Archigroup: 50 ans d’architecture lyonnaise

Certaines agences d’architectes se sont construites autour d’une personnalité et d’une marque éponyme. D’autres voient les générations se succéder derrière une bannière commune comme Archigroup. Installée à Limonest, au nord de Lyon, elle fête ses 50 ans cette année. Par Lionel Favrot. “L’agence est née le 1er septembre 1973. Fêter ses 50 ans sans transmission familiale, c’est assez rare dans notre métier” , souligne Denys Léger Pdg d’Archigroup, “Une longue et une très belle histoire qui résume la principale de nos valeurs: la transmission. Archigroup, il n’y a pas plus simple pour signifier une collégialité d’architectes !” Au tout début, il s’agit d’une alliance de quatre personnalités: Franck Grimal, Daniel Genevois, Roger Mermet et Marcel Sabattier. Le premier se distingue par de grandes opérations d’urbanisme typiques de l’époque où le besoin de nouveaux logements sociaux pousse à la création de ces grands ensembles aujourd’hui décriés. Franck Grimal participera notamment à “l’unité de voisinage” de Bron Parilly avec René Gagès, une figure de l’époque connue pour être l’architecte du Centre d’Echange de Perrache. Archigroup interviendra aussi aux Minguettes à Vénissieux. L’agence va se distinguer par une spécialité peu commune chez les architectes : les églises. Exemple : celle de l’Epiphanie à Vénissieux, flanquée d’une étonnante chapelle en forme d’origami métallique. Un objet architectural unique classé patrimoine du XXe siècle. Archigroup a également participé au projet Part-Dieu via l’un de ses associés, Jean Zumbrunnen qui travaillera pour la conception du centre commercial, en particulier de son fameux parking silo et des bâtiments associés. FONCTIONNALISTES [caption id="attachment_11085" align="alignright" width="398"] Thibaut Flavigny et Denys Léger[/caption] Les fondateurs d’Archigroup sont donc déjà forts d’une solide expérience quand ils s’associent. “Franck Grimal, déjà âgé, a pris sur lui ce regroupement un peu hors-la-loi car les architectes devaient à l’époque exercer uniquement à titre personnel. Ce n’est qu’en 1977 que la loi a reconnu notre activité d’utilité publique et qu’il a été possible de se constituer sous forme d’entreprise” , rappelle Denys Léger. Ces premières années ne seront pas pour autant faciles car la crise économique et les chocs pétroliers compliquent la situation de l’agence. Dans les années 1980, une deuxième génération prend le relais autour de Pierre Vial avec l’arrivée de Denys Léger en 1986. “J’avais à peine 23 ans. On a été cinq nouveaux associés. Les fondateurs d’Archigroup ont beaucoup cru en nous et ils nous ont beaucoup appris.” Mais les réalisations sont moins prégnantes avec un premier retour sur les grandes opérations de logements sociaux. Déjà sous l’angle des économies d’énergie. “On a assuré les premières réhabilitations thermiques de logements sociaux. On a aussi réhabilité plusieurs centres commerciaux. Aujourd’hui, on parle beaucoup de reconstruire la ville sur la ville mais travailler sur l’existant a toujours été un savoir-faire chez nous”, témoigne Denys Léger. A l’époque, Archigroup s’affiche volontiers comme un tenant de l’architecture du quotidien. Cette agence se revendique même du fonctionnalisme. “Nous, on tient à ce que les gens vivent bien dans ce qu’on construit. On ne fait pas du faça- disme. On réfléchit d’abord aux plans intérieurs et la façade ne vient qu’après”, précise Denys Léger. Avec déjà un souci de l’ouverture sur l’extérieur. Le Pdg d’Archigroup se souvient s’être fait engueuler parce qu’il avait dessiné de longs balcons sur un de ses premiers projets dans le 7e arrondissement. “Le promoteur m’a dit : qu’est-ce que voulez que des gens foutent sur un balcon en pleine ville! Mais cette ouverture sur l’extérieur me semblait déjà essentielle”, affirme Denys Léger. Archigroup a aussi entamé le renouveau du campus de la Doua, dessiné par le grand prix de Rome Jacques Perrin-Fayolle. “C’était déjà très moderne, organisé autour d’une rue centrale. Mais à moins de passer à l’Insa, personne ne le voit”, poursuit Denys Léger. L’agence a connu un revival de projets phares dans les années 2000 en décrochant une série de sièges d’entreprises emblématiques comme celui d’April à la Part-Dieu. Sans oublier une série d’autres réalisations discrètes même si Archigroup a pu y apporter une certaine originalité. Exemple : l’immeuble situé rue Bellecordière à l’arrière de l’ancien siège du Progrès et du cinéma Pathé. Ou encore le Centre de la Fonction Publique à Sainte-Foy-lès-Lyon avec une isolation par l’extérieur pour atteindre de hautes performances énergétiques et une vêture en brique pour la protéger. Et, dans cette même ville, ce bâtiment abritant une extension de la mairie, un centre social et le cinéma. Avec une architecture moderne insérée autour d’un mur ancien en pierre. Au début des années 2010, cela a été au tour de Denys Léger et de ses associés, de préparer la relève. D’ailleurs, Denys Léger a tenu à nous recevoir avec un représentant de cette nouvelle génération, Thibault Flavigny, 45 ans aujourd’hui. “ Franck Dreidemie et moi, on a 60 ans et on poursuit aujourd’hui la prépa- ration de cette succession avec des 30-35 ans qui viendront seconder ces quadras”, complète le Pdg d’Archigroup. “On n’est pas une coopérative. On n’en a ni les statuts ni l’organisation mais on essaye de créer un roulement de générations qui portent les mêmes valeurs avec une cooptation d’associés.” Cette transmission n’exclut pas une modernisation permanente. “Au contraire, on fonctionne bien sûr en maquette numérique et on se prépare à l’intelligence artificielle”, souligne Denys Léger, “A 50 ans,Archigroup est même très en forme.” C’est une des plus grandes agences d’architectes de la région Auvergne-Rhône- Alpes. Archigroup a même pointé à la 20e position au niveau national avant de descendre à la 42e puis de remonter à la 37e place. “ On a grandi mais on a été doublé par des confrères qui ont réalisé d’importantes opérations de croissance internes en fusionnant plusieurs agences” , précise Denys Léger. Archigroup compte aujourd’hui 85 collaborateurs dont 53 à Lyon où le siège abrite également une structure ingénierie de 20 personnes. Sans oublier une douzaine de collaborateurs à Montpellier où une agence a été ouverte il y a 5 ans. Prochain objectif: se développer à Paris où une seule personne les représente pour l’instant. Pour assurer cette nouvelle transmission, la holding Grand Air a été créée il y a 10 ans. A comme architecture, I comme ingénierie et R comme réalisation. En effet, l’autre particul rité d’Archigroup est d’associer la réalisation à la fabrication. Le pôle chantier compte 14 collaborateurs. “On peut prendre la totalité de la maîtrise d’œuvre de projets complexes y compris pour des confrères architectes”, précise Denys Léger. Un autre pôle se développe: l’ingénierie environnementale. “C’est aujourd’hui fondamental. On ne va plus pouvoir construire sans mesurer le poids carbone d’un bâtiment”, souligne Denys Léger. Naissante, l’activité paysage est également promise à un développement futur. “On a décidé d’intégrer un paysagiste qui tra- vaille avec nos architectes pour accompagner nos projets tout en conservant la maîtrise globale”, détaille Thibaut Flavigny, “Une deuxième personne a été recrutée pour l’aider. Cette équipe pourrait travailler à terme pour d’autres architectes comme c’est le cas du pôle ingénierie.” Cet architecte insiste sur les enjeux actuels de végétalisation, de renaturation et de désimperméablisation. D’ailleurs, Archigroup vient de recevoir le prix du design décerné par la Fédération française du paysage pour “inventer le mobilier dans l’espace urbain de demain”. Son œuvre: un “Oyas géant” c’est-à-dire une sorte de grande fleur métallique “ dont les corolles en acier recueillent les eaux de pluie pour les diriger vers une jarre semi-enterrée et less diffuser lentement aux plantes.” Pour Aymeric Dufour, le paysagiste d’Archigroup, ces structures aux formes organiques préparent la résilience de l’environnement urbain. Est-ce qu’il y a désormais un style Archigroup qui aurait traversé les décennies ? “Par définition, nous ne sommes pas une agence de stars! On explique aux jeunes architectes qui nous rejoignent, qu’ils pourront s’épanouir avec leur propre style. A condition de respecter la qualité qu’on exige” , tranche Denys Léger, “Si vous traversez Lyon, vous passerez devant de nombreux bâtiments réalisés par Archigroup mais qui restent anonymes.” Tout l’inverse d’un Dominique Perrault par exemple. “ A Paris avec la bibliothèque François Mitterrand ou à Berlin, il fait du Dominique Perrault de partout. Sa tour To Lyon à la Part-Dieu est presque douce par rapport à certaines de ses réalisations. Nous, c’est tout l’inverse. On part de l’analyse du site. C’est peut-être moins spectaculaire mais on trouve cela en quelque sorte plus sincère avec une réponse ciselée et sur-mesure.” Un point de vue que reprend à son compte la nouvelle génération. “On ne sacrifie pas une belle pièce à un geste architectural”, renchérit Tibaut Flavigny. Et les deux associés de citer l’Ilot Planchat, aménagé à Limonest avec deux façades, l’une classique côté centre ancien et l’autre plus contemporaine. “Cette façade raconte une tout autre histoire avec des toits-terrasses et de grands balcons.” SIÈGES D’ENTREPRISES [caption id="attachment_11087" align="alignleft" width="435"] Le siège du Crédit Agricole à Champagne[/caption] Cette volonté de s’adapter au site, se retrouve dans Terralumia, l’opération de “ré-architecture” du siège du Crédit Agricole à Champagne-au-mont-d’Or. Une opération dont les travaux réalisés par Bouygues ont été dirigés par le pôle chantier d’Archigroup. Réalisée en association avec l’Atelier Thierry Roche, cette réhabilitation a été primée en juin 2023, par les Trophées Mag2Lyon du CIEL, le salon d’immobilier d’entreprise de la CCI de Lyon, et il a reçu la Pyramide d’Argent régionale de la Fédération des promoteurs immobiliers de France (FPI) trois mois plus tard. Les sièges d’entreprises représentent aujourd’hui 40 % de l’activité d’Archigroup qui se développe aussi dans les usines. “On croit beaucoup à la réindustrialisation de notre pays”, insiste Denys Léger. Archigroup a été retenu pour livrer une usine de 50000 m2 à Saint-Vulbas dans l’Ain, pour le groupe K-Line, spécialisé dans les portes et les fenêtres. Quel virage va faire prendre la nouvelle génération à Archigroup? Originaire de Nancy, Thibaut Flavigny a démarré sa carrière à Athènes en Grèce avant d’entrer à Archigroup dès l’âge de 26 ans. En attendant de créer -pourquoi pas - une agence dans ce pays dont est originaire sa femme et dont il maîtrise la langue, Thibaut Flavigny apprécie l’autonomie qu’il a trouvée dans cette agence. Il développe actuellement l’activité établissements scolaires, avec par exemple le lycée Récamier à Perrache. Les nouvelles exigences environnementales permettent à Archigroup de revenir à ses débuts autour du logement social. Après les avoir construits dans les années 70 et réhabilités dans les années 80, il en construit de nouveaux aux normes actuelles. “Les bailleurs sociaux sont très soucieux des performances énergétiques pour réduire les charges des locataires. Il y a déjà six ans, j’ai déjà pu travailler rue Bollier dans le 7e sur un projet passiv’haus”, témoigne Thibaut Flavigny. Un bâtiment de 60 logements qui produit autant d’énergie qu’il en consomme. Les nouvelles normes RE2020, particulièrement exigeantes, lui paraissent-elles une bonne chose malgré leur impact très critiqué sur la hausse des coûts de fabrication. “Les cibles HQE qui exis- taient déjà il y a une quin- zaine d’années, permettaient d’identifier les problèmes et d’apporter un certain nombre de solutions”, diagnostique Thibaut Flavigny, “On n’a rien appris de plus mais aujourd’hui, on calcule mieux.” Ce qui lui paraît le plus nouveau c’est la prise en compte du poids carbone de chaque élément, que ce soit le lieu de fabrication des panneaux photovoltaïques comme celui des tuyaux permettant aux fluides de circuler dans le bâtiment. “Chaque technologie a une empreinte carbone incroyablement forte. La structure d’un bâtiment ne compte que pour un tiers de l’impact global d’un bâtiment du fait du coût d’extraction de ce qui est électrique. Le défi pour nous architectes, c’est d’une part de faire des immeubles qui atteignent le plus petit poids carbone possible et d’autre part de s’assurer leur réversibilité” , insiste Denys Léger, “C’est une responsabilité sociale des architectes: on doit limiter la consommation de carbone et veiller aussi à ce qu’un bâtiment servant aujourd’hui de logements étudiants,puisse devenir demain un immeuble de bureaux.” Même réflexion pour la génération qui se prépare à prendre la relève. “J’ai aussi conscience qu’il y a des virages à prendre”, constate cet architecte. Le premier étant justement de réhabiliter plutôt que de détruire. “Ce qui est nouveau c’est qu’on étudie la réhabilitation de bâtiments des années 70 alors qu’autrefois, on se limitait à la protection patrimoniale des vieilles pierres” , analyse Thibaut Flavigny qui constate que “ces immeubles ne sont pas systématiquement de mauvaise qualité comme on pourrait l’imaginer.” Archigroup travaille par exemple sur le projet Next d’Icade qui consiste à réhabiliter l’ancien bâtiment de Framatome à la Part-Dieu. “On a enlevé la verrière pour qu’il pleuve à l’intérieur de l’îlot afin de renaturer le site et que les gens sentent l’air quand ils ouvrent leur fenêtre. On a aménagé des toits en attique pour que les collaborateurs puissent y faire du sport. On a aussi redonné vie au rez-de-chaussée avec des socles actifs, c’est-à-dire des commerces et des restaurants donnant sur la rue” , expose Denys Léger, “ C’est une opération ambitieuse qui a redonné à cet îlot une valeur d’usage, donc de location, identique au neuf.” Et c’est April qui va s’installer dans ce bâtiment. La même société d’assurance qui s’était installée dans un immeuble neuf. Révélateur d’une nouvelle époque pour Archigroup comme pour l’architecture.

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