Ecologie : Camille Etienne veut nous réveiller

Camille Etienne, activiste écologiste était l’invitée mystère de « Elysée 2022 », face à Valérie Pécresse lors du débat télévisée sur France 2 le 23 septembre. À 22 ans, la Savoyarde est régulièrement comparée à Greta Thunberg. Comme la jeune Suédoise, elle se définit comme une activiste de l’environnement. Sa vidéo “Réveillons nous” postée en mai 2020 totalise près de 15 millions de vues. Véritable phénomène. Entretien. Par Maud Guillot

Comment êtes-vous devenue une activiste du climat?
Camille Etienne: J’ai grandi en Savoie à Peisey-Vallandry, près des Arcs-La Plagne. J’y ai fait toute ma scolarité. Mon père est guide de haute-montagne et secouriste au PGHM. Ma mère, qui a fait partie de l’équipe de France d’escalade et de snowboard, est devenue monitrice de ski et d’escalade. Mon uni- vers, c’est la montagne. J’ai moi-même pratiqué le biathlon en compétition.

Quelles étaient vos ambitions professionnelles ?
Au départ, je voulais être juge pour enfants. J’étais socialement engagée. Je voulais faire changer les choses. Changer le monde. J’ai choisi d’intégrer Sciences Po Paris car j’ai compris que c’était un lieu de pouvoir. Les futurs décideurs de la France y sont formés. Bonne élève et passionnée par les études, j’ai intégré cette école après le bac, même si personne, dans mon environnement proche, n’avait passé le concours avant moi.

Vous rêviez de changer le monde?
Oui, en toute humilité ! Je plaisante bien évidemment. En tout cas, je voulais mener un combat qui ait du sens.

Pourquoi cet engagement pour l’écologie? Avez-vous été élevée dans cette philosophie?
Mes parents sont des pratiquants et non des théoriciens de l’écologie. Pour nous, c’était du bon sens. En montagne, on est obligés d’accepter le rythme de la nature et ses contraintes. On est concrètement connectés à notre environnement. On peut être privés d’eau si ça gèle, le bus ne passe plus s’il y a trop de neige, les tempêtes nous privent d’électricité et de wifi… On l’accepte.

Mais même s’ils sont “soumis” à la nature, les montagnards sont loin d’être tous des écolos!
Tout à fait! Je trouve dingue que ceux qui vivent près de la nature ne se rendent pas compte à quel point elle est fragile et surtout que si elle se dégrade, ce sont leurs métiers qui disparaissent, leur patrimoine, leurs souvenirs… Il y a aussi une explication sociologique. On le voit bien avec les stations de ski. Il y a eu un enrichissement en deux générations de familles agricoles. Leur chalet familial a vu sa valeur exploser avec le tourisme. Ils ont peur que l’écologie ne les prive de cette manne. Cet imaginaire collectif est fort. Mais ils se rendent compte aussi que leurs enfants sont obligés de s’installer dans la vallée car ils ne peuvent plus se loger dans le village, tellement c’est cher !

Vos parents n’étaient pas des militants au sens politique?
Non, ils n’étaient pas encartés. Mais ma mère était quand même avant-gardiste : on mangeait des produits locaux, peu de viande… On a eu nos téléphones portables très tard. On ne surconsommait pas du tout. Dans sa maison, elle a visé l’autonomie énergétique. Bref, ils portaient ces valeurs écologiques.

Votre installation à Paris a dû être un choc!
Oui, le passage de la montagne à Paris a été compliqué. J’ai mis du temps à en comprendre les codes. Je faisais beau- coup d’allers-retours les week-ends. Mais je m’y suis habituée. C’est une ville que j’adore maintenant et qui permet un accès à la culture qu’on n’a pas dans les Alpes!

C’est à Sciences Po que votre engagement s’est vraiment affirmé ?
En réalité, j’ai toujours été engagée. Notamment dans les syndicats de jeunesse. J’ai créé l’antenne d’Amnesty International en Savoie. Je suis partie à Calais pour rencontrer des migrants. Mais en arrivant à Paris et à Sciences Po en particulier, c’est la question de l’agriculture, de notre rapport à la terre et à l’alimentation qui m’a intéressée.

Quel constat avez-vous fait?
Les citadins ne savent pas d’où viennent les produits qu’ils mangent. Beaucoup sont totalement incompétents sur les sujets agricoles. Y compris à Sciences Po. Ça me paraissait dangereux que les futurs dirigeants de notre pays ignorent tout de ces thématiques. C’est là que j’ai compris que mon éducation avait été très atypique. Mais que c’était une chance et un privilège.

Mais c’était il y a seulement trois ans ! Ça fait un moment qu’on parle, en ville, des circuits courts, du bio et des AMAP…
Oui, mais ce n’est pas une priorité pour les étudiants. Dans les faits, on va tous à Franprix pour faire nos courses. Et puis, dans les sphères de gens concernés, on a l’impression que cette approche éthique est répandue mais, en réalité, ce n’est pas le cas. Les gens ne sont pas prêts à payer plus cher pour de la nourriture saine ou à changer d’habitudes alimentaires.

Du coup, à Sciences Po vous avez été perçue comme la “paysanne” qui donne des leçons ?
Non, parce que ce n’est pas mon tempérament. Mais j’ai essayé d’apporter à cette communauté, qui est quand même de plus en plus diversifiée en termes d’origines, mes connaissances sur ces sujets. Ça m’a aussi permis de mettre fin à mon sentiment d’illégitimité dans cette école. Ce qui m’a vraiment aidée, c’est mon séjour en Finlande en 3e année, en Erasmus. J’ai fait une année d’étude d’agroécologie et de sciences environnementales. J’ai pris de l’assurance. Puis tout s’est enchaîné.

Comment tout cela s’est-il enchaîné justement ?
J’ai commencé sur les réseaux sociaux. Je me suis engagée dans des mouvements. J’ai rencontré l’équipe de Youtubeurs On est Prêt dont je suis devenue la porte-parole… On est allés dans différents festivals. On fait des vidéos de vulgarisation scientifique. Je fais aussi du lobbying auprès de personnalités politiques et économiques. Mon objectif est de mobiliser les citoyens à l’aide de trois leviers d’action : individuel, mais également industriel et politique.

C’est dans ce cadre que vous êtes allée débattre à l’Université d’été du Medef!Vous avez proposé de travailler moins mais avec plus de sens. Ces patrons n’ont pas eu l’air d’être très réceptifs…
Il est fondamental de parler à tout le monde et encore plus à des chefs d’entreprise! Ça ne me dérange pas qu’on m’apporte la contradiction, tant que mon message passe.

En mai 2020, vous avez produit une vidéo “Réveillons-nous” qui a atteint 15 millions de vues !
J’étais confinée avec mon meilleur ami, Solal Moisan, qui est réalisateur. On s’est dit qu’on allait faire quelque chose. On était content que nos amis voient ce court métrage. Mais on ne s’attendait évidemment pas à ce que cette vidéo devienne virale. On a reçu des messages très sympas : des personnes nous disaient qu’elles allaient changer de vie ou s’engager! On est lucides, ce n’est pas grâce à nous, mais on a été une pierre sur leur chemin de prise de conscience.

Dans cette vidéo, vous souhaitez mobiliser la jeunesse. Mais elle se mobilise déjà beaucoup. On l’a bien vu dans les Marches pour le Climat…
Une partie est mobilisée mais pas toute. Certains jeunes ne sont pas conscients du tout! Il faut continuer le combat, sensibiliser le public au sujet de l’urgence climatique qui va l’impacter de plein fouet. Nous allons d’ailleurs tourner dans les semaines qui viennent une nouvelle vidéo, à l’attention de la génération précédente cette fois.

C’est vrai que dans votre vidéo, les “Boomers” en prennent pour leur grade. Au point d’alimenter le conflit de générations…
Ce n’était pas notre objectif, mais certains nous l’ont effectivement rapporté. Ils se sont sentis injustement visés. Mais quand j’attaque les “Boomers”, ce n’est pas une question d’âge mais de mentalité. Ce sont ceux qui refusent de remettre en cause le modèle actuel, qui se réfugient dans la nostalgie. Je n’ai rien contre les générations précédentes. D’ailleurs, je constate que ce sont eux qui se mobilisent localement, par exemple contre des projets de bétonisation. Les médias ont tenté de m’enfermer dans cette opposition. Mais je pense que le changement est l’affaire de tous.

Les jeunes sont aussi ceux qui voyagent le plus et qui utilisent le numérique, très polluant…
Oui, mais là encore, cette jeunesse-là n’a pas choisi de grandir dans cet environnement. Il ne faut pas faire peser sur nous l’intégralité de l’incohérence du monde et des choix précédents. La mondialisation nous a été imposée. Mais on n’a plus le temps de chercher un coupable. On a été nombreux à en profiter. Mais ça ne fonctionne plus. Il faut tous limiter notre impact. Je ne voyage plus, mais j’ai un téléphone portable, reconditionné.

Pourquoi est-ce que vous n’opérez pas ce militantisme au sein d’associations environnementales ou de partis politiques ?
Je préfère être en dehors des partis, pour être libre en étant un contre-pouvoir. En revanche, je participe aux coordinations qui préparent des mobilisations : Greenpeace, Alternatiba,Youth for Climate, Extinction Rebellion, WWF… Ce mouvement n’est pas anarchique mais organisé. Chacun joue son rôle. Moi, j’essaie d’être un porte-voix, pas seule- ment pour dénoncer mais pour donner envie d’agir.

On vous reproche souvent de dénoncer sans proposer de solutions !
Les solutions existent. Les scientifiques ne cessent de les répéter. C’est étonnant de voir comme on essaie de faire porter sur des jeunes de 20 ans l’avenir de la face du monde. Sur les plateaux télés, les hommes politiques me répliquent : Faites-le! Mais je ne suis pas là pour ça, je suis pour là pour rappeler des faits. Ce sont les politiques qui doivent avancer et trancher. La Convention Citoyenne pour le Climat a apporté 150 propositions, au cours de leur processus démocratique. Appliquons-les ! Du haut de mes 22 ans, je n’ai pas de solution magique.

On vous reproche aussi de militer pour la décroissance!
La décroissance est mal comprise. Il faut se questionner sur l’intérêt de la croissance. Ce n’est pas qu’un PIB! Le but de l’économie n’est pas l’accumulation, mais la recherche du bonheur, plus d’éducation, plus de santé… La dérive du capitalisme est récente. Les plus précaires en paient le prix. On ne peut pas avoir une croissance infinie dans un monde limité en termes de ressources. Il faut se réinventer. Ça ne veut pas dire un retour à la lampe à huile.

On vous compare régulièrement à Greta Thunberg. Ça vous agace?
C’est toujours bizarre d’être définie par rapport à quelqu’un d’autre. Mais je connais Greta, j’ai déjà travaillé avec elle et je l’admire, notamment pour son intransigeance. Donc ça ne me gêne pas! Nos quotidiens se ressemblent un peu.

Et de quoi vit une activiste écologique ?
Pour l’instant, je suis encore étudiante. Je suis boursière. Mes parents m’aident un peu. Mais je dépense peu. À part mon loyer. Je ne prends pas l’avion. Je cuisine beaucoup. Je n’achète pas trop de vêtements. Je donne aussi des cours et des conférences sur l’urgence climatique. J’écris des textes. Je suis actrice sur des courts-métrages. J’ai aussi un livre en préparation…

Comment voyez-vous votre avenir ?
Je peux difficilement me projeter. Mais je vais continuer à m’engager bien sûr. L’urgence est là et pèse sur nous. C’est vraiment ma priorité. Comme une pulsion de vie. Ensuite, je pense vraiment m’engager dans une carrière artistique. Car c’est ce qui me fait vibrer.

Les partis politiques ont forcément essayé de vous “récupérer” pour les échéances de 2022 !
Oui, je parle à tous ceux qui le souhaitent. Pour évoquer l’écologie. Et pousser mes valeurs. Mais je ne vais pas m’engager à titre personnel. La politique ne m’attire pas. C’est un milieu très dur. C’est dommage mais cette exposition violente ne m’intéresse pas.

Cet article a été publié dans Mag2 Savoies, n°14.

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