Tous les spécialistes le rappellent : dormir n’est pas une perte de temps. Essentiel pour la mémorisation, pour le métabolisme et tout simplement pour la régénération du corps, la qualité du sommeil impacte l’espérance de vie. Comment la préserver ? Les explications de Thierry Faivre, psychiatre et hypnologue à la clinique Lumière qui dispose d’une unité de sommeil.
Faut-il faire la sieste ?
“On semble redécouvrir les vertus de la sieste. De nombreuses entreprises installent d’ailleurs des salles de repos à cet effet. Or les études scientifiques sont assez complètes sur le sujet. La sieste est bénéfique pour la santé cardiovasculaire, car elle réduit la tension artérielle, donc l’hypertension, ainsi que pour les capacités de mémoire et de concentration, pour optimiser les performances intellectuelles, et enfin pour lutter contre le stress. Mais pas n’importe quelle sieste : il faut qu’elle soit pratiquée en début d’après-midi et qu’elle ne soit pas trop longue. C’est-à-dire au maximum une demi-heure, pour des raisons chronobiologiques. Si elle dure plus longtemps, elle va fragiliser le sommeil de la nuit suivante : on aura du mal à s’endormir, on aura moins de sommeil profond, qui est le plus réparateur ou on aura plus de réveils nocturnes. En une demi-heure, on reste sur du sommeil léger, de phase 1 et 2. Au delà, on fait un cycle complet. Si elle dure plus de 30 minutes, on aura aussi une inertie au réveil, avec une remontée progressive et un temps de remise en route plus long, une torpeur. Dans l’idéal, il faudrait qu’elle fasse 10 à 20 minutes. Je la déconseille d’ailleurs plutôt aux insomniaques.
A l’inverse, les siestes longues sont associées à un risque accru de maladie cardiovasculaire, jusqu’à + 30 %. Mais on n’a pas déterminé si ce risque était lié à la sieste en elle-même ou au fait que les personnes qui la font sont plus sédentaires. La sieste longue peut ponctuellement compenser une dette de sommeil.
Il faut faire cette sieste en début d’après-midi, période de la journée qui est associée à un creux de vigilance, indépendamment du repas. Contrairement aux idées reçues, ce n’est pas la digestion qui entraîne ce creux de vigilance car même des personnes sous perfusion le subissent.
Enfin, pour qu’elle soit profitable, il faut la faire presque tous les jours. Pour cela, il faut s’entraîner ! Ainsi, on apprend à entrer plus vite dans le sommeil et à maximiser les processus de régénération.”
Et la grasse matinée ?
“Les études scientifiques sont un peu moins tranchées sur le sujet. Les personnes qui ont une dette de sommeil importante la semaine, parce qu’elles n’ont pas le choix, ont tout intérêt à récupérer un peu le weekend. En revanche, la grasse matinée a des conséquences chronobiologiques : elle désorganise le rythme veille-sommeil de la semaine. Le risque c’est simplement d’empêcher l’endormissement du dimanche soir, avec le stress associé au levé du lendemain. Je la déconseille donc plutôt. C’est un écart que les insomniaques ne peuvent absolument absolument pas se permettre.
Si on est jeune adulte ou adolescent, ce décalage est physiologique. Il est normal qu’ils se lèvent tard.”
Faut-il dormir 8 h par nuit ?
“On est tous “programmé” pour dormir d’une certaine façon : il y a les courts, longs dormeurs et les intermédiaires, les dormeurs du matin et du soir et les intermédiaires, avec toutes les combinaisons possibles : des longs dormeurs du soir, des courts dormeurs du matin… Chaque catégorie extrême représente 5 % de la population, la grande majorité se situant dans les intermédiaires, c’est-à-dire entre 7h et 8h de sommeil par nuit, à partir de 23 h…
Mais il n’est pas nécessaire de dormir 8 h par nuit pour être en bonne santé. Puisque certaines personnes ont besoin de moins de 6 h de sommeil, d’autres plus de 9h. On détermine la normalité du sommeil par l’absence de souffrances : pas de difficultés d’endormissement, pas de fatigues ou de somnolences la journée… Il faut donc que chacun trouve son rythme et le respecte.
Pour trouver son rythme, il faut regarder son heure de réveil spontanée. Si on se couche à minuit et qu’on se lève à 5h, on est du matin, pas du soir, car c’est l’heure de réveil qui compte, mais on est aussi un court dormeur. L’idéal, pour trouver son rythme, c’est de profiter d’une période de vacances longues. La troisième semaine, on regarde l’heure à laquelle on se couche et celle à laquelle on se lève. C’est celle qui est la plus révélatrice.”
Faut-il proscrire les écrans ?
“Les études, assez nombreuses, ont montré que c’est l’intensité lumineuse des appareils informatiques qui pose problème, tout comme la qualité de la lumière : la longueur d’onde bleue stimule l’éveil. L’écran est plus près du visage que la télévision. Ensuite, il y a le contenu de ce qu’on regarde : si on regarde ses mails, on peut se stresser avant de dormir.
Mais de la même façon, il faut éviter de faire du sport après 20 h, sauf si on est bon dormeur. Car la température du corps doit baisser de 0,5 à 1 ° pour bien dormir. Or le sport fait monter cette température. Il faut ensuite attendre plusieurs heures pour qu’elle baisse. On peut aussi prendre une douche fraiche ou froide pour accélérer ce processus. Attention : ne jamais prendre de bain chaud avant de dormir !
Petit conseil au passage : pour se rendormir la nuit quand on est insomniaque, il faut se mettre sur les draps et attendre d’être saisi par le froid. Ensuite, on se glisse sous les couvertures, ça fait un effet cocooning qui endort.”
Les objets connectés peuvent-ils nous aider à dormir ?
“De nombreuses applis existent autour du sommeil. Mais très peu ont été faites avec des spécialistes du sommeil. Elles sont plus ou moins fantaisistes. Donc je ne les recommande pas. Ensuite, il y a les objets connectés comme Dodow, Dreem… Il n’existe pas d’évaluations sérieuses sur ces outils. Je ne suis pas pour les interdire mais je conseille de les tester avant de les acheter car ils coûtent cher.
Ces objets peuvent avoir un effet placebo puisqu’ils détournent l’attention de l’insomniaque. Au même titre que la télé : certains patients se désolent de dormir devant la télé puis de tourner dans leur lit. En fait, en allant se coucher, ils s’obligent à dormir, ils se mettent la pression et bloquent leur sommeil. L’insomnie est un hyper éveil, pas un manque de sommeil qui, lui, fonctionne normalement.”
Les CHIFFRES CLEFS:
Une bonne nuit de sommeil c’est au moins:
3 à 5 cycles de 90 minutes en moyenne
1 personne sur trois est concernée par un trouble du sommeil
Insomnie chronique : 16 % de la population
Apnée du sommeil : 5 %
Syndrome des jambes sans repos : 8 %
Un mauvais sommeil augmente les risques
- maladies cardiovasculaires
- obésité et diabète
- cancer
- accidents
Les français dorment 1h30 de moins qu’il y a 50 ans
45 % des 25-45 considèrent qu’ils dorment moins que ce dont ils ont besoin
13 % considèrent que dormir est une perte de temps
Des nuits de moins de 6h augmentent le risque de diabète de type 2
Manquer de sommeil X4 le risque d’attraper un rhume
Source : INSERM