Centralisme inadapté

Jacobins contre Girondins. L’Etat centralisateur et technocrate contre l’autonomie des territoires et des collectivités locales. Ce clivage qui a traversé l’Histoire de France depuis la Révolution française ressurgit avec cette pandémie. Les explications de Bruno Benoit, historien, spécialiste de la Révolution française. Par Maud Guillot.

 

On parle aujourd’hui de rivalités entre les Jacobins et les Girondins. Pourriez-vous nous rappeler l’origine de cette opposition ?

Bruno Benoit : Avant la Révolution, il y avait déjà une démarche entamée avec Philippe Auguste au XIIIe siècle de concentration du pouvoir dans les mains du Roi. A partir d’Henri IV, la France s’est dotée d’outils régionaux via les Intendants pour contrôler les provinces. Mais il restait des Parlements régionaux susceptibles de discuter les ordonnances royales.  La Bretagne, le Dauphiné ou le Languedoc avaient aussi des droits coutumiers. Mais la Révolution française a institutionnaliser cette centralisation du pouvoir.

Pourquoi cette centralisation était-elle nécessaire à l’époque ?

Pour mener les guerres contre le Saint-Empire et réquisitionner les soldats dans toute la France. Pour éviter les contestations, notamment de l’Eglise, et “sauver” la République  naissante, la Terreur a été mise en place à partir de 1793. Elle était incarnée par Robespierre, membre des Jacobins, un Club politique très influent qui se réunissait dans l’ancien couvent des Jacobins. Mais cette Terreur a heurté les pouvoirs locaux qui se sont rebellé. Une partie des députés étaient justement issus de la Gironde, d’où Girondins. Mais à Lyon, c’étaient les Rolandins, pour partisans de Roland de la Platière.

Cette fracture Jacobins-Girondins a traversé les siècles jusqu’à aujourd’hui ?

Oui, car la Révolution, héritière du pouvoir royal, a mis en place les structures de la vie politique française que nous connaissons aujourd’hui : communes, départements, Assemblée Nationale… Ce système visait à construire un Etat fort, autour de Paris, ce qui est le contraire de nos voisins allemands, espagnols ou italiens. Napoléon Bonaparte a renforcé cette vision avec la création des Préfets en 1800, qui sont l’œil et la main de l’Etat dans les départements. Ce mouvement a continué jusqu’en 1982, avec la loi Defferre de décentralisation donnant plus de pouvoirs aux collectivités locales mais qui n’est pas achevée. On peut donc dire que la centralisation, et par extension le jacobinisme, fait partie de l’ADN français. Tout comme son pendant : la demande d’autonomie des territoires qui estiment que leur identité n’est pas respectée. A ce titre, en créant la Métropole, Lyon a manifesté une forme d’indépendance…

Mais pourquoi est-ce qu’on dénonce le jacobinisme aussi violemment aujourd’hui ?

Le jacobinisme a rendu la République indivisible et chaque citoyen est sensé y être traité de la même façon. Ce qui est un gage d’égalité. Le problème, c’est que ce pouvoir centralisé s’accompagne nécessairement d’une administration lourde. Avec toute une série de procédures, de tampons et d’autorisations qui rendent les décisions moins rapides et ne facilitent pas les réponses locales. En période de crise, c’est totalement inadapté. La leçon à tirer de cet épisode serait d’ailleurs de poursuivre la décentralisation.

On a en effet bien vu que les collectivités locales étaient beaucoup plus réactives que l’Etat…

Oui, c’est une forme de révolte girondine ! Mais il ne faut pas être naïf : il y a aussi des élections à venir, municipales comme régionales. De plus, dans le fonctionnement de Gérard Collomb, Laurent Wauquiez et David Kimelfeld, il y a aussi du jacobinisme. On rejoue le scénario du centralisme mais au niveau local, avec le même type de décisions hiérarchiques et d’administrations…

On note d’ailleurs une forme d’ambivalence des maires qui voudraient que l’Etat leur donne des directives claires, tout en ayant de l’autonomie…

Quand les choses vont bien, tout le monde veut de l’autonomie. Quand les choses vont mal, on appelle l’Etat à la rescousse, avec en ligne de mire le problème de la responsabilité. On veut que l’Etat ouvre le parapluie. Mais les élus locaux ont aussi été formatés à ce qu’on leur donne des directives “jusqu’au dernier bouton de guêtre”.

C’est une habitude française qui contamine tout notre système politique.

Les citoyens aussi sont dans cette contradiction !

Bien sûr, on attend tout d’en haut, tout en critiquant énormément. On a, depuis le Révolution, ce pouvoir renforcé de l’Etat et dans le même temps l’émergence citoyenne, c’est-à-dire l’avènement de l’individualisme avec la Déclaration des Droits de l’Homme et du citoyen. On veut pouvoir faire ce qu’on veut. Résultat, on est Docteur Citoyen et Mister Etat. Et je ne suis pas sûr qu’on soit capable de changer de système !

Pourquoi en serions-nous incapables si c’est nécessaire ?

Parce que notre système tout en entier est structuré autour de cet ADN. Quand on voit Emmanuel Macron qui décide de tout, des nominations comme des jours de déconfinement… L’Etat peut difficilement se désaisir de ses pouvoirs de lui-même. Un produit de l’école républicaine enseigne forcément une Histoire nationale de centralisation et de pouvoir venu d’en haut qui annihile les décisions locales. Ceux qui arrivent au pouvoir l’appliquent.

Mais l’ambition du Macronisme, c’était d’apporter une vision différente…

Ce n’est pas le cas. De toute façon, la Ve République a montré ses limites. Elle n’est plus faite pour le XXIe siècle. Les Etats qui résistent le mieux actuellement sont ceux où le pouvoir vient de l’Assemblée et non du chef de l’Etat. La décision gaullienne d’élire le président au suffrage universel direct a restauré la dimension monarchique, avec un homme tout puissant. Si on veut faire évoluer le pays, il faudra changer la Constitution.

Mais est-ce que c’est le moment alors que la République est clairement affaiblie par des fractures sociales et territoriales…

On voit une fragilisation avec des Français qui sont prêts à abandonner un certain nombre de libertés pour un Etat fort. Mais je suis surtout inquiet sur le plan économique car on est un des pays qui subit le plus gros choc. Depuis les Gilets jaunes, on sait qu’il peut y avoir une explosion sociale. Si le chômage progresse, les inégalités aussi. Il faudra donc être très vigilant. C’est peut-être pour ça qu’il faudrait aller au bout d’une réforme institutionnelle et franchir un cap.

Emmanuel Macron est-il l’homme qui pourra mener cette réforme ?

Je ne le pense pas. Il s’est posé comme un homme providentiel à la Française mais ça s’est terminé en “cata”. Il a une vision de l’exercice du pouvoir qui est nostalgique de la monarchie. Ce n’est pas une démarche gaullienne. Si c’était le cas, il démissionnerait après la crise et remettrait en jeu son quinquennat, pour voir si les Français lui font encore confiance…

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