Le Lyonnais Gilles Moretton a été élu mi-février à la tête de la puissante fédération du tennis français, qui gère entre autre, Roland-Garros. Nous avions rencontré cet entrepreneur il y a quelques mois, pendant une campagne électorale rendue compliquée par la crise sanitaire mais aussi une rivalité ouverte avec l’ancien président. Entretien. Par Maud Guillot
Quel a été votre parcours ?
Gilles Moretton : J’ai toujours fait beaucoup de sports, notamment du ski. À 12 ans, j’ai été sélectionné dans un sport études de tennis à Nice, où j’ai partagé le dortoir de Yannick Noah pendant 5 ans. J’ai été champion de France minimes, cadets, juniors… J’ai raté mon bac, mais je suis parti sur une carrière pro de tennis. J’ai été classé 65e à l’ATP. J’ai joué la coupe Davis, Roland Garros… Mais à 26 ans, en 1984, j’ai décidé d’arrêter pour me reconvertir.
Quelle a été votre reconversion ?
Je suis devenu moniteur de tennis. J’ai enseigné pendant 10 ans l’été à Val d’Isère. Dans le même temps, j’ai travaillé pour Wilson et Marlboro, deux marques où j’ai appris le marketing. En 1986, j’ai créé le Grand prix de tennis de Lyon. C’est comme ça que je suis devenu entrepreneur. Pendant 35 ans, j’ai tenté de nouvelles aventures : le Marathon de Lyon, un open de golf à Villette d’Anton… J’ai créé des petites boîtes, une agence de voyages, une agence d’hôtesses, Profil, rachetée par GL Events. J’ai été président de l’ASVEL pendant 17 ans.
Mais vous avez aussi vendu votre entreprise à Canal plus…
Oui, à un moment, j’ai compris que je devais m’adosser à un grand groupe. Les enjeux devenaient importants. La concurrence en matière d’événementiel était de plus en plus forte. Il y avait l’OL, le LOU, l’Asvel… mais aussi les Nuits de Fourvière, la Biennale de la danse. Les subventions publiques comme les mécènes n’étaient pas extensibles. J’ai vendu Gilles Moretton Organisation devenue Occade Sport à Canal.
Et ça ne s’est pas très bien passé !
En effet. J’avais vendu à Alexandre Bompard, un ami, en adhérant à son projet. Mais il a été débauché par Europe 1. Je ne me suis pas entendu avec son successeur. Du côté de l’ASVEL, Tony Parker a dealé avec nous pour reprendre les manettes du club. C’était très bien. Mais comme à 59 ans, j’avais tout vendu, j’ai dit stop. Ce n’est pas facile de diriger des PME ! C’est usant.
C’est aussi à cette époque que vous avez dirigé TLM…
En 2010, Le Progrès souhaitait se débarrasser de TLM. Je suis entré comme actionnaire. Je voulais construire une salle multifonction à Lyon, pour le tennis et le basket. Ça me permettait d’acquérir un opérateur vidéo, pour mutualiser les coûts. En 2013, les autres actionnaires m’ont demandé de devenir président et d’aller chercher du fric. Mais le modèle n’était pas bon. Je suis parti en 2014. Et finalement, la télé a été vendue à BFM.
Vous avez donc pris votre retraite ?
En quelque sorte. J’ai décidé de m’occuper de moi et de ma famille. J’adore la pêche à la mouche. Je rêvais de faire l’Himalaya, les lacs sacrés au Népal et le tour des Anapurnas. Ce que j’ai fait ! J’ai coupé toute relation avec le monde des affaires. Je ne voulais plus en entendre parler. Je voulais être libre ! Libre de faire et dire ce que je veux.
Alors pourquoi être revenu dans le monde du tennis ?
Ma famille, c’est le tennis. Plusieurs amis de la Région m’ont demandé un coup de main car mon cursus les intéressait. J’avais une expertise du jeu mais je ne connaissais rien à la gestion d’une Ligue. Je suis donc allé sur le terrain, au contact des clubs d’Auvergne-Rhône-Alpes pour comprendre. J’ai été accueilli avec bienveillance. Je me suis nourri de ces rencontres. Et j’ai décidé d’y aller.
La campagne pour la présidence de la Ligue Auvergne-Rhône-Alpes n’a pas été facile puisque le président national Bernard Giudicelli vous a attaqué…
Oui, j’ai été diffamé. Je ne m’attendais pas du tout à ça. Pour moi, c’était du bénévolat. J’étais là pour aider. En plus, j’étais apolitique. C’est-à-dire que je ne m’étais pas prononcé dans la bagarre nationale. Et je ne connaissais pas du tout ce personnage. Je n’ai absolument pas compris ces attaques. Mais j’ai gagné mon procès en diffamation.*
Ces attaques ne vous ont pas freiné ?
Non, parce que je suis un compétiteur. Et je déteste l’injustice. Je venais donner de mon temps, gratuitement, sans attendre de notoriété ou de rémunération. D’ailleurs, je paie mon téléphone, mon ordinateur… Et là, il m’a traité de voleur ! Sans aucune preuve. Ensuite, il m’a mis des bâtons dans les roues pendant la campagne.
Avez-vous compris pourquoi avec le recul ?
Oui, parce qu’il souhaitait imposer son favori, qui était alors président de la Ligue du Dauphiné-Savoie. J’ai mis du temps à comprendre les enjeux. J’avais été bénévole dans des associations avec Yannick ou Solidays, mais je n’avais jamais vu une telle avidité de pouvoir. J’ai proposé mon programme et j’ai finalement été élu contre le cours du jeu en janvier 2018.
Qu’avez-vous mis en place spécifiquement en Auvergne Rhône-Alpes ?
J’ai œuvré sur la détection et l’entraînement des jeunes. J’ai par exemple appliqué des critères pour l’attribution des aides aux clubs alors que jusqu’à présent, c’était à la “tête du client”, en fonction de ce qu’ils votaient. Moi, j’ai restauré de l’équité. Au fil des mois, j’ai échangé avec d’autres présidents de Régions. On s’est rapprochés. Et on a créé un mouvement alternatif : Ensemble pour un autre tennis.
Qu’est-ce que vous proposez ?
On souhaite d’abord transformer la gouvernance du tennis français qui est aujourd’hui inacceptable. Le comex, qui dirige la fédération et qui est composé de 18 membres, est uniquement issu de la liste majoritaire. Il n’y a donc aucune place pour “l’opposition”. Le président est élu par 198 délégués et pas par les clubs qui sont 7 500 en France pour un peu moins d’un million de licenciés. D’ailleurs, il faut plus globalement redonner la parole aux clubs. Les dirigeants actuels de la FFT ont tendance à les oublier.
Comment l’expliquez-vous ?
Notre fédération est la plus importante de France, plus que le foot ou le rugby. Tout simplement parce que nous gérons Roland Garros, qui rapporte 92 % de nos 330 millions d’euros de budget. On dégage 15 millions d’euros de bénéfices. Ce soleil éblouit, mais il peut aussi aveugler. Moi, Roland Garros ne me fascine pas. J’y ai joué. J’y ai même habité à 18 ans. J’y ai un accès permanent. J’adore ce tournoi. Mais il ne me détourne pas de l’essentiel : le tennis.
Vous souhaitez aussi réformer la formation pour le haut niveau ?
Oui car notre direction technique nationale n’est plus un modèle pour les autres pays. Elle a su être pilote mais il faut lui redonner une colonne vertébrale. Ça part un peu dans tous les sens. C’est sûrement pour ça que les résultats des Français s’en ressentent au plus haut niveau.
Comment vous êtes-vous finalement décidé à briguer la présidence de la FFT ?
J’étais hyper heureux dans ma Ligue ARA qui est à taille humaine. Cet engagement est très enrichissant. Mais on est venu me chercher. Essentiellement des dirigeants de Ligues régionales, des présidents de clubs… On a voté au sein de notre association, Ensemble pour un autre tennis, qui représente 60 % des licenciés français. Et j’ai été élu pour porter cette ambition. Quand j’étais joueur, j’étais plutôt attaquant. J’ai des idées et j’ai envie de les mettre en œuvre. On a donc ouvert 12 chantiers sur 12 thèmes. On va consulter les clubs et constituer un programme détaillé. J’espère bien être élu le 12 décembre prochain.
Est-ce que Yannick Noah vous soutient ?
Il ne s’est pas prononcé et je ne lui ai pas demandé. Il est libre lui aussi ! J’ai reçu énormément d’autres soutiens.
Vous en faites une affaire personnelle : Vous voulez prendre votre revanche sur Bernard Giudicelli…
Absolument pas. C’est derrière moi. La justice s’en est chargée. Mais ce qui s’est passé est symptomatique d’un système. Je veux le combattre. Je ne veux pas moi-même l’alimenter par des bassesses. Le fait est que dans le monde du tennis, il y a peu de personnes qui ont mon CV. Le président actuel n’a jamais vraiment pratiqué ce sport. Il n’en connaît pas toutes les facettes. J’espère amener un œil neuf.
Vous vous êtes opposé à la réforme de la Coupe Davis. Est-ce que c’est aussi ce qui vous a décidé ?
En partie. J’ai combattu cette réforme qui condense cette compétition internationale sur deux semaines et qui la dénature. On m’a à peine donné la parole. Le vote a été faussé au sein d’une assemblée générale extraordinaire. 90 % des clubs ne l’auraient pas votée. Or ce sont eux les consommateurs du tennis. Avec cette réforme, on a cédé à la finance !
Mais ça va rapporter beaucoup plus d’argent à votre fédération !
Moi, j’ai une solution pour faire rentrer de l’argent : vendons Roland Garros ! On trouvera sûrement des acheteurs en Chine ou à Dubaï. Je plaisante bien évidemment. J’estime plutôt que certaines choses relèvent du patrimoine commun. La coupe Davis devait évoluer, mais on a vendu son âme. Le président de la Fédération aurait pu imposer d’autres vues.
Mais il n’a peut-être pas de marges de manœuvre face aux autres Nations ?
Le président de la FFT est très influent dans le monde. Grâce à Roland Garros. Grâce aux 7 500 clubs, qui ont tous des éducateurs diplômés. La France est une vraie nation de tennis. Et elle pèse dans le monde.
Même si la pratique y est en baisse…
Il ne faut pas faire une fixation sur les chiffres. On a vécu l’âge d’or du tennis dans les années 80. Ce sport est un peu moins tendance aujourd’hui. Les jeunes ont un large choix de pratiques sportives. Il y a plus de concurrence. Ensuite, les gens consomment différents. Il faut que les clubs s’adaptent à leurs clients. Je dis bien “clients”. Avant, on les considérait comme des adhérents ou des licenciés. Mais ils attendent un service. Comme on est bénévole, on estime que c’est déjà pas mal et que les adhérents devraient nous dire “merci”. Mais ça ne marche plus comme ça. On doit faire notre révolution. Et on regagnera des joueurs.
Sans parler du fait que les clients peuvent avoir des attentes différentes !
Oui, il y a les jeunes et les anciens, ceux qui veulent du loisir, d’autres de la compétition… Les clubs doivent connaître leurs membres et s’adapter.
Quel est le rôle des résultats plutôt moyens de nos joueurs vedettes dans cette désaffection ?
Tsonga, Monfils, Gasquet, Simon… Cette génération est exceptionnelle. Mais ils n’ont pas eu l’impact ou le capital sympathie qu’on aurait pu imaginer. Peut-être parce qu’ils ont devant eux des mecs exceptionnels comme Nadal ou Federer. Peut-être aussi parce qu’ils n’ont pas su nouer un lien de proximité avec le public. Mais ça se travaille. Et on fera des efforts de ce côté-là.
* En 2017, le président de la FFT Bernard Giudicelli a écopé d’une amende de 10 000 euros pour avoir dit que Gilles Moretton était “accusé de faire partie de ces joueurs qui, en 2011, ont nourri le réseau des concierges qui se procuraient des billets et les revendaient dix fois le prix”