Estelle Mossely “Retrouver la pureté du sport”

La boxeuse Estelle Mossely, licenciée au Boxing Lyon United, sera une des têtes d’affiche des JO 2024. Médaillée d’Or en 2016, elle se lance dans un challenge difficile après être passée professionnelle et être devenue maman de deux enfants. À 31 ans, elle espère bien marquer l’histoire de la boxe. Rencontre. Par Maud Guillot Comment vous, la Parisienne, vous êtes-vous retrouvée à Lyon? Estelle Mossely : L’histoire a commencé en 2015. Je suis venue à Lyon pour un stage d’une semaine avec l’entraîneur de l’équipe nationale masculine, qui me suivait avant les JO. Il connaissait Kamel Hasni, l’entraîneur du Boxing Lyon United, qui m’a trouvé des sparring-partner. J’ai sympathisé avec sa sœur. Par la suite, je suis souvent venue lui rendre visite... Après les JO de 2016, je suis passée professionnelle. J’ai fait des tests avec deux entraîneurs. Ça n’a pas fonctionné. Mon amie m’a proposé d’essayer avec son frère Kamel. Ça a bien matché. C’était un pari car ce jeune entraîneur n’avait jamais coaché de boxeuse de votre niveau... Oui, il n’avait même jamais entraîné de fille. Je ne connais- sais pas ses méthodes. Mais j’avais besoin d’être entourée de personnes proches, d’être en confiance. Je m’entends bien avec toute la famille, au-delà du sport. Ce choix a été porté par une approche sentimentale. Cela dit, j’ai découvert un homme compétent, à l’écoute... Il est calme. Il accepte de se remettre en questions quand il n’est pas dans la bonne direction. Il ne se vexe pas. Mais au-delà de la confiance, a-t-il encore des choses à vous apporter d’un point de vue technique et tactique ? Oui. Car je ne suis pas encore la meilleure boxeuse professionnelle. Je fais partie des meilleures. Ça veut dire que je peux encore progresser. Kamel a une vraie expertise technique et tactique. D’ailleurs, il m’a très bien accompagnée quand j’ai décidé de repasser en boxe olympique pour les JO 2024. Ça a payé. Je me suis qualifiée dès le mois de juin 2023. On va donc continuer à travailler pour décrocher une deuxième médaille d’Or. Vous entraînez-vous à Lyon? Non. Je l’ai fait pendant un an, avec des allers-retours à Paris où je vis. Mais avec deux enfants, ce n’est pas simple... J’étais un peu fatiguée. En début d’année 2023, Kamel est passé entraîneur national en vue des JO. Il s’occupe de l’équipe masculine, à l’INSEP, en plus de moi. Il sera dans mon coin pour les Jeux Olympiques. Il est donc venu s’installer à Paris. Mais nous restons bien entendu attachés à notre club de Lyon. Pourquoi avoir fait ce choix de revenir en boxe amateur alors que vous étiez professionnelle ? C’est en effet assez atypique comme parcours. Depuis 2016, les boxeurs devenus pros peuvent redevenir amateurs, mais uniquement pour participer aux Jeux. Pour les femmes, cette bascule est possible depuis 2021. En fait, dans les sports olympiques qui sont avant tout une vitrine du sport amateur, on voit de plus en plus de professionnels. Comme dans le tennis par exemple. La boxe a voulu suivre cette tendance. Mais quelle est la différence? En boxe professionnelle, les femmes vont jusqu’à 10 rounds de 2 minutes, les hommes jusqu’à 12 de 3. En amateur, c’est un format unique de 3 fois 3 minutes. De plus, les tournois se font par tirage au sort : deux favoris peuvent tomber face à face dès le premier tour. Alors qu’en boxe professionnelle, on monte en niveau au fil des combats jusqu’à gagner le droit de combattre le champion pour le titre. Résultat, cela change complètement la préparation. C’est comme si on comparait un 100 m et un 5 000 mètres en athlétisme. En boxe amateur, il faut être décisif rapidement, mettre beaucoup d’intensité, d’autant que les femmes gardent le casque. On ne cherche pas le KO mais les touches et les points. Qu’est-ce qui vous a motivé à titre personnel ? Les Jeux de 2016 ont été mon meilleur souvenir sportif. Ils m’ont fait vibrer, comme ceux qui m’accompagnent et me suivent. De plus les JO, c’est uniquement du sport. Quand on passe professionnelle, les enjeux sont autres. Il y a du business, des contrats, des calculs de classement, une influence du promoteur... Avec les Jeux, je vais re- trouver la pureté du sport. [caption id="attachment_11300" align="aligncenter" width="364"] Estelle Mossely a remporté la Médaille d’Or aux JO en 2016 : elle espère récidiver © DASHADES PICTURES[/caption] Mais avec des revenus moins importants... Oui, bien sûr. Cette décision était une prise de risque sportive - puisque je dois boxer différemment - mais aussi financière. Mais avec ma notoriété, j’ai des partenaires. Le fait que les JO soient à Paris aide. Je compose différemment. De toute façon, je n’avais jamais imaginé faire de la boxe un métier. J’aime toujours être challengée. Même si je suis en fin de carrière, je pense que je peux faire de belles choses. Peut-être même plus qu’en 2016. Vous évoquez régulièrement vos grossesses qui sont souvent des moments compliqués à gérer pour les sportives de haut niveau... Oui. Ces grossesses n’ont pas été un frein pour moi. Je pense même que c’est ce qui m’a permis de perdurer. Physiquement, le sport de haut niveau est très exigeant. Ces moments de pause m’ont permis de panser mes blessures. Après 2016, j’avais des douleurs partout. Je pensais me faire opérer du poignet, je souffrais des coudes. Au bout d’un an d’arrêt pour ma première grossesse, je n’avais plus rien. Comment avez-vous réussi à retrouver votre niveau ? J’ai été bien entourée ; notamment par mon kiné. Les sportifs ont une connaissance fine et précise de leur corps. C’est encore plus vrai en boxe où on a un œil rivé sur le poids, du fait des différentes catégories. Je suis assez experte des sensations de mon corps. De plus, il se souvient. La reprise est donc plus rapide. Même après ma première grossesse, pour laquelle je me suis arrêtée un an. Pour la deuxième, je me suis entraînée jusqu’à 7 mois, j’ai repris 6 semaines après mon accouchement. Ça a été moins dur de reprendre ! Comment gérez-vous votre emploi du temps avec vos deux enfants? Je suis aujourd’hui séparée mais je peux compter sur mes parents qui m’aident et me soutiennent énormément. C’est une question d’organisation. Je m’entraîne 35 h par semaine. L’équivalent d’un travail. Et quand j’ai un enfant malade, il faut en tenir compte. Je ne mets pas entre parenthèses mon rôle de maman pendant les mois avant les JO. La grosse différence par rapport à une maman “classique”, c’est l’aspect émotionnel du sport de haut niveau et une petite recherche d’agressivité à l’approche des combats, ce qui n’est pas très compatible avec l’éducation des enfants ! Je fais donc attention à ce moment-là. Vous avez manifesté l’envie d’être porte-drapeau de la délégation française. Pourquoi ? C’est un rêve pour tous les sportifs. Il y aura beaucoup de candidats pour ce binôme femme-homme car nous sommes tous des compétiteurs et des leaders ! Mais il n’y a jamais eu de boxeur porte-drapeau. J’ai envie d’emmener cette team France, de partager mon expérience... J’ai été médaillée olympique dans une discipline où les champions sont rares. Par ailleurs, je pense que je défends d’autres valeurs en dehors du sport, auprès des jeunes, en France et en Afrique, et des femmes sportives de haut niveau. J’ai d’ailleurs une association, lperf. Être sportif de haut niveau, c’est une démarche finalement assez égoïste car on veut être champion pour soi, mais il y a plein de messages à faire passer. On a un rôle social à jouer auprès des autres. La boxe est historiquement un sport populaire, pratiqué plutôt dans les quartiers défavorisés. Est-ce qu’être porte-drapeau, c’est aussi envoyer un message à ces jeunes ?£ Oui. Je ne suis pas issue d’un quartier difficile. Mais je représente quand même une forme de métissage puisque ma mère est ukrainienne et mon père congolais. Mes parents avaient de bons diplômes qui n’ont pas été reconnus en France. On était dans la classe moyenne. Je n’ai jamais imaginé que je n’allais pas réussir parce que j’étais une femme, avec des parents d’origine étrangère.Tout est possible : il faut juste connaître ses forces, s’accrocher à ses objectifs, se dépasser. Aucun chemin n’est lisse. J’ai connu des échecs dans ma vie sportive, dans ma vie personnelle... Il faut repartir de l’avant. Avoir confiance en ses capacités. Avez-vous rencontré des difficultés particulières en tant que femme, évoluant dans un univers masculin ? Non. Peut-être que je suis bien tombée. J’ai commencé à Champigny-sur-Marne avec des entraîneurs bienveillants. J’étais la seule fille. On m’entraînait avec la même exigence et rigueur que les garçons mais toujours avec vigilance. Par exemple pour éviter que des garçons vexés n’appuient plus. Il faut quand même tenir compte de différences : prendre des coups au visage, ce n’est pas rien. On tolère moins de voir une femme avec un œil au beurre noir... Oui, on me posait des questions quand je revenais avec des coquards ! Heureusement, je n’ai jamais été défigurée sur mes combats. En revanche, on m’a souvent dit : tu n’es pas trop moche pour une boxeuse. Réflexion qu’on n’aurait jamais faite à un homme... J’ai le droit d’être féminine en faisant de la boxe ! Mais ce n’est pas grave. C’est un chemin. La boxe féminine n’est autorisée que depuis 1997. [caption id="attachment_11301" align="alignleft" width="340"] Estelle Mossely[/caption] Peut-être que c’est la violence associée à la boxe qui pose question. On n’imagine pas les femmes vouloir se battre... Mais la boxe, c’est tout sauf de la bagarre ! C’est un sport avec des règles strictes. Je n’ai aucun plaisir à prendre des coups. Je cherche même à les éviter. Dans notre société, les femmes cherchent à se défendre par elles-mêmes. Le sport de combat peut être un outil de prise de confiance en soi. Il y a eu tout un mouvement de dénonciation des violences sexuelles dans le sport. Qu’en pensez-vous ? Je n’ai jamais été témoin de comportements inappropriés. Mais le sport étant à l’image de la société, il n’y a pas de raison que les gens y soient exemplaires. Cela dit, j’ai l’impression que la boxe étant un sport de combat, les garde-fous sont forts. Par exemple pour ne pas tomber dans la bagarre. Il est très cadrant. On ne tolère pas le moindre manque de respect. Et ça, on l’apprend dès l’en- fance. C’est même la base de notre sport. Comment envisagez-vous l’après JO? Je repasserai pro. Pas pour 10 ans car je suis en fin de carrière. Mais je pense vivre mes plus gros exploits sportifs. Il y a notamment l’objectif de réunification des ceintures, c’est- à-dire remporter les ceintures dans les différentes organisations internationales de boxe. Ce sera mon prochain défi.

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