Rose Valland : Justicière des œuvres volées

Une des rares photos de Rose valland

Originaire de Saint-Etienne de Saint-Geoirs en Isère, Rose Valland a joué un rôle décisif mais méconnu pendant la Seconde Guerre mondiale. En tant qu’attachée de conservation au musée du jeu de Paume, elle a sauvé puis récupéré plus de 60 000 œuvres d’art spoliées par les Nazis…
La journaliste Jennifer Lesieur sort cette personnalité de l’ombre à travers une biographie. Par Maud Guillot

Comment avez-vous découvert Rose Valland, cette Résistante atypique ?
Jennifer Lesieur : C’était il y a trois ans. Mon éditrice m’a parlé de cette femme qui avait participé au sauvetage de milliers de biens culturels. Une exposition se profilait au Louvre. Comme je m’intéresse beaucoup à la Seconde Guerre mondiale et à l’art, cela a suscité mon intérêt. Je me suis simplement penchée sur la notice wikipedia de Rose Valland et ça a fait tilt. Il n’y a pas d’autre exemple de cette forme de Résistance. Sa personnalité est en plus très discrète et mystérieuse. Une vraie héroïne de roman.
Quel est son parcours ?
Rose Valland, est née en 1898 à Saint-Etienne de Saint-Geoirs en Isère. Fille unique d’un forgeron, elle est très studieuse et bonne élève. Sa mère la pousse à faire des études et non au mariage ! Ce qui n’est déjà pas banal pour l’époque. En 1914, elle intègre l’Ecole Normale d’Institutrices de Grenoble. Mais elle n’a pas la fibre pédagogique. Rose Valland aime passionnément apprendre et non enseigner.

Comment devient-elle une spécialiste de l’art ?
Elle est elle-même une artiste : elle peint des aquarelles et des dessins. Elle intègre les Beaux Arts à Lyon, puis ceux de Paris en 1922. Elle suit les cours de l’école du Louvre et de l’Institut d’Art et d’Archéologie. Elle obtient les trois certificats d’études supérieures d’histoire de l’art moderne, d’archéologie médiévale et d’archéologie grecque… Ses connaissances sont encyclopédiques d’autant qu’elle dispose d’une mémoire photographique hors du commun. Elle voyage un peu en Allemagne, dont elle finit par parler la langue en autodidacte, sans pourtant l’avoir jamais étudiée. Ce qui se révélera un atout majeur.
Quel poste occupe-t-elle au déclenchement de la guerre ?
A partir de 1932, elle est “attachée bénévole” au musée du jeu de Paume, installé sur la terrasse des Tuileries, près du Louvre. Elle travaille au catalogue des collections et organise des expositions. En 1940, elle demeure attachée de conservation à la demande du directeur des Musées nationaux, Jacques Jaujard. Mais elle est officieusement chargée de lui rendre compte des agissements des Allemands qui viennent de réquisitionner ce musée pour y stocker des œuvres d’art spoliées à des collectionneurs privés, essentiellement Juifs comme Rothschild, Schloss, Seligmann… Ce site est la plaque tournante du trafic.
Pourquoi c’est elle qui est choisie ?
Avec son allure figée, ses lunettes sévères, ses cheveux tirés en arrière, personne ne s’en méfie. Avec son physique plutôt ingrat, elle est même insignifiante. Elle rase les murs. Cette femme sérieuse n’a à première vue rien d’une espionne audacieuse. Mais elle est brillante, mue par ce sentiment d’injustice. Et elle va prendre des risques inouïs : écouter aux portes, prendre des notes, fouiller dans les poubelles… Elle va consigner tous les détails possibles : nom des œuvres, des propriétaires, agents chargés des transferts, lieux de destination, dates des convois… A la barbe des Allemands.
On comprend à travers ce livre que le pillage très organisé prend des proportions industrielles…
Oui, un organisme directement rattaché à Adolf Hitler, l’Einsatzstab Reichleiter Rosenberg ou ERR, est spécifiquement dédié à la spoliation des pays occupés et glaçant d’efficacité. C’est stratégique pour eux. D’autant qu’Hitler veut faire construire un grand musée à Linz en Autriche. On estime que des centaines de milliers d’objets d’art passent au Jeu de Paume : des tableaux, des sculptures mais aussi des bijoux et des meubles, sans parler des instruments de musique. Cette rigueur bureaucratique allemande, avec des fiches et des photographies, permettra paradoxalement une meilleure traçabilité pour récupérer les œuvres ensuite.
Mais Rose Valland témoigne aussi de pratiques plus curieuses notamment des détournements de la part d’Hermann Goering…
Oui, le bras droit d’Hitler est connu pour son goût du luxe ! Il va se rendre une vingtaine de fois au Musée pour faire son marché en priorité et enrichir ses collections privées qu’il stocke dans des châteaux… Le plus étonnant, c’est qu’il détourne des œuvres dites “dégénérées”, interdites par les Nazis ! Il a même un Van Gogh dans sa chambre à coucher. En revanche, il lâche quelques Vermeer à Hitler qui adore ce peintre. Il faut aussi noter que plusieurs services sont en rivalité sur cette mission précise de spoliation, ce qui crée quelques perturbations. Il y a aussi des vols d’objets par des gardiens…
Vous évoquez aussi Bruno Lohse un personnage réel qui a joué un rôle important…
Oui, il a justement été le pilleur attitré de Goering. Il est capable de tout, y compris de violence et de meurtre. Manipulateur et lâche, il est vraiment malfaisant. Cela a dû rendre malade Rose Valland car il est mort en 2007 à 95 ans après avoir vécu confortablement comme marchand d’art à Munich. On a alors découvert des tableaux spoliés dans son coffre.
Les collections nationales ne sont pas concernées par ces spoliations pendant la guerre…
Non, les collections publiques ont été mises à l’abri dans les châteaux de la Loire, avec des noms de code au début de la guerre. La Joconde a dû parcourir 2 000 km pendant cette période ! Jacques Jaujard a lutté pour ne pas divulguer leur localisation.
Le rôle de Rose Valland ne s’arrête pas avec la fin de la guerre…
Non, d’abord, elle fournit des informations aux alliés concernant les convois ainsi que les dépôts allemands et autrichiens pour éviter qu’ils ne soient bombardés. A la Libération, elle travaille avec les Américains au sauvetage du patrimoine artistique européen, notamment l’unité spécialisée des Monuments Men avec James Rorimer. Elle se rend en Allemagne où elle est nommée secrétaire de la Commission de la récupération artistique. Elle mène des enquêtes, interroge les officiers de la RER, se rend dans les dépôts… L’affaire se complique avec les Soviétiques qui refusent les incursions sur leur territoire. Elle s’y rend clandestinement… Sans moyen, elle parcourt des pays en ruines.
Est-ce vraiment une héroïne au sens où elle n’a pas sauvé de vie humaine ?
Oui, car elle a sauvé le patrimoine. C’est l’identité, l’intimité et l’histoire des familles juives. Les Nazis l’avaient bien compris. Grâce à sa ténacité, elle jouera d’ailleurs un rôle déterminant au procès de Nuremberg sur les pillages des biens artistiques. Entre 1945 et 1954, elle participe au rapatriement de plus de 60 000 biens culturels ! Y compris au profit des Allemands, pour des œuvres volées au musée de l’Armée. Son sens de la justice est universel. Ce sera le combat de sa vie.
Vous expliquez qu’elle meurt dans l’indifférence générale…
C’est assez tragique en effet. Mais c’est lié à son souci de discrétion extrême. A la fois fière et humble, elle ne s’est jamais mise en avant. Elle est devenue conservatrice à plus de 50 ans mais ne voulait pas faire de compromis. C’est ce qui explique qu’elle n’ait pas gravi les échelons plus vite… Elle meurt en 1980 à 81 ans. On pense qu’elle s’est laissée partir après la mort de sa compagne Joyce Heer, traductrice… Mais son travail est désormais bien reconnu par les victimes. Il y a récemment eu un podcast sur France Culture, un opéra au Québec, un livre pour enfants en Italie… Peut-être le début d’une Rosemania !


Biographe

Jennifer Lesieur©Céline NIESZAWER/Leextra/Éditions Robert Laffont

Jennifer Lesieur est journaliste depuis 25 ans. Elle a longtemps travaillé à LCI, notamment au service culture. Elle vit à Lyon depuis 6 ans où elle est rédactrice indépendante. Jennifer Lesieur a déjà publié plusieurs biographies : l’aviatrice Amelia Earheart, la musicienne Patti Smith, l’exploratrice Alexandra David-Néel ou encore l’écrivain voyageur Bruce Chatwin. En 2008, elle a obtenu le Goncourt de la biographie pour Jack London. Elle a également publié un roman chez Stock, Passage du cyclone, librement inspiré de son enfance à Tahiti, loin de l’image paradisiaque que véhicule cette île. Rose Valland, l’espionne à l’œuvre est une biographie passionnante et documentée de cette Résistante totalement méconnue. Une femme simple devenue une espionne puis agent de terrain. Jennifer Lesieur a travaillé plus de deux ans sur son parcours, en fouillant dans les archives nationales du ministère des Affaires étrangères, en menant des recherches en Allemagne et en Angleterre… Elle a reçu le soutien d’Emmanuelle Polack, historienne et spécialiste des spoliations artistiques, mais aussi de l’association La Mémoire de Rose Valland et de Christine Vernay, la petite-cousine de Rose Valland qui a confié ses archives au Musée de la Résistance de Grenoble et au Musée Dauphinois. Rose Valland, l’espionne à l’œuvre, Jennifer Lesieur, Robert Laffont, 19,50 euros.

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