“Le lait maternel est un médicament pour les prématurés”

Dr Rachel Buffin dans la chambre froide

Le lactarium à vocation régional Auvergne-Rhône-Alpes fait partie des 20 lactariums français qui recueillent des dons de lait maternel. Entre 7500 et 8000 litres passent par ce service, situé à l’hôpital de la Croix-Rousse, chaque année. Le premier lactarium a ouvert à Lyon en 1951 mais ce don reste méconnu… Or le lait maternel permet d’éviter de nombreuses infections. Interview du Dr Rachel Buffin, responsable médicale du lactarium de Lyon.

Depuis quand êtes-vous responsable de ce service  ?
Dr Rachel Buffin  : Depuis 2008. Je suis arrivée dans ce service par hasard et je suis “tombée dedans”. Le lait maternel est un produit tellement intéressant ! On apprend des millions de choses : l’impact de la nutrition sur le comportement, sur les maladies… Je me suis formée au fur et à mesure sur le lait maternel et sur la lactation. C’est un petit milieu, il n’y a pas d’études spécifiques pour devenir médecin de lactarium. On essaie de collaborer sur le plan national et sur le plan international.

Quelles sont les activités du lactarium ?
Nous avons deux activités. La première : la pasteurisation du lait personnalisé. Ce sont des mamans qui tirent leur lait car leur bébé est extrêmement prématuré et hospitalisé. Il est ensuite pasteurisé et restitué au service de néonatalité pour leur enfant. La deuxième : le lait anonyme. Ce sont des mamans qui donnent leur lait pour d’autres enfants. Elles doivent donc déjà couvrir les besoins de leur propre bébé et avoir un excédent de lait. 

Comment s’organise la collecte du lait anonyme ?
Les mamans recueillent leur lait avec un tire-lait en respectant des règles d’hygiène très strictes. Il faut qu’elles possèdent un congélateur pour pouvoir stocker le lait. On fait des tournées dans toute la région, de Clermont-Ferrand jusqu’à la frontière suisse et du nord du Rhône jusqu’à Valence. Il n’y a que deux lactariums dans le sud-est, Lyon et Montpellier, alors qu’il y en a trois en Bretagne. Les collectrices font une à deux tournées par jour en irradiant un secteur. Elles passent en général tous les mois ou tous les deux mois chez les mamans. Certaines habitent loin mais recueillent 10 voire 15 L de lait par mois. Dans ce cas-là, ça vaut le coup d’y aller souvent. D’autres mamans tirent 1,5 L. C’est très variable. 

Vous parvenez à répondre aux besoins de toute la région ?
Ça dépend des périodes. Nous avons vécu une période de pénurie. Il y a eu une chute brutale des dons, peut-être liée à la phase de réouverture après les confinements. Notre stock était proche de 30 L de lait… Les services de néonatologie de toute la région nous adressent des commandes. On a lancé un appel aux dons et notre stock est remonté à 240 L. On n’est pas assez nombreuses pour gérer un tel flux. Je suis la seule médecin du lactarium et je suis à mi-temps. Notre niveau stable se situe à 250 L. On aimerait pouvoir en traiter plus. On commence à avoir des demandes de lait maternel dans des cas de pathologies cardiaques. Le don de lait maternel n’est pas sous l’égide de la biomédecine qui fait la publicité pour tous les dons, sauf du nôtre. C’est important de le faire connaître sur le long terme pour stabiliser les dons.

Quels bébés bénéficient des dons ?
Des bébés nés au bout de 5 mois à 7 mois et demi de grossesse. On aimerait pouvoir donner du lait maternel à la maternité quand les mamans ont des difficultés de mise en route de la lactation, au lieu de donner des compléments de lait artificiel qui peuvent parfois entraîner des soucis de santé. Il faudrait des politiques de santé en faveur du lait maternel  !

Vérification des biberons et prélèvement
d’échantillons dans une pièce propre

Quels sont les bénéfices du lait maternel pour des bébés prématurés  ?
Le lait maternel est un véritable médicament pour les prématurés. Ils le digèrent beaucoup mieux par rapport à du lait artificiel qui peut être pourvoyeur de quatre fois plus d’infections du tube digestif. Le lait maternel tapisse le tube digestif, favorise une meilleure flore, une digestibilité plus importante, ce qui signifie moins de stagnation et moins de pullulation microbienne. Il lutte aussi contre les infections respiratoires, les dysplasies bronchopulmonaires… Autre atout : le contenu en graisses est extrêmement adapté. Il s’agit d’un constituant des membranes du cerveau et de la rétine. Certaines études ont montré que les bébés nourris au lait maternel peuvent gagner plusieurs points de Q.I. 

Dans le cadre d’un don personnalisé, c’est aussi une façon de garder le lien avec son bébé…
Oui, ça a un effet réparateur pour la maman. Ne pas avoir pu mener sa grossesse à terme est souvent une blessure pour la maman. Le fait d’amener du lait à son enfant, c’est une façon pour elle de faire quelque chose pour son enfant. Ce lien est particulièrement important puisque dans un service de néonatalogie, les parents ont peu d’actions sur leur nouveau-né… Beaucoup de soins sont prodigués par les médecins et les infirmières. On essaie de leur donner de plus en plus en place, en faisant du peau à peau par exemple mais ces parents sont quand même dépossédés de leur enfant. 

Quelles sont les motivations des mamans qui font des dons anonymes ? Elles sont déjà dans une période de leur vie où elles sont fatiguées, beaucoup sollicitées…
Les enfants de certaines sont passés par la néonatalogie, elles savent à quel point c’est important. Elles véhiculent ce discours autour d’elles et dès qu’elles peuvent donner, elles donnent. Certaines mamans donnent un ou deux mois, d’autres deux ans. Leur mère ou des copines ont souvent donné également. Ça fonctionne beaucoup par le bouche-à-oreille. Mais notre population est très ciblée contrairement aux autres dons. Nos donneuses sont uniquement des jeunes femmes qui allaitent. C’est vraiment de l’altruisme. De temps en temps, il y a même des mamans qui ont perdu leur bébé et qui vont continuer à être donneuse, voire qui vont initier une lactation pour pouvoir donner. C’est une façon de donner sens à la perte de leur enfant. Cette grossesse n’a pas abouti mais leur lait permet de donner un peu de vie à d’autres enfants. C’est un effet très réparateur.

Quelles sont les contre-indications ?
Le fait d’avoir été transfusée, de fumer, d’avoir eu des antécédents de toxicomanie, des partenaires sexuels multiples… 

Dans quels cas les mamans ne peuvent pas donner leur propre lait à leur bébé prématuré ?
Si elles prennent un médicament contre-indiqué dont elles ont absolument besoin. On essaie, dans la mesure du possible, de changer les traitements mais il arrive que ce ne soit pas possible. Ça peut être à la suite d’un accouchement extrêmement difficile. Certaines mamans peuvent être en réanimation… Si on ne commence pas l’initiation de la lactation dès le début, ça peut mettre en péril le fait d’avoir suffisamment de lait. L’organisme a tout prévu pour que les mamans accouchent à terme et allaitent à terme, ça peut être un peu plus compliqué de mettre en place l’allaitement pour un bébé prématuré. Ça demande une prise en charge et un accompagnement spécifiques.

Les dons personnalisés deviennent parfois des dons anonymes…
Oui, régulièrement un prématuré va consommer beaucoup moins de lait que ce que sa maman produit. On propose à ces mamans de nous donner une partie du lait qui ne va pas servir à leur enfant. C’est ce qu’on appelle le lait requalifié. Leur enfant a souvent bénéficié du don de lait au tout début quand la lactation n’était pas encore bien établie. Ces mamans sont très reconnaissantes et motivées. Le lait des mamans de prématurés a une composante nutritionnelle très intéressante, un peu différente de celui de mamans de bébés nés à terme.

Le lactarium de Lyon bénéficie de son propre laboratoire. À l’issue des analyses, 13 à 15 % du lait est jeté.

Les activités des lactariums sont très encadrées  !
Oui, les lactariums dépendent forcément d’un hôpital. En 2010, nous avons repris l’activité du lactarium de Saint-Étienne qui était géré par la Croix-Rouge. Nous suivons un guide de bonnes pratiques sous l’égide de l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé depuis 2008. Le lait des lactariums est devenu un produit de santé. Des inspections ont été mises en place. Le niveau d’exigence s’est décuplé.

Quelles sont les différentes étapes pour vérifier que vous pouvez effectivement donner le lait collecté aux bébés  ?
On réalise un examen sanguin lors du premier don puis tous les trois mois pour éliminer des maladies virales qui peuvent potentiellement être transmises via le lait. Des échantillons de chaque don sont prélevés pour faire de la bactériologie avant et après pasteurisation. 13 à 15 % du lait sont jetés. Lors de la pasteurisation, le lait est monté à 62,5° pendant 30 minutes. Ensuite il est refroidi très rapidement et surgelé dans une cellule qui le fait descendre à 24°. Il peut être conservé jusqu’à 8 mois en chambre froide. Tous les équipements sont surveillés. Concernant le lait anonyme, nous mélangeons les dons de plusieurs mamans pour essayer de lisser la composition. 

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