Stella Bitchebe, doctorante en informatique à l’ENS Lyon et à l’Université Côte d’Azur, fait partie des 35 jeunes chercheuses lauréates du Prix Jeunes Talents Pour les Femmes et la Science France 2021. La Camerounaise de 27 ans a dû lutter contre les préjugés pour poursuivre ses études jusqu’en thèse. Rencontre. Par Clotilde Brunet
“Quand j’ai reçu l’appel pour m’annoncer que j’étais lauréate, je me suis mise à danser ! C’est une très grande fierté ! J’étais surprise car ce prix est très sélectif”, raconte Stella Bitchebe. En effet, sa candidature a été retenue parmi les 750 dossiers envoyés. Ce prix a été décerné le 7 octobre dernier par la Fondation L’Oréal, avec l’Académie des sciences et la Commission nationale française pour l’UNESCO. Les 21 doctorantes et les 14 postdoctorantes ont reçu une enveloppe de 15 000 euros pour les premières et de 20 000 pour les secondes afin de les aider dans le recrutement de stagiaires, le financement de déplacements, voire la garde d’enfants quand les chercheuses doivent se rendre à des conférences… Cette récompense est une ligne en plus sur leurs CV et une occasion de leur donner de la visibilité. “Toutes les lauréates que j’ai rencontrées ont le même objectif : attirer plus de jeunes filles dans nos domaines. J’ai déjà reçu des mails d’enseignantes me demandant d’intervenir auprès de leurs étudiantes après mon passage dans certains médias. J’ai envie de transmettre !”, ajoute la thésarde à l’ENS Lyon et à l’Université Côte d’Azur (UCA). La semaine précédant la remise du prix, les jeunes scientifiques ont des formations team building, leader management, sexisme au travail…
Ses recherches en informatique portent sur la virtualisation. Traditionnellement, on exécute un service sur un serveur mais la virtualisation permet de mutualiser et de démarrer simultanément plusieurs services sur un seul serveur. “Mon travail consiste à proposer de nouvelles améliorations des serveurs pour accroître le taux de mutualisation des serveurs, ce qui va permettre de diminuer le nombre de serveurs dont on a besoin et de réduire la consommation électrique. La consommation électrique représente de 50 à 110 % des dépenses dans un data center ! Cependant cela pose des problèmes de sécurité…”, nuance la chercheuse. Toujours avec beaucoup de pédagogie, elle compare les serveurs à des voitures. “C’est comme si vous faites du covoiturage, vous diminuez le nombre de véhicules et la pollution atmosphérique… En revanche, il faut faire plus attention à vos affaires que si vous vous déplacez avec votre propre voiture. C’est pareil en informatique, il peut y avoir de la corruption de données, du vol de ressources…”
Vocation
Fille d’un ingénieur polytechnicien en génie électromécanique et d’une prof de SVT en lycée, Stella Bitchebe a les sciences chevillées au corps depuis le plus jeune âge. “Je suis l’aînée de cinq filles. Dans la culture africaine, c’est important d’avoir un garçon car c’est lui qui va maintenir la lignée. Mes parents ont reçu beaucoup de critiques… Depuis l’âge de 7 ans, je me suis promis de faire perdurer le nom de mon papa autrement. Exceller à l’école, c’est ce que je savais faire le mieux. Ma maman a eu du mal à m’apprendre à faire la cuisine par exemple, à chaque fois je lui rétorquais que je devrais être dans mes cahiers”, rapporte la jeune scientifique. Elle a impulsé le mouvement, ces sœurs poursuivent elles aussi des études scientifiques. Cependant tout au long de son parcours universitaire au Cameroun, Stella a toujours été l’une des rares femmes… Elles n’étaient que 2 sur une promo de 24 quand elle étudiait les statistiques, puis 5 sur 35 quand elle est rentrée à l’école polytechnique de Yaoundé… “En dernière année à l’école polytechnique, on a eu Alain Tchana comme enseignant. Il proposait un stage de fin d’études à ses deux meilleurs étudiants, j’ai réussi et j’ai effectué mon stage à Toulouse. Par la suite, Alain Tchana m’a proposé une offre de thèse à l’Université de Nice que j’ai acceptée ! En 2019, il a été affecté à l’ENS Lyon et je l’ai suivi. Je préfère Lyon à Nice, c’est une ville plus chaleureuse et cosmopolite”, estime la jeune femme.
Encore aujourd’hui, elles sont une minorité de chercheuses dans son labo de recherches à l’ENS. “Je n’entends que des préjugés : c’est trop dur, ingénieur c’est un métier d’hommes… Beaucoup de camarades me demandent quand est-ce que je me marie ou quand est-ce que j’ai des enfants.” Pour le moment la doctorante a d’autres plans, notamment effectuer un stage de 3 mois à Microsoft à Cambridge après avoir remporté un appel à projet lancé par la firme multinationale. Elle devrait soutenir sa thèse en informatique à la rentrée prochaine.
Et après ? Stella Bitchebe se voit poursuivre en postdoctorat aux États-Unis puis faire de la recherche académique ou en entreprise en France… Même si les démarches administratives pour étudier et faire de la recherche ne sont pas simples pour les étrangers. “Quand je suis arrivée à Nice, ça a été très compliqué avec la préfecture. J’ai même dû rentrer au Cameroun pour renouveler mon visa. C’est une région très à droite et je l’ai ressenti ! À Lyon, l’espace Ulys de l’Université nous aide à faire les demandes. J’ai un titre de séjour d’un an”, résume-t-elle. À son niveau, la jeune camerounaise essaie de mener des actions dans son lycée ou encore à l’école polytechnique de Yaoundé mais elle ne se voit pas poursuivre sa carrière dans son pays d’origine. “Sans vouloir cracher sur le pays qui m’a faite, c’est compliqué la recherche au Cameroun. Si je devais rentrer au Cameroun, ce serait forcément pour travailler en entreprise. Mon directeur de thèse, Alain Tchana, lui aussi Camerounais, essaie d’ouvrir des laboratoires de recherche avec l’Inria et le CNRS pour faire en sorte que les chercheurs puissent être formés sur place et évitent de déserter !”
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