L’Economie sociale et solidaire… solution à la mal-bouffe ?

Créé en 2012 et distingué dès l’année suivante par un trophée Mag2Lyon de l’ESS, le Groupement Régional Alimentaire de Proximité (GRAP) s’est constamment développé pour atteindre aujourd’hui une cinquantaine d’activités et 14 millions d’euros de chiffre d’affaires. Une réussite emblématique de ces épiceries bio de proximité, en milieu urbain comme en milieu rural. Entretien avec Kevin Guillermin, fondateur et directeur général. Par Lionel Favrot

Comment s’est créé GRAP ?

Kevin Guillermin : Au départ, il y a l’épicerie 3 Ptits pois créée en 2010 dans le 7e arrondissement de Lyon. C’était une des premières entreprises alternatives bio qui proposait non seulement des produits locaux mais qui innovait aussi dans le vrac. Il n’y avait pas que des céréales mais aussi de l’huile, du vinaigre, des cosmétiques, des produits ménagers…

Quel était votre rôle à l’époque ?

Je travaillais chez un producteur d’électricité d’origine renouvelable et j’étais bénévole d’une association, le District Solidaire, disparue depuis, ce qui m’a permis de participer à l’émergence de cette épicerie. J’ai mis en relation des bonnes volontés mais je me suis dit que je pouvais faire davantage en mettant mes compétences juridiques et financières au service du projet. Le vrai déclencheur du développement, cela a été l’appel à projet de la Ville de Lyon pour reprendre les Halles de la Martinière.

Mais vous avez perdu cet appel à projets, ce qui a suscité des polémiques car votre offre alternative avait suscité un certain intérêt…

On a fini deuxième sur six mais de notre côté, on a été fier de ce succès d’estime. On a senti qu’on avait surpris par notre professionnalisme. Etre considérés comme crédibles pour un projet à plus d’un million d’euros, cela nous a donné envie de continuer.

Comment avez-vous monté ce projet ?

On a vite compris qu’on devrait mobiliser des partenaires pour élargir notre offre et présenter un dossier solide. On a également mobilisé des habitants du quartier. Ils s’étaient organisés avec l’association Halle Mart’, un clin d’oeil au grand groupe de distribution Walmart. A l’époque, on s’est dit qu’après les années 2000 qui avaient vu se créer de nouvelles AMAP avec des livraisons de paniers en provenance direct des producteurs, la décennie à venir pouvait être celle de la consolidation de ces structures encore fragiles. Il y avait également des nouveaux restaurants en Scop comme de L’autre coté du Pont ou le Court Circuit.

Qu’est-ce qui vous a inspiré ?

Oxalis, une coopérative d’activités et d’emplois à l’époque installée dans les Bauges et aujourd’hui à Aix-les-Bains, que 3 Ptits Pois avait intégré. C’est une CAE généraliste et on voulait adapter ce modèle aux impératifs de la distribution alimentaire : la gestion de la caisse, du stock… D’ailleurs, le nom de code du projet était Oxalim. On a donc créé GRAP fin novembre 2012 et début 2013, on démarrait avec trois activités : 3 Ptits Pois à Lyon, Coeur d’artichaut à Tence à côté d’Yssengeaux et l’Epicerie du coing à Novalaise près du lac d’Aiguebelette.

Qu’apportait la création d’une coopérative d’activités et d’emplois ?

Elle a permis à des porteurs de projets qui ne seraient probablement pas lancés sans cet accompagnement, de bénéficier de services administratifs de comptabilité et de paye. On avait d’ailleurs choisi le logiciel libre ODOO qui s’est depuis vraiment imposé le leader du marché opensource. La particularité de GRAP, c’est qu’on a aussi développé les synergies entre ces activités autour de l’alimentaire. Mais on a très vite compris qu’on devait se développer pour tenir et pouvoir financer des services mutualisés suffisamment innovés.

Quel objectif vous êtes-vous fixé ?

20 activités à trois ans donc avant décembre 2015. On a relevé ce défi du volume. L’autre originalité de GRAP, c’est qu’on a investi aux côtés des entrepreneurs salariés de la CAE, notamment pour le stock, alors qu’habituellement ce type de structure ne prend pas ce type de risque financier. C’est possible quand on rassemble des consultants mais dans l’alimentaire, cela nous a paru incontournable d’investir. On a également lancé un service logistique, le Colivri, avec deux camions pour regrouper les livraisons et assurer le dernier kilomètre. Exemple : un magasin déniche un producteur de saucisson bio, ce qui est assez difficile et on s’organise pour livrer plusieurs magasins.

Et aujourd’hui, quels sont les contours de GRAP ?

On a une équipe de 13 salariés et on rassemble 50 activités dont 20 intégrées dans GRAP et 30 structures associées avec des statuts variés : scop, scic mais aussi des SAS ou SARL classiques. Les structures intégrées juridiquement représentent à peu près un tiers des 14 millions d’euros de chiffre d’affaires réalisés avec 160 salariés. GRAP se finance avec un système de péréquation : chacun contribue en fonction de ses moyens et bénéficie des services selon ses besoins. On ne facture pas au temps passé. Du coup, il n’y a pas d’arrêt parce qu’un crédit d’heures serait épuisé. Chaque activité paye un pourcentage de son chiffre d’affaires avec un minimum de 7,5% et des seuils moins élevés pour les grosses structures.

Est-ce rentable ?

Oui, on réalise un résultat positif de 30 000 € à 120 000€ selon les années et on a eu peu d’échecs par rapport aux statistiques générales avec 5 projets arrêtés sur les 50. Mais notre objectif reste d’abord de créer des activités et des emplois en payant des salaires, pas de dégager des excédents. Quand il y en a, ils sont répartis entre les salariés-associés avec un accord d’intéressement.

Des exemples d’activités ?

Le lieu emblématique, c’est la Super Halle d’Oullins qu’on a fortement contribué à lancer dans le quartier de la Saulaie avec une offre de restauration à midi. On a aussi développé une offre traiteur qui a décroché la restauration des artistes et techniciens des Nuits de Fourvière. Depuis 3 ans, cela mobilise 10 à 15 personnes de fin mai à début août pour servir plus de 10 000 repas. C’est un exemple de ce qu’on peut faire en mutualisant des services plutôt qu’en restant dans notre coin.

Il y a aussi l’épicerie des Halles de la Martinière ouverte en 2017 car on est revenu finalement sur ce projet quelques années plus tard, Prairial Vaulx-en-Velin, à côté de l’Hippodrome de la Soie, le magasin Mamie Marie dans le 6e, le traiteur Fenotte qui va s’installer quai Arloing… Ou encore le supermarché coopératif Demain, inspiré de la Louve à Paris et du film Foodcoop, qui va bientôt ouvrir (1).

Qu’est-ce qui vous a conduit à arrêter certaines activités ?

Un projet assez chouette d’épicerie mobile a malheureusement trouvé un peu tardivement son positionnement. Son idée était d’aller dans les quartiers urbains dépourvus de commerces pour être accessible à ceux qui avaient des problèmes de mobilité. La solution consistait à se positionner vers les structures d’accueils de personnes âgées ou handicapées mais les accords de ces sociétés ont mis trop de temps à venir. On a aussi eu un restaurant à Vienne, Le Petit Cordonnier, qu’on a du arrêter avec une ardoise de 50 000€ à la clé mais cet échec nous a servi pour lancer l’offre de restauration à la Super halle d’Oullins.

Avez-vous continué votre développement autour de Lyon ?

Oui, l’idée était de mutualiser des activités à environ 150km autour de Lyon. On est aujourd’hui présents sur 4 territoires : Savoie et Haute-Savoie, entre Annecy et Chambéry pour partie urbaine, et la Chartreuse pour le rural mais aussi Drome-Ardèche. Aujourd’hui, on a décidé de s’ancrer vraiment sur ces territoires plutôt que de tout gérer depuis Lyon. Une personne de l’équipe a déménagé cet été à Die pour ouvrir un bureau de GRAP, en s’appuyant sur un partenaire stratégique, la Carline, une coopérative qui gère un magasin bio. On a aussi un bureau à Chambéry et à Saint-Etienne.

Avez-vous le sentiment d’être une petite goutte d’eau dans un océan de mal bouffe ou de vraiment participer à la transformation de la société ?

On a clairement permis à des activités de se lancer dans des secteurs géographiques où elles n’auraient pas vu le jour dans le système classique. Exemple : une épicerie bio à Beaufort-sur-Gervanne dans la Drôme, un village de 500 habitants, ce qui évitent aux habitants de ce territoire à faire 30km pour rejoindre le magasin d’une grande chaine de bio. On a également ouvert une épicerie à Charavines, près du lac de Paladru, et à Charolles en Saône-et-Loire, deux communes d’à peine plus de 3 000 habitants.

Alors comment vous y arrivez vous !

Grâce à une économie de moyens et à une forte implication personnelle des porteurs de projet. Si vous lancez un magasin bio affilié à un réseau national, on va vous demander tout de suite 400m2 et un investissement conséquent. Il va falloir payer un droit d’entrée, une redevance, du marketing… Ce n’est pas anormal dans un réseau mais c’est un peu la grosse artillerie pour se mettre au niveau. Nous, on accompagne des entrepreneurs qui partent avec 70 000 à 100 000 € et qui vont peut-être fabriquer le meuble de caisse en palettes avec l’aide de copains.

Vous créez des emplois et vous répondez à un besoin local ?

Oui. On permet à des porteurs de projet de créer leur emploi avec une activité qui a du sens pour eux et dans un territoire où ils aiment vivre. Ils ne seraient pas senti légitimes ni assez armés pour se lancer sans GRAP car en théorie, la taille de ces communes ne permet pas de faire vivre un commerce essentiellement tourné vers le bio. C’est une des missions sociales de GRAP.

Le projet politique porté par la coopérative a deux dimensions : l’alimentaire durable évidement qu’on partage avec plein d’autres acteurs, et la coopération au travail pour créer des sociétés dans lesquelles les gens peuvent participer aux décisions, monter en compétences, prendre des responsabilités et être dans un cadre de travail où la répartition des richesses se fait en faveur des salariés et pas seulement du capital. Ce qu’on veut, c’est conserver une structure légère pour éviter le principe de la centrale d’achat en un seul endroit et que ce soit supportable pour tout le monde. Que le producteur et l’épicerie se rémunère convenablement et que cela reste accessible pour les clients.

Avez-vous envisagé de vous développer hors de la région ?

Oui, car on est souvent contacté par des porteurs de projets qui voudraient s’affilier au GRAP de leur région alors qu’il n’existe pas. On a failli se lancer à Tours mais la structure sur laquelle on voulait s’appuyer, était encore trop récente pour être en mesure d’essaimer. En revanche, on a des contacts avancés avec des porteurs de projets à Rennes et Lorient. Ce qui est certain, c’est qu’on n’ira pas nous-mêmes lancer ces projets, on s’appuiera sur des compétences locales pour cet essaimage complexe en apportant notre expérience. On a aussi des contacts en Ile de France avec une structure avec laquelle on va pouvoir s’épauler mutuellement car elle est part des producteurs et descend vers la distribution. Nous, on fait le chemin inverse. En effet, le constat, c’est que GRAP a été lancé par des urbains pour répondre à un besoin d’alimentation durable mais peu à peu, on remonte la filière vers l’approvisionnement agricole. Ce qu’on a fait avec des magasins, on peut le faire en accompagnant des producteurs. Notre priorité, c’est aujourd’hui de remonter la filière vers agricole et de renforcer notre ancrage territorial.

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