Comment atteindre la neutralité carbone en 2050 ? Gestionnaire du réseau public de transport d’électricité, RTE doit assurer la constance de l’alimentation électrique des particuliers et des professionnels. Autre mission de cette filiale d’EDF, dont elle est indépendante : anticiper les évolutions de la production et de la consommation d’énergie. À ce titre, RTE a rendu un rapport qui couvre les “Futurs énergétiques” de la France jusqu’à 2050. Décryptage de ce travail exceptionnel avec François Chaumont, directeur régional de RTE. Propos recueillis par Lionel Favrot
Quelle est l’origine de ce rapport sur les futurs énergétiques de la France ?
François Chaumont : RTE a une mission de prospective légale qui l’amène à établir un rapport annuel qui porte généralement sur les dix à quinze prochaines années. Après le vote de la Stratégie nationale bas carbone (SNBC), l’État nous a demandé d’identifier les solutions énergétiques qui permettraient d’atteindre la neutralité carbone en 2050. Ce travail nous a demandé deux ans pendant lesquels on a rencontré 200 organisations et recueilli 4 000 participations. On a réalisé un travail pédagogique en élaborant six scenarii mais ce n’est pas à nous de dire si l’un est meilleur que l’autre.
Avez-vous reçu une consigne comme par exemple préserver la filière nucléaire française ?
On a travaillé en toute neutralité ce qui nous a permis de livrer plusieurs chemins pour parvenir à cette neutralité carbone en prenant en compte tous les usages, y compris les transports. Il y a quand même deux points communs à toutes les hypothèses étudiées. La première, c’est le respect de la SNBC qui prévoit de baisser la consommation totale d’énergie en France de 1 600 à 930 tetrawatt-heure (TWh). Soit -40 %. La seconde, c’est un développement considérable de la production d’énergie renouvelable. Même dans le scénario qui prévoit la part la plus importante du nucléaire, 50 % des besoins sont couverts par les énergies renouvelables.
Comment diminuer la consommation d’énergie de 40 % en 30 ans alors que la population et les besoins vont augmenter ?
Cette baisse de la consommation sera possible grâce à une amélioration de l’efficacité énergétique, par exemple une meilleure isolation des bâtiments, des appareils électroménagers plus performants chez les particuliers, des data center plus nombreux mais plus efficients chez les entreprises… Mais aussi par l’électrification des usages qui sera particulièrement sensible dans le transport puisqu’on va passer de 15 à 100TWh. En effet, on anticipe qu’en 2050, 94 % des véhicules légers et 25 % des camions seront électriques. Les industriels vont aussi passer leurs hauts fourneaux à l’électrique. La consommation d’électricité va progresser de 170 TWh d’ici 2050 selon l’hypothèse de référence.
Ce qui va nécessiter d’augmenter la production d’électricité dans quelle proportion ?
De 35 %. En effet, l’électricité devra couvrir 55 % de nos besoins d’énergie contre 25 % aujourd’hui mais dans le même temps, il est prévu de diminuer notre consommation. Il faudra donc réduire considérablement la consommation d’énergie fossile qui couvre actuellement 60 % de nos besoins.
La production d’énergies renouvelables va-t-elle suffire à couvrir cette hausse de la consommation d’électricité ?
Tous nos scenarii sont réalisables. On les a évalués techniquement et économiquement. Mais chacun a ses avantages, ses inconvénients et ses impératifs. Pour rendre un rapport équilibré, on a imaginé trois scenarii privilégiant les énergies renouvelables sans construire de nouveaux réacteurs et trois scenarii impliquant le développement du parc nucléaire.
Que prévoit votre scénario le plus ambitieux en matière d’énergie renouvelable ?
100 % d’énergies renouvelables en 2050. On compte surtout sur le solaire avec une puissance installée dépassant les 200GW, soit 20 fois le niveau actuel mais aussi 74GW d’éolien terrestre ce qui revient à multiplier le parc actuel par 4. Quant à l’éolien en mer, on part de zéro et il faudrait arriver à 62GW.
Développer autant le solaire, et surtout l’éolien, implique que les procédures administratives ne soient pas trop longues et que les riverains ne multiplient pas les recours contre chaque projet !
Oui, cela demande d’aller plus vite dans l’accueil de ces énergies avec un soutien et la mise en mouvement de l’État pour aller plus rapidement sur certaines procédures.
Qu’est-ce qui change dans les autres scenarii où les EnR sont majoritaires?
L’un privilégie le développement très fort des panneaux sur les toitures des bâtiments, avec par exemple une maison sur deux équipée de panneaux solaires en 2050. L’autre se base plutôt sur l’essor de grands parcs solaires ou éoliens qui sont moins coûteux car ils permettent une économie d’échelle mais qui peuvent avoir des impacts en termes d’artificialisation des sols.
Quand on voit les courbes, le développement des énergies renouvelables de 2030 à 2050 semble spectaculaire !
Tous nos scenarii vont nécessiter qu’on passe à la vitesse supérieure en matière de développement des énergies renouvelables. La France va devoir aller plus vite que l’Allemagne et l’Angleterre qui sont pourtant des pays qui ont beaucoup développé les EnR. Ce qui implique aussi que nos réseaux suivent ce développement car les énergies renouvelables sont intermittentes et décentralisées. Il faudra augmenter les capacités de pilotage pour assurer cette flexibilité. Il faut aussi des systèmes pour ajuster consommation et production, ce qui passe par des capacités de stockage via des batteries, des STEP(1), des voitures électriques connectées aux bâtiments… Pour stocker et déstocker au cours de la journée. Sans oublier le rôle de l’hydrogène.
Inversement, pourquoi ne pas aller plus loin dans l’efficacité énergétique ?
Nos six scenarii principaux ne nécessitent pas de faire évoluer nos usages mais on a aussi prévu deux options. Le premier, un scenario de sobriété, opte pour une baisse plus importante pour descendre à une consommation de 555 TW. Cela nécessite de baisser volontairement le chauffage d’1°, de diminuer la taille des véhicules donc leur consommation, de développer le covoiturage, de maintenir une part de télétravail, de réduire la surface des bureaux et leur équipement bureautique…
Vos scenarii nucléaires nécessitent de construire combien de centrales ?
Le premier implique de construire 8 nouveaux EPR(2) entre 2035 et 2050, le deuxième porte ce besoin à 14 nouveaux EPR et le troisième va jusqu’au maximum de ce que peut fournir cette filière en rajoutant la construction de Small Modulas Reactor (SMR), des petits réacteurs actuellement en phase de R&D. Il faudrait aussi prolonger la vie des réacteurs actuels jusqu’à 60 ans.
Avez-vous envisagé d’autres hypothèses ?
Oui un scenario de réindustrialisation profonde. C’est-à-dire que la part de l’industrie dans le PIB français passerait de 10 % aujourd’hui à 13 % en 2050 suite à des relocalisations de production. Ce phénomène réduirait la nécessité de transporter des matières premières ou des produits finis. Au final, ce scénario aurait donc un effet bénéfique.
(1) Les stations de transfert d’énergie par pompage sont composées de deux bassins remplis d’eau. Quand la demande d’électricité est faible mais que la production le permet, l’eau du bassin inférieur est remontée au bassin supérieur. Quand la demande est forte et la production en tension, cette eau est lâchée dans des turbines afin de produire de l’électricité. Les STEP peuvent aussi servir à compenser l’impact des hausses du prix de l’électricité en turbinant l’eau quand les prix s’envolent.
(2) Les EPR sont des réacteurs nucléaires de seconde génération issus d’une coopération franco-allemande. Deux fonctionnent à Taishan en Chine, un autre en Finlande alors que la mise en service des deux EPR prévus en Angleterre tout comme celui de Flamanville ont été reportées, cumulant 10 et 12 ans de retard.
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RTE s’est basé sur une population française qui atteindrait 69 millions à 71 millions d’habitants en 2050 avec un PIB variant de 3 300 €/habitant à 3 500 €/habitants.
Dans le scénario le plus nucléaire, les énergies renouvelables cèdent leur place à des Small Modulas Reactor, des réacteurs compacts. 72 projets sont actuellement à l’étude dans le monde selon RTE dont un français, piloté par EDF, NavalGroup et TechnicAtome. Cette société qui conçoit les systèmes de propulsion nucléaire des sous-marins militaires français, est détenue en majorité par l’agence de participations de l’État (APE) avec comme autres actionnaires : EDF, NavalGroup et le CEA. Ce consortium a engagé des discussions avec Westinghouse Electric Company, une société américaine rachetée par le japonais Toshiba en 2006. Cette firme a mis au point en 1957 le réacteur à eau pressurisée (PWR / pressurized water reactor) utilisée par la France pour ses centrales depuis les années 70.
14 des 51 réacteurs sont installés en Auvergne-Rhône-Alpes soit un sur quatre. Ils assurent 22,4 % de la production d’électricité française d’origine nucléaire.
Entretien publié dans le Guide du développement durable de Mag2Lyon 2022