La série BD Mortelle Adèle fait un carton dans les cours de récréation. Créée par Antoine Dole, alias Mr Tan, elle met en scène une petite peste rousse impertinente, décalée et désobéissante mais attachante. C’est la Lyonnaise Diane le Feyer, 41 ans, qui dessine ce personnage dont les aventures se sont déjà vendues à près de 10 millions d’exemplaires et qui devraient être adaptées au cinéma. Rencontre. D’ailleurs, le duo vient d’annoncer la création de leur propre structure éditoriale pour la publication des nouveaux volumes à partir de 2023. Par Maud Guillot.
Quel a été votre parcours avant de devenir dessinatrice?
Diane le Feyer: Je suis née à Marseille mais j’ai grandi à Lyon où mon père avait été muté pour Areva. On a vécu des années à Ecully. Nous avons de nouveau déménagé mais je suis revenue à Lyon à 18 ans, pour suivre mes études à Emile Cohl. J’ai su très tôt que je voulais faire du dessin. D’ailleurs, dès la maternelle, l’infirmière scolaire avait noté dans mon carnet de santé: “aptitude au dessin exceptionnelle”…
Cette sensibilité artistique était- elle présente dans votre famille?
Oui, ma mère dessinait beaucoup. Mon grand-père réalisait des grilles en fer forgé, en créant les motifs, alors que mon autre grand-père, cordonnier, recherchait le mouvement perpétuel en essayant d’inventer une machine… Cette fibre artistique était présente. Mon père s’est tout de même inquiété. Il m’imaginait devenir “punk à chien” alors que j’étais bonne élève. Mais ma mère l’a convaincu que c’était ma voie.
Que souhaitiez-vous dessiner ?
Des dessins animés. Je suis d’une génération bercée par Récré A2 et le Club Dorothée : Albator, Les Cités d’Or, Goldorak, Ulysse 31… Je remplissais des carnets de décompositions de scènes de ces dessins animés. Après Emile Cohl, j’ai trouvé un premier job à Lyon dans le jeu vidéo. Au bout de six mois, je suis allée au festival d’Annecy et j’y ai trouvé un poste chez Cartoon Saloon en Irlande, puis en free-lance au Canada. Mon réseau s’est vite étoffé.
Vous êtes-vous spécialisée dans le dessin animé ?
Pas uniquement. Je suis rentrée en France. Une des séries sur laquelle je travaillais pour France 3 a été adaptée par Bayard Editions: Loulou de Montmartre puis il y a eu Stellina et Mark Logan. À partir de là, mon temps s’est partagé entre le dessin animé et l’illustration de livres jeunesse. Deux métiers très différents : le premier est collectif sur un temps long, le second est solitaire et plus rapide. J’ai notamment une très grosse production avec des éditeurs aux États-Unis, en Angle- terre… Je suis aussi devenue professeur à Emile Cohl.
Comment avez-vous rejoint l’aventure Mortelle Adèle ?
Bayard éditait Mortelle Adèle, à travers la maison Tourbillon, et cherchait un illustrateur pour remplacer Miss Prickly qui avait déjà réalisé 7 tomes. Elle souhaitait prendre un autre chemin. Il faut dire que Miss Prickly avait publié ces albums en deux ans, avec Mr Tan, l’auteur. J’ai trouvé Adèle et son univers très drôle. Elle est vraiment dé- calée et bouscule tout sur son passage. Mais je n’avais jamais vraiment fait de BD. J’ai rencontré Antoine Dole, Mr Tan, et ça a bien matché. J’ai donc commencé en 2014. Aujourd’hui on est au 18e tome ! Et Mortelle Adèle fête ses 10 ans…
Comment avez-vous réussi à succéder à Miss Prickly ? Avez- vous copié son personnage ?
Ce n’est jamais évident mais Adèle a été créée par Mr Tan qui l’a dessinée alors qu’il avait 14 ans. Elle existait donc déjà. Après, c’est une question d’interprétation. Je lui ai apporté ma sensibilité. Quand je dessine Adèle, je me reconnecte à moi, enfant. On la reconnaît avec ses couettes, son uniforme… mais elle est habitée différemment.
Justement, il vous faut aussi être fidèle à l’auteur et à son histoire…
Oui, nos sensibilités se répondent et se complètent. On travaille en confiance. Je comprends les références d’Antoine. On est alignés 99 % du temps. Il sait que je vais apporter quelque chose en plus au gag. De son côté, il a un œil expert puisqu’il dessine lui- aussi. Au final, nous avons fait grandir Adèle ensemble. Au début, elle était très isolée. Aujourd’hui, elle est entourée de pleins de personnages, dont le “club des bizarres” qu’elle a fondé pour ceux qui se sentent à la marge. Elle se connecte au monde avec maladresse.
Vous proposez également des déclinaisons de la BD…
Oui, il y a une série avec Ajax son chat, deux romans et des albums comme le dernier Show Bizarre, publié en octobre dernier, dans lequel est inclus un CD réalisé avec Aldebert, la star de la chanson pour enfants. On peut notamment y trouver la chanson Poussez vous les moches !
Parvenez-vous à vous renouveler au bout de 8 ans?
Oui, car chaque tome amène une nouvelle énergie. Cette héroïne m’a emmenée dans des endroits dingues. Et puis les albums me permettent de m’exprimer de façon plus large en sortant du gag de quatre cases sur une page… On a aussi une série TV à laquelle on est associés avec Antoine. Il y aura également un film en prise de vue réelle. Tout cela doit être harmonieux. Enfin, on a tous les deux des projets à côté qui nous permettent de nous nourrir ailleurs.
Vous avez vendu 10 millions d’exemplaires et Mortelle Adèle fait partie des meilleures ventes de BD en France. Pour autant, Mr Tan et vous n’êtes pas “reconnus”. Est-ce un regret?
Non, je suis surtout heureuse que des millions d’enfants lisent nos livres! On est avec eux en vacances, sur leurs étagères, dans leurs discussions… En plus, je pense que la notoriété et la représentation son fatigantes. Je l’ai bien vu à Angoulême où nous avons proposé une exposition interactive de 250 m2. C’était super et
intense mais je ne ferais pas ça tous les jours. Je suis bien où je suis.