Le nouveau directeur de l’Opéra de Lyon, nommé en octobre 2019, a pris ses fonctions à la rentrée. Richard Brunel arrive de Valence où il a dirigé la Comédie pendant 10 ans. Le choix de cet homme de théâtre, qui a mis en scène près d’une vingtaine d’opéras, a beaucoup surpris voire dérangé. Succéder à Serge Dorny promet d’être un défi. Par Clotilde Brunet
Prendre le flambeau après presque 20 ans de règne de Serge Dorny n’est pas une tâche aisée… Tous nos interlocuteurs le décrivent comme un avant-gardiste qui n’a eu de cesse de tirer l’Opéra de Lyon vers le haut. En témoignent les nombreuses récompenses décernées à cette institution lyrique. En 2019, le magazine allemand Opera a attribué son award de la meilleure production de l’année à L’Enchanteresse de Tchaïkovsky, présentée à Lyon. La même année, De la maison des morts de Leoš Janáček, co-produit par l’Opéra de Lyon, le Royal Opera House de Londres et la Monnaie de Bruxelles, a reçu le titre de “Best Production 2019”. Un critique musical parisien et musicologue nous confirme la renommée européenne acquise par l’institution de la place de la Comédie : “Sous la direction de Serge Dorny, l’Opéra de Lyon était une maison qui comptait. Après l’Opéra de Paris, Lyon se situait dans le trio de tête avec Toulouse et Strasbourg. Serge Dorny construisait des programmations avec des grands classiques que l’on attend, des titres rares que l’on n’avait pas entendus depuis longtemps et des créations. Même quand je sortais pas content, je finissais par me dire que c’était intéressant ! Ça déstabilise mais ça ne laisse pas indifférents. C’était une programmation intelligente, neuve et inventive.”
En parallèle de cette exigence artistique, l’ancien directeur a essayé d’élargir les publics en développant L’Amphi, scène jazz et musiques du monde, puis l’Opéra Underground, une programmation tournée vers les musiques actuelles. “On sent l’ouverture d’esprit du public lyonnais. De manière générale, le public d’opéra est très conservateur… Le sport national est de huer quand on est mécontent d’une interprétation ! Ça arrive très peu à Lyon. Serge Dorny avait créé une confiance avec les spectateurs”, ajoute ce spécialiste de la musique classique.
Sur le plan humain, le bilan de Serge Dorny est plus mitigé ! “C’était un peu le Roi Soleil même s’il a fait des efforts et terminé sa mandature dans un esprit plus apaisé”, résume un musicien. En 2013, l’institution culturelle avait été secouée par une fronde du personnel qui avait envoyé une lettre ouverte dénonçant “l’autoritarisme” du directeur et le “climat de défiance”. L’année précédente, le personnel s’était mis en grève à cause de la cadence, des emplois du temps surchargés, des accidents du travail, des arrêts maladie… L’affaire Yorgos Loukos a également marqué la mandature de Serge Dorny : l’ancien directeur du Ballet a fini par être licencié en 2020 pour avoir évincé une danseuse à la suite de sa grossesse. Mais après un faux départ vers l’Opéra de Dresde en 2014, Serge Dorny vient de prendre la direction du Opéra d’État de Bavière, le Staatsoper à Munich.
Un bon bilan
Dans ce contexte, la nomination de Richard Brunel, 51 ans, a étonné voire déçu. Ou peut-être juste attisé les jalousies ? Stéphanois, né dans une famille modeste, Richard Brunel a fait ses études à la Comédie de Saint-Étienne puis au conservatoire de Paris comme metteur en scène. Il s’est essayé au chant mais il a vite préféré mettre l’exigence nécessaire pour travailler sa voix dans la direction d’artistes. C’est d’ailleurs Serge Dorny qui lui a mis le pied à l’étrier en lui proposant sa première mise en scène d’un opéra, Celui qui dit oui, celui qui dit non, de Kurt Weill et Bertolt Brecht, en 2004. Les deux hommes se connaissent depuis longtemps et s’estiment.
Avant de prendre la tête de l’Opéra de Lyon, Richard Brunel a dirigé le Centre Dramatique National Drôme-Ardèche à Valence pendant 10 ans. “Il a un bon bilan ! Il a monté le niveau de cette scène, il a travaillé avec une sorte de troupe, des artistes de renommée nationale mais assez peu populaire. Il a délocalisé des spectacles sur le reste du territoire, dans des villages, des salles polyvalentes… Lors de sa soirée d’adieux à La Comédie, beaucoup d’artistes l’ont dépeint comme un papa poule mais avec un regard acéré”, rapporte un journaliste local. Bref, il a prouvé que l’on pouvait allier exigence artistique et ouverture à de nouveaux publics, le savant mélange que toutes les institutions culturelles cherchent à obtenir actuellement.
Mais alors que lui reproche-t-on ? D’être un homme de théâtre à la tête d’une institution musicale ! “Dans le petit monde lyrique, on se disait tous qu’il faudrait une pointure pour succéder à Serge Dorny. Richard Brunel n’a dirigé qu’un Centre Dramatique jusqu’ici, ce n’est pas le même métier, ce ne sont pas les mêmes budgets…”, analyse le critique musical. Ce ne sont pas non plus les mêmes maisons : entre 70 et 90 équivalents temps plein à la Comédie de Valence contre 360 à l’Opéra de Lyon. Quant à Richard Brunel, il défend son bilan et s’appuie sur la vingtaine d’opéras qu’il a mis en scène au festival d’Aix, à l’Opéra Comique, à la Monnaie… “Vous pouvez parler avec les chefs d’orchestre. Aucun ne s’est plaint en termes de lecture de la musique ou de considération de musique. Au contraire, ils ont voulu retravailler avec moi. Quand on ne vient pas du sérail, on est toujours critiqué”, lance-t-il un brin agacé.
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