Le réaménagement de la rive droite du Rhône est triplement symbolique pour le maire écologiste de Lyon. Par son ampleur et sa situation en centre-ville mais aussi parce qu’il pourra concrétiser son engagement de piétonniser et de végétaliser davantage Lyon en reconnectant la ville à son fleuve. Certaines réductions de voirie ont déjà provoqué des polémiques mais Grégory Doucet compte sur une évolution des modes de vie à l’avenir. Propos recueillis par Lionel Favrot
Souhaitez-vous réaliser “vos” Berges du Rhône comme Gérard Collomb ?
Grégory Doucet : Non, la rive droite du Rhône ne sera pas forcément aménagée de manière identique ni dans le même état d’esprit que la rive gauche. Comme on l’a annoncé avec Bruno Bernard en lançant la concertation le 8 novembre, on envisage ce projet Rive Droite de manière multiforme, parfois plus au ras du Rhône, parfois plus en hauteur. On veut laisser la créativité et l’imagination des Lyonnais s’exprimer.
D’un point de vue architectural, ce ne sera pas un miroir de la rive gauche ?
Non, ce ne sera pas un jardin à la versaillaise! La priorité que je porte c’est de reconnecter Lyon et ses habitants à son fleuve. En rive droite, on est vraiment éloigné du Rhône.
Qu’est-ce qu’on peut imaginer de si différent ?
Ces nouveaux aménagements ne se feront pas forcément avec des voies rectilignes. On va aménager par tronçon et on s’autorise des différences de l’un à l’autre. Il faut libérer les imaginaires et s’autoriser à rêver. J’ai une grande confiance dans la créativité de chacun. On ne pourra pas tout faire sur ce mandat mais la Métropole a quand même prévu d’investir 30 millions d’euros d’ici 2026 sur un projet estimé à 100 millions d’euros.
C’est un projet qui concerne directement Lyon mais ce sera financé par la Métropole ? Tout se passe bien avec le Président de la Métropole ?
Oui, c’est très fluide. Le comité de pilotage associe des élus de ces deux collectivités locales. On va aussi associer aux réflexions les élus du 1er et du 2e arrondissements mais aussi ceux de la rive gauche, des 6e, 3e et 7e arrondissements. En effet, et je tiens à le souligner : les ponts sont intégrés à ce processus de requalification.
Comment ces ponts du Rhône pourraient évoluer ?
Aujourd’hui, ils n’ont qu’une fonction de franchissement. Ces ponts pourraient avoir d’autres usages et devenir des espaces publics en tant que tels, bien sûr en cohérence avec les aménagements de la rive droite. En continuité !
Même si vous ouvrez la concertation, vous avez quand même des priorités…
Oui. Je veux vraiment être le maire des piétons. Je veux leur redonner plus de place. La Rive Droite doit le symboliser. Cela peut être de la promenade, des jeux d’enfant, du sport, des espaces végétalisés, du commerce… On peut tout imaginer. Qu’est-ce qu’on déconstruit, qu’est-ce qu’on construit à la place, en quai bas ou en quai haut.
Est-ce qu’on peut imaginer des ponts habités à Lyon comme dans certaines villes ?
On peut tout imaginer mais ils peuvent surtout devenir des prolongements de ces nouveaux espaces publics qu’on va créer sur les quais, avec des espaces pour faire du sport, des jeux… Les ponts pourraient accueillir des événements, des expositions… Exemple le Pont de la Guillotière. Si on part de la place Bellecour, on a la possibilité d’une belle continuité.
Mais on ne peut pas déconnecter ce projet Rive Droite de la piétonnisation de la Presqu’île…
Je préfère parler d’apaisement que de piétonnisation car on ne va pas totalement éliminer la voiture. On aura encore besoin d’axes de circulation traversants. Et le schéma directeur n’est pas encore arrêté. Mais oui, on ne peut pas déconnecter ces deux projets.
Où est la nuance entre piétonnisation et apaisement ?
L’idée n’est pas de piétonniser l’intégralité de la Presqu’île mais de le faire partout où c’est souhaitable et attendu. On ne va pas retirer tout véhicule du centre-ville.
Avec le projet Rive Droite, vous pensez réduire la place de la voiture dans quelle proportion ?
Aujourd’hui selon les tronçons, 60 000 à 80 000 véhicules passent sur ces quais chaque jour. Je ne peux pas décrire ce projet en détail puisqu’on ouvre la concertation. Mais ce qu’on veut, ce sont des espaces piétons plus importants avec une véritable promenade, une voie réservée pour les bus…
Du coup, vous souhaitez diviser ce flux de véhicules par deux? Davantage ?
On ira au-delà de la moitié.
Où iront ces véhicules quand ces réductions de voirie seront effectives ?
Ce qu’on constate lors d’aménagements comparables, c’est une évaporation des véhicules. Ce n’est pas une disparition magique. Les automobilistes se reportent sur d’autres modes de transport comme les modes doux, transports en commun ou vélo. Sans oublier la marche. Je rappelle que plus de la moitié des trajets en voiture à Lyon se font sur moins de 3 km.
En l’absence de tronçon ouest du périphérique et de contournement ouest de Lyon, quelle infrastructure va récupérer le trafic de transit par exemple ?
Je pense qu’une partie des gens vont aussi changer de mode de vie et de logements en se rapprochant du centre-ville, par exemple habiter à Lyon même, pour réduire leurs trajets quotidiens. Les gens vont aussi d’eux- mêmes changer d’horaires de passage. Il y aura aussi un développement massif du télétravail avec des aménagements d’horaires. La conséquence, c’est d’optimiser l’usage des infrastructures routières. Si tout le monde ne passe plus au même moment, on peut étaler ce flux de circulation dans la journée. Même si le trafic diminue, il ne sera pas de zéro.
Du coup, vous allez devoir continuer à laisser construire à Lyon !
Mais c’est ce qu’on fait !
À combien vous évaluez cette évaporation ?
On a quelques repères même si ce ne sont pas des projets strictement comparables ni des exemples indépassables. Quand l’autopont de Mermoz a été détruit, dans le 8e arrondissement à l’entrée de Lyon depuis Bron, 30 % des véhicules ont disparu. À Nantes, dans les mêmes circonstances, la baisse du trafic est de 50 %. À Séoul, ça dépasse les -80 % après la suppression de plusieurs échangeurs autoroutiers.
En termes de végétalisation, quelles sont vos attentes ? Vous allez adapter les espèces plantées au réchauffement climatique, varier les diversités…
Notamment. De nouvelles manières de végétaliser la ville apparaissent. Exemple : on vient d’inaugurer la première plantation selon la méthode d’Akira Miyawaki. Ce botaniste japonais a imaginé de planter de manière très dense, tous les 30 cm, des espèces endémiques, donc locales et adaptées au climat, pour récréer un espace de type forestier. Ces arbres poussent très vite avec un système racinaire qui s’entremêle. Ce qui est très bien décrit dans le fameux livre La vie secrète des arbres de Peter Wohlleben. En trois ans, c’est déjà visible et ensuite la forêt vit sa vie avec différentes strates de croissance.
On pourra voir des plantations Miyawaki en rive droite du Rhône ?
Oui. On en a déjà prévu 26 à Lyon réparties dans les neuf arrondissements. L’arbre est très efficace contre le réchauffement climatique. Ils absorbent du CO2 et restituent de l’oxygène, réduisent les îlots de chaleur…
Des vergers pourraient-ils aussi remplacer les voitures ?
Oui. On a déjà planté neuf vergers, un par arrondissement, en 2020 et de nouveau neuf cette année 2021, ce qui fait un total de dix-huit. Mais on peut aussi imaginer une végétation plus rase. Cela reste à inventer.
L’autre projet connecté à la Rive Droite, c’est celui de l’avenir du quai Perrache où l’autoroute M7 a été déclassifiée… Avez-vous un calendrier ?
Aujourd’hui, on n’a pas de date posée. La réflexion doit bien sûr être menée en amont et en aval de ce tronçon, notamment en termes de circulation. On pourrait imaginer de positionner des feux pour ralentir le flux mais rien que pour ça, il faudra des études qui en mesurent les effets au-delà de la Confluence.
Avez-vous quand même des attentes sur ce secteur ?
En tant que président de la SPL Lyon Confluence, j’ai demandé qu’on étudie une meilleure accroche au Rhône vers l’autopont et le musée. Il y a beaucoup de circulation et on veut là aussi redonner un accès au fleuve. Partout, où on pourra reconnecter Lyon avec le Rhône, on va chercher à le faire.
Accepteriez-vous des bâtiments flottants sur le Rhône ?
Pourquoi pas! C’est tout à fait envisageable. La réflexion est vraiment ouverte.
Mais le Patadôme théâtre, prévu au niveau du pont Gallieni et de l’avenue Leclerc, dans le 7e arrondissement, provoque déjà des polémiques !
La particularité de la rive droite, c’est qu’on a des quais bas. On pourrait donc installer des structures d’une certaine hauteur.
Le classement à l’Unesco d’une partie de la Presqu’île ne va pas bloquer toute créativité contemporaine ?
La rive droite du Rhône se situe dans ce qu’on appelle la zone tampon. Mais on devra bien sûr recueillir l’avis des architectes des bâtiments de France.
Rien que pour la pose du Flower Tree vers la place Antonin Poncet, cela a été toute une histoire!
Oui, mais il est là ! On ne va pas muséifier l’existant. Qui remettrait en cause aujourd’hui l’amélioration de la qualité de vie apportée par les Berges du Rhône ? Avec ces aménagements, on va créer le patrimoine de demain. Ce sera ce qu’on attend en bordure de fleuve au XXIe siècle, avec une autre manière de se connecter à cet écosystème.
Entretien paru dans le dossier Mag2Lyon de décembre 2020, consacré au projet « Rive droite ”