“Les hôtels doivent redevenir des Auberges” 


Loïc Renart

Loïc Renart est une nouvelle figure de la restauration lyonnaise. Après s’être fait connaître en repositionnant le Globe et Cecil, il vient de reprendre le Phénix, dans le 5e arrondissement, qu’il veut davantage ouvrir sur le quartier. Loïc Renart a aussi entamé une démarche de fond pour adopter le statut d’entreprise à mission, ce qui prolonge un certain nombre d’engagements sociaux. Propos recueillis par Lionel Favrot 

Comment avez-vous débuté dans la restauration ?
Loïc Renart :
Mon père a racheté l’Hôtel Globe et Cecil en 1966 et j’ai grandi dans cet établissement de 60 chambres où ma famille avait un appartement de fonction. Mais j’ai commencé ma carrière professionnelle dans un tout autre domaine. À l’école, j’étais un gentil cancre. J’ai redoublé quatre fois et loupé mon brevet de collège. Finalement, j’ai décroché tant bien que mal un BTS techniques végétales. Je ne me voyais pas pour autant donner des conseils à des agriculteurs. Je ne savais pas trop quoi faire. Jusqu’au jour où j’ai eu une révélation. 

Quelle était cette “révélation” ?
Une nouvelle pédagogie active développée par l’ISA, l’Institut supérieur d’agriculture, une école qui s’inspire de méthodes très développées dans les pays scandinaves et au Canada. Cela ne fonctionne pas avec des professeurs qui donnent des cours mais sous forme de groupe de réflexion. On nous pose un problème avec des hypothèses et on a un temps donné pour rechercher les informations nécessaires pour le résoudre. Je suis alors passé de dernier de ma classe à major de promo’. 

Vous avez débuté dans le monde du paysagisme ?
Oui. J’ai rencontré Emmanuel Mony, alors patron de Tarvel, qui a été mon mentor. J’avais un syndrome très fort de l’imposteur et il m’a vraiment donné confiance sans m’en rendre compte. J’ai pu monter une agence de Tarvel, dirigée une entreprise de Saint-Priest qu’il avait rachetée où il fallait tout remettre en place… Mais en 2008, j’ai pris la direction d’une boîte d’intérim où j’ai fait plein d’erreurs classiques pour un jeune dirigeant. Heureusement, il y a eu de nouveau deux éléments décisifs. J’ai eu la chance d’être coopté au CJD, le Centre des jeunes dirigeants, et mon directeur d’école m’a encouragé à revenir vers la restauration car il sentait que c’était un élément fort en moi. 

Que vous a apporté le CJD ?
Il m’a ouvert l’esprit. J’ai pu poser la vision que je portais dans mes tripes. Dans une société incertaine avec une vraie perte de repères, l’entreprise se doit d’être une communauté de vie. L’enchantement de mes équipes doit égaler voire surpasser celui de mes clients. Il ne s’agit pas seulement d’avoir la satisfaction de bien faire son boulot mais de faire intervenir son émotion. J’ai aussi eu l’occasion d’écouter un sociologue après les attentats de Paris en 2015. Il a souligné que les terroristes avaient voulu attaquer notre mode de vie, le plaisir de boire un verre ensemble, notamment les femmes. 

En quoi cela a-t-il influencé votre vision d’entrepreneur ?
On considère généralement que les restaurants d’hôtels marchent mal et que c’est presque inévitable. L’erreur c’est de ne pas ouvrir ces lieux sur l’extérieur. En général, tout est caché par de lourds rideaux. Les hôtels doivent redevenir des auberges pour être plus accueillants. Et c’est vraiment ce qui me motive: créer des places de vie locale où les premiers qui doivent avoir envie d’entrer, ce sont les gens du quartier. Pas seulement des touristes ! On ne vend pas des nuitées mais de l’humain. Si on ne comprend pas ça, il ne faut pas s’étonner qu’on perde du terrain face à des systèmes comme Airbnb. Ma vision c’est d’offrir le gîte, le couvert et le sourire. 

Du coup, vous avez repositionné l’hôtel familial ?
Oui. “Horizon pas net, reste à la buvette” comme dit le vieil adage! Là c’était devenu vraiment explicite dans mon esprit. Pour mettre de l’âme dans un restaurant, il y a deux solutions. Soit l’incarner moi-même comme le font très bien les patrons de bouchons lyonnais, soit se développer et monter des équipes. C’est cette voie que j’ai choisie. J’ai donc racheté le Globe et Cecil et je l’ai ouvert sur l’extérieur. Aujourd’hui, on parle du restaurant lui-même, le Comptoir Cecil, sans forcément faire référence à l’hôtel. Dans ce même esprit d’ouverture, on accueille aussi Les Petites Cantines et leurs invités se mélangent avec nos clients. Pour développer l’entreprise avec d’autres acquisitions, j’avais besoin de capitaux et, en 2017, je suis allé chercher des investisseurs : la BPI et Extendam. 

Quelle a été votre première reprise ?
L’hôtel du Simplon, une petite auberge de 40 chambres à l’angle de rue de la Charité que j’adore. Je discutais aussi régulièrement avec le propriétaire du Phénix, quai de Bondy. Comme moi, il n’était pas hôtelier de formation. On est tombé d’accord 10 jours avant le premier grand confinement en 2020… Les investisseurs voulaient abandonner vu le contexte mais j’ai persévéré car ce n’était pas une cible secondaire. Cet établissement situé aux portes du Vieux Lyon, marchait déjà très bien. 

À quoi ressemble cet hôtel ?
Cet ancien Relais de Poste est en fait le rassemblement d’au moins trois bâtiments avec une cour centrale couverte par une verrière. Cela crée un puits de lumière central. Il propose 40 chambres dont 20 côté Saône et les autres réparties autour de ce patio. 

Comment l’avez-vous rénové ?
J’ai travaillé avec Antony Léger l’architecte qui est déjà intervenu sur le Globe et Cecil. Le projet c’est la lumière, la matérialité et la pureté pour révéler les beaux matériaux anciens. On a décidé de rénover l’ancienne porte en bois ce qui se révèle très cher mais on y tenait. Côté chambre, on a préservé tout ce qui était bien fait, notamment les salles de bains, même si j’aurais aimé revoir le style. On est allé chercher différemment éléments de décoration, contemporains ou chinés aux Puces, pour créer un décalage ancien-moderne. 

L’achat et la rénovation du Phénix, cela représente quel budget ?
Environ 3,4 millions d’euros: 2,2 millions d’euros pour l’acquisition et 1,2 million pour la rénovation. On a recruté une quinzaine de personnes et on vise les 2,5 millions d’euros de chiffre d’affaires. 

Toute la restauration se plaint pourtant de problèmes de recrutement ?
Il faut savoir se remettre en question. La culture en cuisine, c’est celle du “oui Chef!”. Il n’y a pas de place pour la discussion. Quand les gens ne sont pas d’accord, ils n’ont donc qu’un choix : partir. Moi, j’estime qu’il faut laisser des temps de parole. J’ai ici des gens qui ne voudraient plus travailler ailleurs car ils n’étaient pas considérés. Mais c’est vrai que les cuisiniers ont du caractère. C’est un métier très exigeant où on repasse son bac tous les jours. Même moi, si je suis déçu une fois dans un restaurant où j’ai mes habitudes, j’hésiterai à y revenir. 

Avez-vous pu aller aussi loin que vous vouliez dans la rénovation énergétique par exemple? Il se dit que c’est difficile pour les bâtiments anciens à Lyon…
Oui ! C’est compliqué ! Pour toute modification, on doit négocier avec la Ville de Lyon, les Pompiers et l’architecte des Bâtiments de France. Les pompiers ont toujours une attitude constructive. Pour les ABF, il faut déjà passer par un architecte du patrimoine… Et ensuite ils passent tout en revue. Jusqu’aux porte-menus dans la rue. Je suis pour cette protection du patrimoine mais le curseur ne me semble pas placé au bon endroit aujourd’hui. Exemple : parce qu’on me refuse l’aménagement de fenêtres malgré l’avis favorable de quatre architectes, je ne peux pas ajouter sept chambres au Globe et Cecil. Alors tendre vers un bâtiment passif ! Récemment, la Ville de Lyon m’a demandé si j’étais toujours favorable à la pose de panneaux solaires sur mon toit. J’ai confirmé mon accord mais je leur ai conseillé de voir d’abord avec les ABF… 

Comment est organisé votre groupe aujourd’hui ?
On a une holding avec des entités indépendantes par structures, hôtels et restaurants. De 2017 à 2019, on a connu une croissance constance. Avant ce nouvel établissement, on vise 6 millions d’euros avec 10 % de résultat pour un effectif de 65 personnes. 

Financièrement, vous vous relevez du Covid ?
Cela a été d’une violence inouïe. Le premier mois du confinement, on a facturé 5 000 € contre 500 000 € habituellement. On a perdu 1 million d’euros de chiffre d’affaires en 2020. Quand on a été de nouveau autorisé à ouvrir, la fréquentation avait chuté à trois ou cinq clients par jour car il y avait encore de lourdes restrictions. On perdait plus d’argent qu’en restant fermé. On est quand même resté ouvert car les équipes avaient besoin de se retrouver. 

Le PGE vous a aidé ?
Oui, mais on a dû souscrire un total d’1 million d’emprunt. C’est l’équivalent en endettement du rachat d’un nouvel établissement… sans les rentrées d’argent en face. C’est un peu comme un crédit à la consommation qu’on nous aurait imposé. 

Qu’est ce qui vous anime aujourd’hui ?
Trois horizons: la profitabilité car c’est la respiration de l’entreprise, l’installation de la marque les Aubergistes lyonnais aussi bien en interne qu’en externe, et se transformer en aubergistes citoyens. 

À quoi cela correspond ?
On va adopter le statut d’entreprise à mission. Il ne s’agit pas de faire du social-washing avec trois réunions de trois heures. On a pris un an et demi avec un budget de 50 000 € pour se faire accompagner. Pour travailler en profondeur cette idée de place de vie. 

Avez-vous déjà des engagements sociaux outre les Petites Cantines ?
Oui. On a un partenariat avec une association de femmes battues pour reloger en urgence les hommes violents car sinon, c’est elles qui doivent quitter le logement familial. Ce qui revient à une double peine. On reloge aussi des gens en difficulté avec l’Entreprises des Possibles, l’association d’Alain Mérieux. Pendant le confinement, nos cuisines ont distribué des repas pour le SAMU social. On travaille également avec l’association des Étoiles et des Femmes portée par Régis Marcon. 

Du coup, si vous aviez un conseil à donner aujourd’hui à un entrepreneur ?
Pour réfléchir, un chef d’entreprise doit se donner des temps de vagabondage. C’est même prouvé par les neurosciences que c’est là que se déploie notre esprit créatif. En octobre 2021, je suis parti en Himalaya pour faire un 7000 m en ski qui a nécessité de partir 33 jours de mon entreprise. J’ai pu vérifier qu’elle fonctionnait en mon absence et comprendre où est ma place. Sur l’ADN et la vision, pas la gestion quotidienne. 

Aujourd’hui, votre vision c’est de faire une pause ou de continuer votre développement ?
De continuer. J’ai recruté un DAF solide et on est déjà en négociations avec des investisseurs qui ont racheté des murs et un fonds de commerce. On pourrait exploiter leur établissement en location- gérance. C’est un axe de développement. Je pense qu’on a fait nos preuves. Avant même de rénover le Phénix, on a augmenté le prix moyen de 30 % sans baisser le taux d’occupation. On a vrai savoir-faire. 

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