des bancs, des escaliers, des rampes, des trottoirs relevés ou des murets. En 2019, à 19 ans, il devient champion de France à Biarritz et finit premier en skate du Dew tour, l’événement de référence chez les pros. Ces succès l’installent parmi l’élite. 630 000 « followers » le suivent sur Instagram. Les marques le convoitent et il a même des modèles de skate à son nom. En 2020, quatre planches à son effigie sont sorties en même temps. Au fil des années, il développe son style, « très engagé et technique ». Amateur de moto, de surf, de wakebord, il aime l’adrénaline, les sensations. Il se définit comme un « gappeur », un spécialiste des gros sauts et il en fait à tous les coins de rues. Le champion du monde est un adepte des défis. Il s’est mis en tête de sauter les « 25 marches » de la Cité internationale de Lyon, un escalier aussi long que haut qui nécessite une longue prise d’élan et une grosse prise de risques. Le skateur suédois Ali Boulala, qui s’y était essayé en 2002 s’était fracturé le pied et le seul qui y est parvenu, Aaron Homoki, un très grand champion d’Arizona surnommé Jaws, s’y était déchiré les ligaments du genou en 2004. En 2020 le bondissant Brondillant a effectué quatre tentatives dont deux n’étaient pas loin d’être parfaitement réalisées. Aurélien s’en sortira avec une semaine de béquilles. La séquence a fait le tour du monde, avec 810 000 vues sur Youtube. « Il faut beaucoup chuter et essayer pour arriver à rentrer une figure », avoue- t-il prêt à recommencer. FRISSONS EN PERSPECTIVE La persévérance paie. En février 2023, 11 ans après sa victoire au Tampa Am, il devient champion du monde de skateboard à Sharjah, aux Émirats arabes unis. À 25 ans, il est au sommet de son art. Désormais, il ambitionne de décrocher une médaille aux JO. « Contrairement à d’autres sports on ne construit pas une carrière de skater pro sur les JO. Aller dans la rue, y produire des vidéos est très important pour notre réputation...Le skate est arrivé aux JO seulement en 2021 à Tokyo. C’est nouveau. Mais j’avoue m’être pris au jeu. Les X Games et les tours privés comme le SLS ou le Dew Tour parlent surtout aux pratiquants et aux fans de skateboard. Les JO parleront davantage au grand public pas forcement familier de nos disciplines et le fait que ce soit en France en 2024 me mo- tive d’autant plus. » À Tokyo, Aurélien, vainqueur des qualifications, fatigué par la chaleur, le voyage, avait fini 6ème. « C’était une expérience... J’ai appris de mes erreurs et j’en ressors grandi.À la différence de Tokyo,à Paris,on skatera en plein après midi... À Tokyo, nous avons passé les premières épreuves à 6 heures du matin pour être en prime time aux USA. Et pour sûr, je n’aurais pas de jet lag.» Le skateur s’attend néanmoins à une belle fête sur la Place de La Concorde où tous les sports urbains (le BMX, la streetdance...) seront regroupés. « Si on arrive à trouver des places.» glisse-t-il en rigolant « Le skate est la discipline qui est partie en premier. En tout cas, cela ne pourra qu’être mieux qu’à Tokyo coté ambiance. C’est toujours un plus d’avoir du public, ses proches et ses amis pas loin. Ca motive ! » Alors que certains redoutent que son sport perde son âme, son esprit un peu « underground », libre et libertaire, il est confiant sur l’image renvoyée. «Les nouveaux sports vont amener un côté cool aux JO qui cherchent à attirer plus de monde. Le skate va apporter un peu de fraicheur à l’événement. À nous de rester cool et de ne pas tomber dans les travers que la professionnalisation sportive peut amener. Le skate est avant tout fait pour s’évader et s’amuser. Il faut que le fun reste le point d’entrée de la pratique pour les jeunes qui commencent. » Pour lui, l’intégration de sa discipline est la reconnaissance de ce sport qui a plus de 50 ans d’histoire. Le seul bémol qu’il émet est sur le caractère éphémère des infrastructures : « Je suis content que la scène soit au cœur de Paris. La Place de la Concorde est très centrale. Mais je regrette que le skatepark ne puisse rester à cet emplacement. Les Parisiens n’ont pas de parks dignes de ce nom et ils ne pourront pas en profiter » . Son esprit est désormais tourné vers la qualification. « On ne saura qui va au JO qu’en juin 2024, à un mois des JO. Merci la Fédé internationaleWorld Skate... » déplore-t-il. Le Lyonnais est en bonne forme. Il a fini à la huitième place le 3 juillet du World Street Skateboarding de Rome après avoir été premier des 1/4 de finales et des demi-finales. Il a rivalisé la légende du skate avec Nyjah Huston jusqu’au dernier « trick » de la finale. Il occupe la première place au classement mondial. « Les JO, c’est le but ultime». a t-il déclaré. « Je vais peut-être représenter la France aux Jeux Olympiques. Je n’imaginais même pas cela quand j’étais un gamin. Je voulais juste me faire plaisir et être professionnel. Je sais que les gens attendent beaucoup de moi. Cela me met parfois la pression. Mais cela me rend fier et j’ai envie de les rendre fier. Je vais me donner à 1000 % pas seulement pour moi mais aussi pour eux. Si je peux repousser mes limites pour la prochaine génération, cela serait fantastique. » PORTE-DRAPEAU DE LA SCÈNE SKATE Les JO devraient apporter un coup de projecteur sur ce sport jadis un peu marginal et toucher de nouveaux publics notamment les jeunes filles. « Il y a de plus en plus de pratiquantes et c’est très cool pour la discipline.» reconnaît-il. « Nous n’avons malheureusement pas encore dans la région de filles avec un niveau international mais cela va venir. La progression du skate féminin est hallucinante. Beaucoup plus rapide que celle du skate masculin » . Une médaille, elle, pourrait mettre en lumière la scène skate de Lyon, qui est considérée par certains passionnés comme une des Mecques de la discipline en Europe. De fait, il existe une culture « street » et en particulier « skate » sur les bords du Rhône et de la Saône. Le terrain s’y prête avec des descentes pour les amateurs de vitesse, des esplanades près des quais pour ceux qui aiment virevolter sur des longboards et des spots de qualité comme pour ceux qui, comme Aurélien, aiment jouer avec le mobilier urbain. Entre ses endroits réputés comme la Place des Tapis à la Croix Rousse, Perrache Charlemagne ou Confluence et, bien sûr, les bancs et les marches de l’Hôtel de Ville que l’on peut rejoindre facilement en poussant sa planche, les multiples événements organisés par les marques locales ou les magasins, Lyon s’est imposée comme une place forte de la glisse urbaine. De très nombreux pratiquants se sont pris de passion pour ce sport depuis les années 80. Plusieurs figures de la discipline originaires de la ville comme Jérémie Daclin, un des premiers Français a être sponsorisé par des marques américaines ou Jean-Baptiste Gillet, passé professionnel il y a plus de 20 ans ont émergé. Celui qu’on appelle JB Gillet est très connu aux États-Unis. Au début des années 2000 ses vidéos spectaculaires et rythmées où on l’apercevait arpenter les abords de l’Opéra et de l’Hôtel de Ville ont fait rêvé bon nombre. Ses films et ses photos ont contribué au renom de la capitale des Gaules chez les skateurs et depuis Lyon, à l’image de Berlin ou Barcelone et son célèbre MACBA, fait partie aujourd’hui des spots les plus prisés de la planète. Ces grands noms jamais avares de conseils ont influencé toute une génération. « La vie est avant tout faite de rencontres comme dirait l’autre... JB est un peu comme un grand frère » admet Aurélien Giraud. « Il m’a inspiré dans ma jeunesse. Petit, je le regardais dans les magazines. Maintenant, on fait des sessions ensemble. Il n’y a rien de mieux que de partager des moments avec lui et glaner de précieux conseils » . Cette culture est profondément ancrée chez les jeunes Lyonnais, décrype-t-il. «Lyon est une ville de skate. On a une histoire forte avec des marques historiques qui se sont développées ici comme Cliché, Antiz ou Film Trucks » . Dimitri Jourdan, un rider local, y a même ouvert le premier musée du skate en France où il expose sa collection avec plus de 500 planches, des années 50 à aujourd’hui, des dessins originaux et des animations avec des artistes graphistes. « J’aime bien l’idée de représenter ma ville et mes origines » déclare Aurélien qui a été reçu la médaille de la ville des mains du maire Grégory Doucet sur la place Louis Pradel, le lieu de ses premières glissades, après son titre de champion du monde. Une médaille qui en appelle d’autres trophées et qui aurait pu plaire à son père. « Comment aurait- il pu l’imaginer ? » conclut-il. « Il voulait juste faire plaisir à son fils qui souhaitait imiter les grands qui faisaient du skate. J’aime à penser qu’il est fier de moi et il me donne du courage pour avancer» .

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