Le Lyonnais François-Régis Gaudry vient de sortir un nouveau livre “On va déguster l’Italie”, après en avoir consacré un à la cuisine française. Ce sont des encyclopédies foisonnantes entre recettes, présentations d’artisans de bouche, anecdotes sur le cinéma ou le football… Le critique gastronomique anime On va déguster sur France Inter et Très Très Bon sur Paris Première. Interview. Par Clotilde Brunet
Êtes-vous attaché à votre ville d’origine qu’on dit être la capitale de la gastronomie ?
François-Régis Gaudry : Oui, suis né à Sainte-Foy-lès-Lyon et j’ai fait toute ma scolarité à Lyon jusqu’à l’hypokhâgne et la khâgne au lycée Édouard Herriot et ensuite j’ai eu le concours de Sciences Po Paris. Je continue à venir à Lyon, très souvent. Mes parents habitent dans le 5e arrondissement, le quartier où j’ai grandi.
Quels souvenirs gastronomiques gardez-vous de Lyon ?
J’en garde plein ! Ma mère est d’origine corse mais elle a rencontré mon père à Lyon. Étant une très bonne cuisinière, elle s’est aussi appropriée les spécialités lyonnaises. On avait des rituels dans la famille, on dégustait très souvent le saucisson pistaché de chez Bobosse ou de chez Sibilia, accompagné d’une sa- lade de lentilles ou de mâche. On s’attablait beaucoup à Lyon et de temps en temps on cassait la tirelire pour aller dans des belles adresses chez Bocuse, chez Alain Chapel à Mionnay dans l’Ain quand j’étais adolescent…
Quel regard portez-vous sur la gastronomie lyonnaise? Bocuse a disparu mais on assiste aussi à l’émergence d’une nouvelle génération de chefs…
Je trouve qu’on est extrêmement sévères avec Lyon, y compris moi parfois ! On attend beaucoup de cette ville comme elle a toujours été positionnée au carrefour des plus beaux terroirs de France. Il y a un vivier de talents, Lyon est de loin la ville la plus étoilée après Paris! Ce qui explique la crise d’identité de Lyon, c’est que depuis le départ de Paul Bocuse, on ne ressent plus vraiment le leadership d’un chef qui incarnerait la ville. Avant, on venait des États-Unis ou du Japon pour aller chez Bocuse! D’ailleurs, 3 étoiles dans le barème du Michelin signifie bien “vaut le voyage”…
Avez-vous fait de belles découvertes récemment ?
Je n’ai pas pu venir beaucoup à Lyon cette année à cause des confinements mais dans mes découvertes de ces dernières années, je peux citer Florent Poulard, Monsieur P., un garçon qui fait une très belle cuisine et qui est très attentif aux produits. Dans un autre genre, j’ai beaucoup aimé Culina Hortus, c’est un restaurant qui aurait pu être bêtement branché mais qui, en fait, a une vraie démarche autour du végétal. Un autre restaurant où je vais régulièrement : Les Apothicaires de Tabata et Ludovic Mey. Je connais très bien Mathieu Viannay qui a à peu près tout pour aller chercher la troisième étoile. Il a un col de Meilleur Ouvrier de France…
Est-ce qu’il est un peu écrasé par le mythe de la mère Brazier ?
Il n’est pas dit que Mathieu Viannay ne se révèle pas au grand jour, ça peut aller très vite.
Pouvez-vous présenter votre nouveau livre ? Ce n’est pas tout à fait un livre de recettes… C’est une encyclopédie?
C’est un peu tout ça à la fois, un livre de recettes, une encyclopédie, un livre d’histoire et de géographie, un guide touristique… On a tout mêlé car le patrimoine culinaire italien, comme le français auquel j’ai déjà consacré un livre, ne se résument pas à une liste de recettes. Même si on présente 265 recettes! La cuisine a infusé dans toutes les disciplines, il y a des pages sur la littérature, le cinéma, la mode, le football… Quelqu’un me disait c’est “une encyclopédie joyeusement bordélique”, moi ça me va! On l’ouvre, on picore, on grappille… En revanche, on a vraiment un index précis pour s’y retrouver.
Pourquoi l’Italie?
C’est ma deuxième patrie culinaire ! Ma mère étant corse, il y a des affinités entre ces cuisines méditerranéennes. C’est une destination où nos parents nous ont beaucoup entraînés en voyage et nous avons été éduqués dans l’idée que tout ce qui vient d’Italie est beau. Professionnellement, j’ai pu profiter de très nombreux voyages pour me cultiver sur l’Italie et j’apprends la langue de façon intensive. Bref, ça me semblait naturel de lui consacrer un livre.
Beaucoup de Français partagent votre passion pour l’Italie…
Oui, il y a une passion française pour l’Italie qui s’est accentuée ces dernières années. Cocteau disait que l’Italien est un Français de bonne humeur. Nous, on fait un peu la gueule et en même temps on est très proches des Italiens. En Italie, il y a toujours cet effet Vacances Romaines, Dolce Vita… Il y a cette langue chantante, une cuisine à la fois simple et conviviale… En France, on a un peu trop intellectualisé la gastronomie.
Quels produits italiens peut-on mettre sur nos tables de fêtes?
Si on a vraiment les moyens, il y a évidemment la truffe blanche d’Alba. Elle est d’une subtilité immense, il y a à la fois une puissance et une délicatesse, avec des notes un peu aillées. C’est un produit exceptionnel mais très cher. Plus modestement, on peut accorder un parmesan vieux avec quelques gouttes de vinaigre balsamique sirupeux, de 20 ou 40 ans… C’est magnifique! Ça se pratique beaucoup en Emilie-Romagne. Il y a également un phénomène panettone en France ! Mais comme tout ce qui a du succès, ça passe par la case industrialisation… Il faut regarder l’étiquette et vérifier qu’il n’y a pas de gros mots, des conservateurs, des additifs, des colorants… Pour le choisir, il faut tâter un peu la brioche, il faut qu’elle soit bien rebondie et un peu moelleuse.
On ne malmène pas un peu la cuisine italienne en France ?
Si, au début on liste un certain nombre d’hérésies pratiquées en France ! À commencer par la carbonara… Mon slogan depuis 2015, c’est “la crème est un crime”. On peut très bien faire une émulsion avec le liant du jaune d’œuf, le coulant du fromage et un peu d’eau de cuisson qui comporte de l’amidon. C’est crémeux et léger sans crème fraîche. Il y a un certain nombre de mauvaises habitudes dont on a voulu se moquer mais toujours gentiment parce qu’il n’y a rien de grave. La cuisine ça se transmet mais ça se transforme aussi. On a essayé d’être à la fois joyeux et rigoureux et de donner la parole à des experts italiens. La moitié des 159 contributeurs sont italiens, c’est une vraie caution.
Dans votre émission radio, On va déguster, vous allez beaucoup sur le terrain. Vous essayez de ne pas être trop centré sur Paris ?
Oui, c’est quelque chose auquel on est très attentif car dans les médias on a souvent tendance à donner la parole aux chefs, et de préférence aux grands chefs, et on a tendance à oublier tous les artisans en amont. Ils sont aussi à l’origine de l’excellence en gastronomie. Je suis au moins autant intéressé par la manière dont on cultive des légumes que par la manière dont on les cuisine. On tient à ce que ça reste une émission de terrain avec du reportage.
Est-ce que c’est devenu un acte citoyen, voire politique, de manger ?
C’est un acte politique, manger c’est un peu comme voter. Avant, il n’y avait que le plaisir en ligne de mire dans une assiette, aujourd’hui même moi en tant que critique gastronomique, je ne me contente plus de me demander si c’est bon ou pas. Je suis obligé de me demander d’où viennent les produits. L’alimentation est une des activités humaines avec un bilan carbone le plus conséquent. On doit aussi se demander si c’est bon pour la santé, pour la santé de la personne qui a produit ces ingrédients, pour la planète… Ça ne veut pas dire qu’il faut perdre de vue le plaisir! C’est aussi par le plaisir qu’on peut prendre en compte toutes ces questions. Je me méfie beaucoup de l’alimentation punitive et des régimes “sans” tel ou tel type de produits.
On va déguster l’Italie, François-Régis Gaudry. Éd. Marabout. 432 pages. 42 euros.
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