Biennale Saint Etienne 
Le designer en mode ressource

Qu’est-ce que designer aujourd’hui dans un monde qui perd ses repères et ses ressources ? La biennale du design de Saint-Etienne donne la parole à plusieurs générations de designers dont 300 étudiants sur 3600 m2. A la Cité du Design et aux nouvelles Halles Barouin, le designer s’accorde encore le droit de rêver et d’imaginer des solutions pour demain, autrement. A visiter jusqu’au 6 juillet.

Chaise à bascule réalisée à partir de débris de phares de voitures, jambages de cheminées en marbre réemployés comme pièces de charpente dans les appartements haussmanniens, jeux d’enfants à partir de chutes de tissus d’ameublement de la marque ligne Roset… la question de la ressource a été conjuguée avec inventivité par plusieurs générations de designers qui ont pris le virage de l’ère anthropocène.
Une biennale internationale c’est toujours un « état » des lieux à l’instant T, d’une discipline. La biennale du design 2025, 13 édition, ne déroge pas à la règle. La 13e édition ressource(s) présager demain est une grande exposition chorale. Le designer s’est remis en question. Il sait son avenir lié à sa capacité à se transformer ou à renouer avec un design des origines plus économe en matière, (énergie) réalisé avec les ressources « déjà là », un design et une architecture climatique. La mode n’est plus au designer star, ambassadeur de l’industrie, et égérie de l’esthétique des premières éditions. Les objets, sculptures proposés sont moins ostentatoires, et leur beauté est révélée subrepticement par le mode d’élaboration, la matière utilisée, la poésie en plus, parfois. Une chaise en peau de mouton alternative aux mousses polymères pour l’éditeur italien Tacchini, des vases qui semblent provenir de fouilles mais conçus à partir de poussières de matériels électroménager déchus tels que micro-ondes ou frigo, la liste est longue et protéiforme. Au risque de devenir un peu inventaire à la Prévert.

Trosne, hors-studio et Emmanuel Hugnot, chaise convective, Leatherock© (chutes de cuir broyées et liants 100% naturels) © Ella Perdereau

 

High tech et low tech

La scénographie d’ensemble aérienne et légère mais départageant bien les espaces confiés à Joachim Jirou-Najou contribuent à relier les différentes expositions et les lieux. Car le design c’est le design d’objet, mais aussi graphique, et d’espaces…. D’ailleurs c’est quoi un designer ? selon le Larousse c’est un professionnel qui conçoit un produit en harmonisant les critères esthétiques et fonctionnels de celui-ci. En 2025, à l’heure de la raréfaction de la matière, il doit opérer une nouvelle sélection, celle des ressources.
Les voiles tendus tissent un lien ténu de la Platine aux halles Barouin, nouvelles halles industrielles, où se déploie la biennale pendant les travaux. Nouveauté : les enfants sont accueillis par une scénographie dédiée : de vieux téléphones à cadran posés sur des petites tables qui leur chuchote à l’oreille, des clés pour visiter l’exposition, quelques œuvres à regarder à hauteur d’enfants.
Questionner le designer à l’heure où l’on parle de raréfaction c’est aussi l’aider à renouveler sa pratique à l’ére de l’anthropocène. « Faisons confiance au designer pour être attentif à la gestion des ressources celle-ci est inscrite dans sa démarche depuis que cette pratique existe. Less is More enseignait t-on déjà au Bauhaus. Avec sa maison, Jean Prouvé avait déjà le souci de réconcilier pensée dans le sens d’une économie de matière » résume Laurence Salmon, directrice scientifique de la Biennale du design. Pour l’expo Ressources, elle a demandé à neuf designers de s’exprimer sur des thématiques définies.
Marlène Huissoud fille d’apiculteur fascinée par les capacités de construction des vivants a exposé sur la plateforme qui lui est dédiée les tissus de Dian Scherer œuvre murale et textile à partir de racines de plantes ou les hôtels à insectes en grès de Raphaël Emine, magnifiques sculptures en céramique.
Autre sujet le Mode hybride : soit l’alliage de matériaux high tech et low tech combinés pour construire un nouvel objet : un véhicule intermédiaire fusion entre vélo et citadine à assistance électrique, un poële à bois, un vidéo projecteur basse définition.

Avec du « déjà là »

Le design industriel à sa plateforme consacrée à des recherches abouties commercialement ou non : Edf avec un panneau solaire individuel, une tente décathlon au dôme blanc et recyclable, le vélo J urbain de Moustache. Selon Frederic Beuvry directeur du design industriel de Schneider Electric, qui a choisi les objets présentés dans l’archipel dédié « il y a un enjeu social et politique à ce que le chercheur designer soit intégré professionnellement dans l’entreprise et dépasse la quête de la seule performance commerciale, et l’idée trop réductrice du design pour mieux vendre. »
Au chapitre du Design climatique, on voit des Rideaux thermiques, plans de maisons modifiés avec une surface plus réduite en hiver comme au Moyen Age, pour préserver la chaleur. La sélection de l’architecte Philppe Rahm montre que le dessin des bâtiments est déjà sous influence climatique, avec trois degrés supplémentaires annoncés à la fin du siècle, nos maisons vont devoir s’adapter.
Anna Saint-Pierre, c’est, elle, intéressée aux objets créés avec les matières « déjà là ». « Je préfère cette expression au mot déchet », précise-t-elle. Elle a choisi un lit baldaquin réalisé pour l’auberge de jeunesse moderne d’ un couvent de Roubaix. « Ses lits fabriqués en tissus de récupération thermiques sont empilés pour développer la chaleur, tandis que l’été un kit de tissus rafraichissant est installé en alternance… «
Dans ce monde, d’éco anxiété les jeunes générations n’ont pas renoncé au droit de rêver. Et c’est d’ailleurs le titre de l’exposition à la platine, résultat d’un workshop entre 16 artistes désigners internationaux et trois cents étudiants de l’Esad, Ecole supérieur d’art et design dont Eric Jourdan, directeur de la biennale du design est aussi le directeur, « ce droit au rêve on se doit malgré le contexte de l’offrir aux étudiants ».
« Aujourd’hui plus de designer choisissent l’échelle artisanale locale et expérimentale plutôt que l’industrie, un design alternatif ou engagé qu’on peut cependant exercer aussi à l’échelle industrielle.. Nos jeunes diplômés partaient avant presque systématiquement pour Paris» raconte Eric Soudan. Les résultats de ces workshops sont riches et variés. Des meubles faits directement à la main « on sent que ce n’est pas dessiné » commente Eric Jourdan devant les formes rondes en plâtre et en paille, brutes et parlantes. Plus loin, des Totems qui symbolisent le rêve de chaque étudiant : « le mien c’est balade en forêt » raconte Etienne devant sa sculpture verte, tandis que le Totem voisin tout de bois blanc où repose des coussins avec des citations littéraires est une ode à Ne rien faire. » Selon les maitres des workshops, comme la photographe Eva Nielsen les réalisations sont plus artistiques ou plus design. En témoigne, le remodelage pour une entreprise suédoise Kinnaps de chaises « coquilles » ou « nuages « avec des matériaux Upcycling. Ou un workshop sur la brouette, objet hybride par excellence, sculpture et outil, qui répond aux questions de poids, gravité et équilibre…
Aux Halles Barouin toujours, les travaux d’étudiants de l’école des arts décoratifs de Paris se déploient dans la 2e halle à la recherche d’un design vernaculaire de tradition locales avec des propositions de mobiliers urbains à l’encontre de l’origine industrielle de ce dernier et une attention à la cartographie et aux frontières.
Avec 2,8ME de budget, la biennale du design 2025 n’est donc pas sans ressources mais essaie de trouver de nouvelles voies. Et si les contraintes climatiques et environnementales les évolutions sociales constituaient autant de ressorts pour la créativité ?


L’Arménie terre design
A la Platine, l’Arménie pays de reliefs volcanique mais pays design méconnu est mis à l’honneur. Hors l’Arménie pendant la défunte URSS a été en quelque sorte « le bureau design » tandis que l’Ukraine était son grenier à blé. Les commissaires ont donc réuni des designers de cette période historique pour la première fois en France comme la céramiste Hripsime Simonyan entre tradition sauvant des pratiques artisanales ancestrales et modernité. Tandis qu’en contrepoint, les reliefs variés de la jeune création design arménienne sont aussi exposés. Enfin hommage est rendu à un designer méconnu du grand public Raymond Guidot à la fois ingénieur et designer, artiste et enseignant décédé en 2021 qui a compté dans l’histoire du design français. Une exposition davantage pour les initiés avec des documents d’archives exhumés.

Hripsime Simonyan, pichet et gobelets, porcelaine, pièces produites par l’usine de
faïence d’Erevan, 1950 – 1970 © Hrant Varzhapetyan, © Archives de la famille Grigoryan

 

 


Quartier
Plus de Design en 2026

Etudiants de l’Esadse au travail lors du Workshop Penser avec les mains, 2024 © S.Binoux

Comme le tram, qu’il garde précieusement depuis 140 ans, Saint Etienne mise sur le design avec constance depuis 1998. Elle lui a permis de retrouver avec fierté l’histoire de son passé industriel et d’inventer un futur plus tech. La biennale du design se tient depuis 2006 sur le site de l’ancienne Manufacture d’armes royales à la Cité du design, une platine moderne mais déjà novatrice sur la question durable et l’intégration paysagère au site industriel qui reste magnifique à traverser. Aujourd’hui, le site en forme de H est en plein chantier car la Métropole et la Ville ont imaginé un grand quartier design avec une grande place, des espaces variés, qui entoureront la galerie nationale du design lieu pérenne d’exposition du design en France qui ouvrira en Juin 2026. Un espace de 800 m2 avec mezzanine pour les ateliers. Le commissaire invité proposera une exposition annelle. Les collections permanentes en design des grands institutions Françaises, Pompidou, le CNAP, centre national des arts Plastiques, Musée d’art moderne et contemporain de Saint-Etienne qui en assumera la direction scientifique …. Pourront donc être plus souvent exposées. Objectif en faire un lieu de destination touristique pour de cours séjour liés à l’univers du design. Un projet retenu l’Etat, car la France manquait d’un lieu dédié au design, piloté par Saint Etienne Métropole. Budget 60 ME.
Autour de la galerie, une grande place, la cabane espace de 350 mètres carrés dédiés aux enfants qui ouvre dès la rentrée prochaine, la boutique design qui sera déménagée de la Platine et agrandie, uen crèche et une école… bref un quartier vivant au rythme du design.

Biennale du Design, jusqu’au 6 juillet, allez y en train et en tram. /www.biennale-design.com. Plein tarif 8 euros, réduit six euros.

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