“Le seul modèle irremplaçable dans une entreprise, c’est l’humain”

SYSTAIM c’est le nouveau collectif des acteurs de l’Economie sociale et solidaire. Objectif : détecter et accompagner 300 initiatives d’ici un an dans cinq domaines clés de la transition, en mobilisant les forces vives de l’Economie sociale et solidaire. Une initiative de Carl Putman et de sa famille pour soutenir les entrepreneurs qui innovent avec un impact direct sur leur territoire. Propos recueillis par Lionel Favrot

Quelle a été votre carrière avant de vous lancer dans l’accompagnement d’entrepreneurs ? Carl Putman : J’ai toujours eu une appétence pour l’innovation. Après un diplôme d’ingénieur en génie mécanique à l'Université de Louvain, en Belgique, j’ai exercé dans les directions générales de constructeurs et d’équipementiers automobiles, notamment Renault Trucks, Valeo, et Koyo, devenu JTEKT. Au cours de ma carrière, j’ai déposé un certain nombre de brevets comme le Start&Stop qui arrête automatiquement le moteur quand la voiture s’arrête et le redémarre dès qu’on veut repartir. En 2004, je me suis lancé dans l’entrepreneuriat en reprenant Robert Berliet Entreprise (RBE) créée par le frère de Marius Berliet qui dirigeait les camions Berliet. Il a commencé à produire dans la propriété familiale de la Croix-Rousse avant de déménager à Pierre-Bénite puis à Brignais.

Qu’est-ce qui vous a intéressé dans cette entreprise lyonnaise ? Elle maîtrisait des technologies classiques de mécanique et d’électronique. Je l’ai renommée Vision Systems et j’ai créé des départements R&D pour déposer des brevets pour l’automobile et l’aéronautique. On parlait déjà à l’époque de cybersécurité. Quand je l’ai reprise, elle était en retournement et ces produits innovants ont permis de développer son chiffre d’affaires. Je l’ai cédée en 2024 à mes fournisseurs israéliens car c’était pour moi un gage de continuité. Ce qui s’est confirmé puisqu’elle a poursuivi sur la même trajectoire.

Comment êtes-vous arrivé à Lyon ? Je suis né en Belgique et mon père était ambassadeur. Ce qui m’a permis de découvrir de nombreux pays. Cette culture internationale m’a beaucoup apporté. J’ai travaillé sept ans au Maroc avant de revenir en France. Pour Valeo, j’ai fait le tour des régions. Après Amiens puis Angers, je suis venu à Lyon, il y a 25 ans, pour restructurer Paris-Rhône repris par Valeo. Noël Goutard, son pdg à l’époque, m’a donné deux ans pour atteindre la rentabilité. J’ai déménagé l’usine obsolète du 8 e arrondissement de Lyon sur le site actuel de l’Isle d’Abeau.

Quelle est votre motivation pour investir dans des entreprises ? Je suis persuadé que dans un monde où la technique se trouve partout, le seul modèle irremplaçable dans une entreprise, c'est l’humain et la capacité de travailler ensemble. En complémentarité. On a commencé par un family office classique dont la base line était “partenaire d’entrepreneurs”. A chaque fois qu'on réunissait nos participations, une synergie se créait entre elles avec des connexions et même une vraie émulation. On s’est dit que c’était la direction à suivre : plutôt que de se disperser, il nous fallait investir dans le maillage territorial et sans a priori.

Cette approche en écosystème régional, c’est ce qui vous distingue des autres structures de ce type ? Oui. C’est une de nos thèses d’investissement. C’est pourquoi on a créé un fonds de dotation au service d’actions concrètes.

Beaucoup de fonds de dotation affirment investir dans des “entreprises à impact” ? Oui, mais cela se limite souvent au window dressing ! Cette façade cache un modèle classique consistant à reprendre des petites boîtes spécialisées qui ont déjà démontré la pertinence de leur modèle, et de les booster, par exemple en rachetant d’autres entreprises comparables, avant de revendre cette nouvelle entité à un industriel. C'est bingo pour le fonds de dotation mais pas spécialement pour l’impact. On ne veut pas suivre cette voie. Autre originalité : j’ai cédé d’emblée des parts par donation à mes enfants qui participent à l’aventure entrepreneuriale de ce fonds puisqu'ils sont décideurs dans le comité d’investissement et, pour certains, travaillent dans les entreprises où on a pris des participations.

Quand avez-vous rencontré l’Economie Sociale et Solidaire dans votre parcours ? Comme industriel, j’ai toujours été intéressé par les différents référentiels comme le label B Corp qui certifie le respect des normes sociales et environnementales par les entreprises, la gestion des ressources, l’éco-conception… Mais j’étais avec d'autres actionnaires et je ne pouvais pas pousser la démarche aussi loin que je le souhaitais. J’avais aussi rencontré des coopératives en Allemagne et en Israël où il existe des vrais clusters d’entreprises engagés, mais pas dans notre logique multi-métiers. On veut mixer les secteurs d’activité. C’est pour cela qu’on a commencé par investir dans Intermède qui crée et gère des tiers- lieux comme les Ateliers Briand à Saint-Priest. Une structure éphémère multi-activités. On avait rencontré son fondateur Thomas Poisson quand on avait candidaté pour le projet Chalet du Parc

Pourquoi choisir Olivier Hamant comme référence de votre démarche entrepreneuriale ? Ce biologiste défend le choix de la robustesse face au “culte” de la performance qui fragilise les systèmes à force d’optimiser à outrance. Est-ce pertinent pour une entreprise ? Oui, c’est exactement notre philosophie et ce qu’on veut faire ! On l’a invité à participer à la soirée de lancement de Systaim, notre nouvel écosystème d’acteurs de l’ESS et il nous a proposé de continuer à coacher ce dispositif qui concorde avec ces exigences de robustesse.

Concrètement, Systaim, c’est une marque ? Oui, c'est un branding pour un collectif de volontaires. Nos actions vont contribuer à le construire et dans deux ans, ce sera probablement un fonds de dotation. Pour l’instant, on veut surtout renforcer les structures qui existent en leur donnant plus d’outils. Je pense par exemple aux incubateurs comme Ronalpia.

Mais des structures rassemblant les acteurs de l’ESS existent déjà comme l’URSCOP ou la CRESS ? Il ne s’agit pas de placer Ponton en étendard et de prétendre qu’on fait tout mieux que les autres mais la réussite de la soirée de lancement de Systaim confirme qu’il y a une attente. On aurait pu recevoir 300 personnes à la Maison de l’Environnement mais on en a refusé 120 car on dépassait la jauge de la salle. De plus, 99 % des inscrits étaient présents alors qu’aujourd’hui, la plupart des manifestations descendent à 80 % le jour J. Notamment des élus qui ne prenaient pourtant pas la parole. Ils étaient simplement là en soutien. Autre grand signe positif, moins de 2 % des organisations sollicitées ont refusé de faire partie de Systaim.

Que pensez-vous apporter ? Lyon a de la chance car toutes les briques de l'écosystème ESS sont déjà là. Nous, on ne fait que les poser ensemble car ils travaillent parfois séparément alors qu’ils poursuivent le même objectif. On a constaté qu’au-delà de deux ans, les entrepreneurs manquent d’accompagnement. Leur parcours devient souvent chaotique car ils reçoivent des avis contradictoires pour leur stratégie. On veut combler cette grande lacune entre l'incubation et la partie maturation en créant une colonne vertébrale d’accompagnement.

Qui va assurer ce suivi ? Il faut que l'investisseur soit également le conseil, sinon ça ne marche pas. Nous, on prend ce rôle-là quand on investit. Maintenant qu’on a des parrains incubateurs qui travaillent ensemble, on va essayer de trouver des investisseurs-coachs. J’en vois deux ou trois par semaine.

Comment allez-vous repérer ces structures à accompagner ? Les chefs de file sont en train de remonter les attentes et on va préparer un projet fédérateur. Mon rôle de dirigeant, c'est de sortir du cocon. J'appliquais déjà ce principe comme industriel. Je visite donc trois ou quatre initiatives par semaine qu’on me présente ou que je repère dans la presse. Pour moi, une des notions clés révolutionnaires de l'impact et de ce qu'on veut faire, c'est de se parler entre concurrents. On peut même construire des alliances, des coopérations… Ce qui n'est pas du tout le modèle capitaliste.

La prochaine étape ? On va lancer un Centre de formation de l'impact avec différents modules autour d’un socle commun : le savoir- être dans l’impact. On va recenser les besoins et créer un tiers-lieu qui dispenserait ces formations qui pourront être délocalisées dans un deuxième temps. L'idée, c'est aussi d'avoir des modules métiers, par exemple en restauration bio. Une fois que cette école sera en place en termes de contenus, on va regarder pour fonctionner selon un modèle de mécénat de compétences.

Où pourrait être ouverte cette école de l’impact ? Le Chalet du Parc, où vont s’installer Good Planet de Yann Artus Bertrand et les Fabuleuses Cantines, serait idéal car on veut cibler les familles et les générations futures. L’objectif c’est, qu’après une visite, les enfants et les ados posent des questions à leurs parents : face à une planète qui se détériore, qu'est-ce qu’on peut faire ? Exemple : la location et la réparation des appareils électro-ménagers plutôt qu’acheter pour s’en servir très ponctuellement et jeter à la première panne.

Pourquoi le Chalet du Parc ? Parce que 300 000 personnes fréquentent le Parc de la Tête d’Or chaque année. Des classes moyennes mais aussi des gens moins aisés. Ce sont ces personnes qu’on doit sensibiliser car on vise le basculement de l'opinion publique pour considérer à l’avenir qu’il n'y a pas d'autre solution que de consommer bio, d'être économe en ressources, de réduire la consommation d'énergie…

Comment sélectionnez- vous les structures que vous accompagnez ? La première chose qu'on vérifie, c'est l'aspect humain. On investit dans les projets portés à deux. La deuxième : l’impact du projet. On ne s’arrête pas au bilan carbone. On recherche l'impact sociétal. Est-ce que ça aide les gens à vivre autrement, en quartier, en maillage, donc en société, et à créer un modèle qui, collectivement, utilise moins de ressources ? Troisième aspect : est- ce reproductible dans le territoire ?

Quelques exemples d’accompagnement ? Les Fabuleuses Cantines. Moi, ils m'ont convaincu quand j'ai visité leur Conserverie de Territoire à Bussy, dans la Loire. Cet outil industriel est au service de leur démarche anti-gaspi. A Bussy, il reste par exemple 40 % de radis noir invendus. Les Fabuleuses Cantines achètent ce surplus aux agriculteurs qui passent du rouge au vert. Au bout, on a une cuisine bistronomique avec de nouvelles manières de cuisiner du radis noir et des prix intéressants. Je peux aussi citer Inovaya, une très belle start-up de Chasse-sur-Rhône capable de potabiliser l'eau avec des unités complètement packagées en container. On le dépose au milieu d'un fleuve et en une demi-heure, on peut distribuer de l'eau potable.

Qu’apportez-vous par votre coaching aux entreprises ? On peut parler d’Optiago, une entreprise dirigée par trois Colombiens, dont deux docteurs de l’INSA en mathématiques. Ce super logiciel d'optimisation des transports pour le médico-social enlève tout stress au chauffeur qui peut se concentrer sur l’accompagnement des patients. Une fois en place, 30 % de la flotte de véhicules peut être vendue. Cette solution améliore aussi la productivité des soignants de 15 à 20 % car les patients arrivent à l’heure et, s’il y a un retard, ils sont prévenus une demi-heure avant. Aujourd’hui, il faut trois jours pour mettre en place cet outil et former les équipes. Nous, on va le passer en mode SaaS pour l’installer à distance en deux heures de temps. On travaille également avec CirculaCar qui rétrofite des véhicules. Les deux fondateurs ont démontré la maîtrise de cette technologie en remplaçant le moteur thermique d’une Polo et d’une Kangoo par une propulsion électrique. Pour nous, après cette première étape nécessaire pour offrir la POC, la preuve du concept, ils doivent revoir leur politique commerciale et viser une niche : le véhicule spécial. Par exemple dans l’aéroportuaire.

Vos recommandations améliorent la situation des entreprises que vous soutenez ? Oui, on multiplie par cinq ou six leurs performances commerciales. Aujourd’hui, le gros problème, ce sont les clients qui mettent beaucoup de temps à se décider. Pour dépasser cette inertie, il faut vraiment accentuer la démarche commerciale. Ce qui ne veut pas dire mettre la pression sur les commerciaux mais se réunir pour les accompagner, une fois par semaine, de préférence le lundi. On réunit tous les services de l’entreprise pour passer en revue les offres en cours, sans rien oublier. Un prospect commercial qui dort, sans contact régulier, perd sa valeur.

Vous êtes désormais très sollicités ? Oui, énormément de gens souhaitent que Ponton investisse et vienne dans leur comité de direction. On vise majoritairement des entreprises entre 100 000 € et 2 millions de chiffre d’affaires qui ont entre 18 mois et 5 ans d'existence. On est sollicités par des gens qui ont des projets longs parce qu'ils savent qu'un family office, c’est de l’investissement patient.

Votre démarche associe impact sociétal et environnemental dans un souci de maillage territorial. Avez-vous un volet relocalisation ou réindustrialisation ? Oui, sachant que l’industrie, c’est le monde d’où je viens. On ne vise pas l’industrie lourde qui nécessite de très gros investissements. On connaît des partenaires pour ça. Nous, notre type de participation industrielle, c’est par exemple 1432 créé par deux profils très expérimentés, notamment en R&D. Aujourd'hui, 80 % des composants installés sur les vélos viennent d’Asie. Même quand ces vélos sont fabriqués en Europe. En amenant de l’innovation, on peut relocaliser une partie de ces composants. Dans le monde de l’automobile, vous avez de grands équipementiers incontournables et très innovants. Ce n’est pas encore le cas dans le vélo. C’est costaud comme défi : il y a de la route à faire!

Votre family office s’appelle Ponton et vous habitez une péniche, ce n’est pas un hasard ? Non, on vient d’Ecully où on ne se parlait pas entre voisins. Avec la péniche, on est déjà dans un collectif. On échange parce qu'on a les mêmes problématiques et on se donne des coups de mains. Par exemple quand il faut resserrer des amarres en cas de vent du Sud où quand on s’absente. Si on veut rentrer dans le collectif à titre professionnel, il faut l’expérimenter à titre personnel. Quand on habite une péniche, on vit cette coopération.

Carl Putman @L.Favrot Cinq chefs de file Lors de la soirée de lancement de Sytaim, le 25 mars 2025 à la Maison de l’Environnement, dans le 7e arrondissement, c inq “chefs de file” ont été présentés : Claire Bleton-Martin, pour la communication, l’éducation et la transition des organisations, Laetitia Cros pour la mobilité, l’habitat et l’énergie, Marion Dolisy-Galzy pour la solidarité et la santé, Cécile Forgue pour la valorisation des déchets et l’upcycling et Clémentine Mossé pour l’alimentation, le climat et la biodiversité. Une soirée marquée par une conférence introductive du chercheur Olivier Hamant et deux tables rondes.

“Mag2Lyon Connect” Olivier Hamant invité de Mag2Lyon La vision systémique de ce biologiste, qui plaide pour la robustesse plutôt que le culte de la performance et de l’optimisation à outrance, rejoint les valeurs de Systaim. Il a d’ailleurs accepté d’accompagner ce nouveau collectif d’acteurs de l’Economie sociale et solidaire. Grand Entretien à voir sur la chaine YouTube de Mag2Lyon. https://www.youtube.com/watch?v=qzkShA8vo8Y

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