La VR contre la violence conjugale

Image extraite du film en réalité virtuelle

Le ministre de la Justice, Éric Dupond-Moretti, a lancé une expérimentation inédite pour lutter contre les violences conjugales. Une immersion en réalité virtuelle proposée à des hommes condamnés afin de développer leur empathie. Ce projet a été mené par une entreprise lyonnaise Reverto. Par Maud Guillot. 

Andréa et de Max sont heureux. Ils vont avoir un bébé. Dans leur coquet appartement, ils discutent de tout et de rien. On découvre ensuite Mattéo, leur fils. La relation des parents n’est plus aussi idyllique. Il y a les contrariétés du travail, la fatigue du quotidien… On sent que Max se referme. Il soupçonne sa femme… Il ne veut plus qu’elle appelle ses amies, qu’elle sorte. Il est jaloux. Petit à petit, la situation dégénère, jusqu’au premier coup. Il s’excuse bien sûr, promet qu’il ne recommencera pas. Il l’aime. Mais il ne peut pas s’en empêcher. Elle sait pourtant qu’elle ne “doit pas l’énerver quand il rentre du boulot”. Scène suivante, Andréa a le visage couvert de bleus. Jusqu’à la scène finale… C’est le scénario en 12 minutes qui va être projeté en réalité virtuelle, grâce à un casque, à des hommes condamnés pour des faits de violence conjugale. Un film qu’on a pu visionner et qui fait froid dans le dos car on perçoit toute la tension, l’emprise et bien sûr la douleur… On passe successivement dans la peau de Max, Andréa et du bébé Mattéo. La scène où Max manipule un couteau, faussement menaçant, est prenante. On est réellement immergés dans ce huis-clos. De là raisonner les hommes violents ? 

Empathie
“Il ne faut pas rêver ! Ce n’est pas magique”
répond Liliane Daligand, psychiatre-expert auprès des tribunaux. Celle qui a vu passer des auteurs comme des victimes, et qui est  présidente de l’association VIFFIL SOS Femmes est toutefois confiante : “L’idée, c’est de déclencher le dialogue. Un homme qui est pris dans sa violence est aveugle et sourd. En le plongeant dans la peau d’un autre auteur puis de sa victime, on le rend spectateur. Il est en prise directe avec lui-même. Ce qui peut l’inciter à la réflexion, à ressentir de l’empathie…” L’objectif est également de de na pas oublier la place de l’enfant, qui assiste à ces violences : les conséquences psychologiques peuvent être énormes.
Un an après le lancement du bracelet anti-rapprochement, la réalité virtuelle est donc un nouvel outil dans la lutte contre ce fléau des violences conjugales et plus spécifiquement la récidive. Il a déjà montré son efficacité dans le traitement de chocs post-traumatique ou des phobies.
“On est bien conscients qu’on ne va pas changer un homme en 12 minutes ! Cet outil qui n’est pas un gadget doit être accompagné d’un programme de prévention de la récidive sur plusieurs mois, donc d’une thérapie” concède également Lenaic Cadet, psychologue et chercheuse en neurosciences, en mission chez Reverto, la start-up lyonnaise qui a réalisé le scénario. Ce dispositif s’inscrit donc dans une prise en charge plus globale, proposée par les services pénitentiaires d’insertion et de probation. Il ne la remplace pas.
Il y a un an, un groupe de travail a été constitué au ministère de la Justice, avec des magistrats, des agents des SPIP, des psychologues, des psychiatres dont Liliane Daligand… Ce comité a validé tout le processus et a même demandé des modifications lors de la présentation du prototype en avril dernier.
Une dizaine d’hommes à Lyon, mais aussi à Meaux et à Villepinte vont désormais pouvoir le tester au cours des trois prochains mois. Tous volontaires. Ne pourront pas être retenus les détenus qui consomment des médicaments trop forts, qui souffrent d’alcoolisme ou qui présentent des troubles psychiatriques du type paranoïa.
Un bilan sera dressé dans un an pour une éventuelle généralisation. Des études vont comparer le devenir d’hommes ayant bénéficié de la VR aux autres. Mais en Espagne, un projet similaire lancé il y a deux ans a déjà donné des résultats encourageants dans la prison de Tarragone. Les effets seraient même durables… Pour un investissement assez limité : un casque coûte 250 euros.
“On est vraiment contents d’accompagner ce projet. Il va nous permettre d’évaluer comme jamais nos expériences sociales” raconte Guillaume Clere, fondateur et président de Reverto. Cette PME implantée au Pôle Pixel de Villeurbanne est spécialisée dans la réalité virtuelle au service de problématiques sociétales, notamment les risques psychosociaux.

Cerveau dupé
Tout a commencé quand Guillaume Clere, journaliste et réalisateur pour LCP ou Canal Plus a voulu proposer un documentaire sur le sexisme ordinaire. Il n’est pas parvenu à le faire financer mais il s’est passionné pour ce sujet. Et il s’est rendu compte que cette préoccupation traversait le monde de l’entreprise et intéressait les RH. Incubé à l’EM Lyon, il a donc décidé d’en faire un projet de start-up en 2018. Son idée : la VR peut permettre de changer les comportements, de façon ludique.“En visionnant des situations virtuelles, on dupe notre cerveau, comme si on les avait vraiment vécues…” explique Alice Michot, responsable des partenariats chez Reverto. Guillaume Clere a donc commencé par créer des scénarii autour du sexisme, et du harcèlement sexuel en entreprise. Puis du harcèlement moral et des préjugés sur les handicaps invisibles…
“L’avantage de la réalité virtuelle, c’est que c’est fun, nouveau… Les salariés se plient volontiers à l’expérience. Alors que si on leur annonce une formation classique sur le harcèlement, ils vont lever les yeux au ciel !” ajoute Alice qui admet profiter des engagements des entreprises en matière de RSE. Selon elle, toutes sont concernées. La VR permet alors d’ouvrir le dialogue. Voire de révéler certains comportements inappropriés.
Plus récemment, Reverto a travaillé sur le consentement, auprès des étudiants et le harcèlement scolaire au collège. Cette entreprise s’est associée avec E-enfance, une association de protection de l’enfance sur internet qui dispose du numéro Net-écoute, diffusé dans les établissements scolaires. Il est arrivé que des collégiens pleurent après une séance de VR, se rendant compte qu’ils étaient “harceleurs”. Cette solution devrait être en libre-accès d’ici la fin de l’année.
En fait, comme Reverto n’est pas expert des sujets qu’il traite, il s’associe avec des cabinets spécialisés comme Ekiwork sur le sexisme. A chaque fois, le procédé est le même. On interroge des professionnels, on recueille des témoignages. Puis Guillaume Clere et ses équipes établissent un scénario. L’histoire est alors tournée avec des comédiens. Pour la violence conjugale, Reverto a bénéficié du dispositif, Marché public innovant, avec à la clef une enveloppe de 100 000 euros.

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