Aujourd’hui, l’Eglise est une Eglise de clones

Anne Soupa a surpris tout le monde en annonçant sa candidature au poste d’évêque du Diocèse de Lyon, pour remplacer Mgr Barbarin. Une charge réservée aux prêtres donc aux hommes. Mais cette théologienne de 73 ans, qui défend la place des femmes dans l’Eglise, développe de sérieux arguments. Entretien. Par Maud Guillot

Quelle est votre ambition avec cette candidature au poste d’évêque du Diocèse de Lyon ?
Anne Soupa : Je souhaite ouvrir le débat de la place des femmes dans l’Église. Elles y jouent un rôle essentiel, mais n’y sont pas considérées. Aucune n’exerce de fonction importante. Si je prends l’exemple du Synode de la famille en 2014, aucune femme n’a voté ! Il y avait des religieuses présentes mais elles n’ont pas eu le droit de s’exprimer car elles n’étaient pas prêtres. C’est du pur sexisme.
A Lyon, on dit souvent que ce sont des femmes qui tiennent le Diocèse…
Il faut l’admettre, Mgr Barbarin a promu beaucoup de femmes. Mais aucune n’est évêque. Elles sont économe, responsable de la pastorale… Mgr Barbarin leur a interdit le terme de “ministère” c’est-à-dire qu’elle n’ont pas la responsabilité de l’annonce de l’Evangile. Ce qui est un comble quand on sait que la première personne qui a vu le Christ ressuscité est Marie Madeleine qui l’a ensuite annoncé à tous. On promeut donc des femmes à des postes importants mais qui sont latéraux par rapport à cette vocation première de l’Eglise. De plus, le Diocèse de Lyon n’est pas représentatif de toute la France.

Pensez-vous que votre combat soit réellement partagé par les femmes catholiques ?
Oui, je sens un vent de révolte. Ma pétition en est déjà à 9 500 signatures et elle monte régulièrement. J’ai reçu près de 500 lettres, avec des femmes qui se dévouent à l’Eglise mais qui se sentent ignorées, voire humiliées. Autre exemple typique, lors d’une ordination épiscopale, toutes les places de la cathédrale ont été occupées par des hommes, les femmes ont été reléguées au dernier rang ! Dans une société émancipée en 2020, on ne peut que réprouver une Eglise exclusivement masculine.

Pour vous, c’est le sens de l’Histoire ?
Oui, une quantité considérable de femmes a quitté l’Eglise après les années 68 à cause de l’humanæ vitæ qui interdisait la pilule. Beaucoup sont restées attachées à la religion mais ne pratiquent plus. 60 % des Français se disent catholiques dans les sondages, mais seulement 3 % pratiquent. Que fait-on des 57 % ? Comment les accueille-t-on ? Il y a parmi eux beaucoup de femmes déçues par une Eglise machiste.

Qu’est ce qui vous a décidée pour cette candidature ? L’affaire Preynat a-t-elle été décisive ?
L’affaire Preynat m’a beaucoup interrogée. Cette affaire, comme les autres qui ne sont pas encore dévoilées mais qui le seront un jour, est due à l’entre-soi masculin des prêtres. La pédocriminalité est présente dans toutes les institutions mais ce qu’on a reproché à l’Eglise, c’est la dissimulation. Entre pairs, entre confrères, on se soutient, on ne se dénonce pas. S’il y avait eu des femmes en responsabilité, il y aurait eu moins d’abus.

Vous estimez qu’il y a eu une sorte de solidarité masculine ?
Oui, je pense qu’ils vivent tellement entre eux qu’ils se voient en miroir. Dénoncer un autre, c’est se dénoncer soi-même. D’ailleurs, c’est une femme médecin, théologienne, professeur de morale à la Faculté de Strasbourg, Marie-Jo Thiel qui a dénoncé la pédophilie dans l’Eglise dans un rapport au début des années 2000. Ensuite, le pape François a lui-même fustigé en 2018 le cléricalisme, c’est-à-dire une dérive du corporatisme des prêtres. A l’approche de cette nomination de l’archevêque de Lyon, je me suis dit : ça va encore continuer. On va nommer quelqu’un qui sort du même moule. Au cours d’un repas, un de mes fils m’a dit : “maman, présente-toi”.

C’est cette phrase qui a été votre déclic ?

Oui, mais j’ai refusé cette idée qui me semblait trop violente. J’ai laissé passer une nuit, pendant laquelle j’ai fait des cauchemars : un grand loup avec des yeux luisants me terrorisait… Le lendemain, la peur avait disparu. Cette cause s’est alors imposée comme une évidence. J’ai réfléchi à la manière de me présenter. Au début, mon mari n’était pas prêt à une telle initiative. J’étais divisée. Mais il m’a soutenue et me soutient encore.
Le processus de nomination est pourtant très engagé…
Oui, la terna est une liste de trois noms établie suite à des consultations dans les diocèses. Ces trois noms sont communiqués au ministère de l’Intérieur, qui peut en récuser certains. La liste part ensuite à Rome et le Pape décide, parfois sur un quatrième nom. La terna était déjà au Vatican quand je me suis décidée. J’ai symboliquement ajouté mon nom à cette terna.

Vous savez pourtant qu’on ne candidate pas à ce poste : c’est le Pape qui choisit !
Oui, j’ai bien conscience que c’est un acte transgressif. On doit être “appelé” et c’est une procédure que je respecte. Mais aucun nonce ne viendra me chercher moi, en tant que femme. Je n’avais pas le choix.

Vous savez aussi qu’aucun laïc ne peut être nommé à ce poste…
Ça, c’est une autre question. La fonction d’évêque est née au IIe siècle après JC. Il s’agissait de surveillants. Ils protégeaient la communauté des déviances doctrinaires, et les petits des prédateurs. Ils guidaient spirituellement les communautés. Un siècle plus tard est née la fonction de prêtre, l’homme des sacrements pour le baptême et l’eucharistie. On a pensé alors que l’évêque devait être un prêtre. Mais les deux fonctions ont existé de manière dissociée dans l’Histoire. Je m’appuie sur cette tradition.

Une tradition qui est un peu ancienne…
Oui, mais l’Eglise catholique s’enorgueillit d’être au plus près de Jésus, son fondateur ! Je pense qu’un laïc pourrait faire ce travail de protection, s’il a de bonnes connaissances en sciences religieuses, s’il connaît bien le tissu social de son diocèse et la psychologie des prêtres. Plus novateur, il peut lui aussi donner une impulsion spirituelle car ce domaine n’est pas réservé aux prêtres.

Mais vous vous imaginez vraiment diriger tous ces prêtres…
Ça me semble non seulement possible mais souhaitable. Ça me rend heureuse d’y penser. Je ne suis pas une personne provocante, malgré les apparences. Je suis très consensuelle. J’ai une dette énorme envers les prêtres qui m’ont formée. Je ne suis pas avec un eux dans un rapport d’hostilité et de défiance. J’ai beaucoup à apprendre d’eux, mais ils ont aussi à apprendre de moi car j’ai vécu ma vie dans le monde normal, avec ses conflits relationnels, de travail, conjugaux…

Mais est ce que vous ambitionnez, si vous êtes choisie, de faire bouger les choses sur des sujets comme le célibat des prêtres ou l’ordination de femmes ?
Je n’en aurai pas le pouvoir. Je respecte le Pape. Mais il faut porter la parole évangélique. Pour cela, il faut ouvrir une autre forme de recrutement, car avec 100 ordinations par an, on n’a pas assez de prêtres. D’autant que, on ne le dit pas, mais un bon tiers quitte au bout de quelques années. Gouverner un diocèse, ça ne se fait pas comme au XVIIIe siècle. La complexité du monde moderne est entrée dans l’Eglise. Il faut avoir des compétences juridiques, sociales, psychologiques… A Lyon, on a pâti de ces difficultés, car les archevêques se sont appuyés uniquement sur des prêtres, donc peu de monde.

Mais vous ne faites donc pas de l’ordination de femmes un combat ?
Je pense que ça viendra un jour. Les mentalités vont forcément changer à ce sujet. Certains professeurs d’ecclésiologie ou de droit canon sont déjà d’accord avec cette évolution, je les encourage à en parler au Pape. Mais ma candidature porte d’abord sur la gestion de la gouvernance. Des hommes et des femmes laïcs doivent être associés aux décisions.

Est-ce que vous croyez à un management dit “féminin” qui serait positif pour l’Eglise ?
Le féminin est porté par des femmes et des hommes. Le Christ lui-même reflétait ce mélange avec la douceur et la non-violence qu’on attribue au genre féminin. Mais je ne crois pas que les femmes gèrent différemment. C’est simplement l’altérité dans une structure qui est une richesse. C’est ce que le Créateur a demandé dans le livre de la Génèse. Aujourd’hui, l’Eglise est une Eglise de clones.

Pensez-vous que le Pape François soit prêt pour cette évolution ?
François a la réputation d’être ouvert en matière sociale. Mais il est embarrassé. Il est issu d’Amérique latine, il est empêché par des courants conservateurs. La Curie est très hostile aux femmes à Rome. Il y a aussi un repli identitaire. La mondialisation et la société de consommation poussent certains à se réfugier dans le passé, la tradition… L’Eglise est un refuge pour satisfaire ce besoin de sécurité. Elle accueille donc des gens qui ne veulent pas que ça bouge. La tragédie, c’est que les femmes sont les marqueurs de ce mouvement identitaire.

La France n’est qu’un petit pays de croyants aux yeux de Rome. L’essentiel des Catholiques sont en Amérique du Sud ou en Afrique où les droits des femmes ne sont pas les mêmes. Ça rend votre “candidature” plus compliquée ?
Je ne suis pas d’accord. Les femmes d’Amérique du Sud et d’Afrique sont actives et déterminées. Très souvent, ce sont elles qui “portent la culotte”. Je ne les vois pas en situation de soumission. Et elles ne sont pas victimes de ce repli identitaire. La mondialisation est vécue comme une richesse sur ces continents.

Avez-vous reçu des menaces suite à votre candidature ?
Je n’ai pas reçu de lettres, mais je ne suis pas allée lire ce qui se dit sur les réseaux sociaux. De toute façon, ça ne me fait pas peur. Je respecte la peur des gens qui ont des réactions violentes. Je crois juste qu’ils se trompent. Ils redoutent de perdre leur identité mais ce n’est pas en attaquant les femmes qu’ils la retrouveront. Il faut au contraire vivre dans la fraternité et la solidarité.

Est-ce qu’on peut vous considérer comme une catho de gauche ou une progressiste ?
Je ne suis pas une catho de gauche. Je suis centriste et très modérée. Je ne suis pas non plus l’héritière du courant progressiste des années 70. Je me définis comme une catholique d’ouverture. Mon combat est plus précisément contre la sclérose institutionnelle. Elle ne s’inscrit pas dans un courant idéologique.

Votre candidature est symbolique ou espérez-vous réellement une suite ?
Le Pape François est ouvert et aime écouter. Il est capable de prendre son téléphone pour engager un échange. J’espère que ce sera le cas. Le président de la Conférence épiscopale allemande a dit quasiment la même chose que moi récemment. J’attends surtout une mobilisation internationale des femmes. J’espère d’autres candidatures. Si elles ont l’expérience, la compétence et la foi, les femmes doivent tenter leur chance.

Votre candidature n’est-elle pas un peu isolée ?
Le comité de la Jupe me soutient. De plus, ma communauté est dans mes signatures. Je suis en train de la constituer.

Mais quand on voit vos soutiens comme Cécile Duflot et Noël Mamère, on se demande si vous n’êtes pas soutenue essentiellement par des gens éloignés de l’Eglise ?
Cécile Duflot a été très active dans l’Eglise catholique. Elle s’en est éloignée à cause de sa rigidité. Elle m’a envoyé un mot chaleureux dès le départ pour me dire que sa foi restait vive et que je l’avais réveillée. C’est même elle qui m’a proposé de lancer cette pétition. Je ne partage pas forcément sa sensibilité politique. Je ne peux que m’incliner devant sa générosité. Ensuite, j’ai effectivement des soutiens parmi les 57 % de non pratiquants. Mais ce sont des baptisés. Leur parole est importante et j’essaie de l’honorer.

La pétition est en ligne sur pourannesoupa.fr

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