“La transparence peut aussi être une fragilité”

Devenir une banque indépendante, à part entière, c’est l’ambition de la NEF, installée à Vaulx-en-Velin. Un sacré pari car l’accès à ce statut reste très difficile. Cette coopérative bancaire qui revendique une transparence totale, a lancé une grande campagne nationale pour mieux se faire connaître et lever des fonds. Mais elle se retrouve mise en cause pour ses liens supposés avec l’anthroposophie, un mouvement ésotérique accusé de dérives sectaires. L’opposition municipale reproche même aux exécutifs lyonnais de faire appel à ses services pour des financements, à la Ville de Lyon et à la Métropole. Bernard Horenbeek, président de la NEF, a accepté de répondre sans détour à nos questions. Par Lionel Favrot

Comment a été créée la Nef ?
Bernard Horenbeek : Au départ, il s’agissait d’une association de citoyens qui s’étaient rassemblés pour faire du crédit à des projets écologiques et solidaires. En 1988, la loi française a interdit toute activité de crédit aux associations et la Nef est devenue une société coopérative. Avec une obligation : s’adosser à une banque de plein exercice. La Nef s’est donc adossée au Crédit Coopératif avec qui elle entretenait, à l’époque, de bonnes relations.

Pourquoi avoir mis fin à cet adossement il y a deux ans ?
Parce que la Nef a fortement grandi pour atteindre un bilan d’un milliard d’euros. C’est petit pour une banque mais c’est déjà gros pour être adossé au Crédit Coopératif dont le bilan atteint 25 milliards d’euros. On a donc décidé de devenir une banque de plein exercice pour continuer à se développer. D’ailleurs, parmi les principes de fonctionnement d’une banque éthique tels qu’ils sont fixés par la FEBEA, la fédération européenne des banques éthiques et alternatives, il y a l’autonomie de gestion.

C’était la seule solution ?
Oui. L’ACPR* qui a autorité en France sur le système bancaire, nous a demandé de trouver un autre adossement mais c’était impossible de le trouver en conservant notre fonctionnement coopératif. Cet adossement se serait transformé en une fusion-acquisition. On a donc entré notre dossier à l’instruction en juin dernier pour devenir une banque de plein exercice. C’est possible car on a fait en sorte depuis plusieurs années de ne plus dépendre du Crédit Coopératif. On est déjà autonome financièrement mais aussi au niveau de notre système d’information. Il n’y a donc pas de rupture brutale à gérer.

Que gardez-vous de votre spécificité aujourd’hui où tout le monde parle de finance verte ou éthique ?
On entend ces discours mais les moyens de vérifier ces affirmations restent très faibles. Pour moi, la Nef est la seule banque à être totalement transparente en publiant chaque année l’intégralité des crédits qu’elle accorde. D’ailleurs, c’est une folie d’un point de vue commercial car nos concurrents consultent ces informations et certains ne se privent pas de démarcher nos clients.

Avez-vous pu garder cette transparence malgré votre croissance ?
Oui. On a toujours une relation très forte avec nos clients. C’est plus une logique de partenariat. Notre principe ce n’est pas seulement d’être remboursés mais que le projet qu’on finance réussisse avec un impact sur la société. On veut être un outil au service de ceux qui entreprennent autrement en tenant compte de leurs responsabilités sociales, sociétales et environnementales. À cela s’ajoute la dimension coopérative. La Nef appartient à ses 42 000 sociétaires.

Justement, le changement d’échelle est une question récurrente dans le monde de l’ESS où vous intervenez !
Oui, là aussi, on est grand pour une coopérative mais petit pour une banque… C’est un autre paradoxe. Notre mot d’ordre, c’est l’alternative mais pas la marginalité. Être marginal permet d’expérimenter mais ce n’est plus à la hauteur de l’urgence climatique.

Cette croissance ne vous impose pas de renoncer à certains principes ?
On se doit de respecter toutes les règles du système bancaire. Avant même de continuer à grandir, on a dû énormément investir en recrutant des personnes chargées uniquement de la conformité et des questions réglementaires. La croissance nous permettra de mieux absorber ces coûts mais on veut rester dans notre fonctionnement démocratique. Pour nous, cela passe par la pédagogie avec des webinaires à destination de nos sociétaires. La démocratie ce n’est pas seulement l’Assemblée générale.

Vous avez lancé une campagne Big Banque pour parler de vos ambitions et augmenter votre capital. Si vous échouez à rassembler cette somme, votre procédure d’agrément sera remise en cause ?
Non, mais on fera évidemment moins de crédits. En fait, on a également axé cette campagne sur le montant du capital pour des raisons pédagogiques. On veut familiariser nos sociétaires avec des notions comme le ratio de solvabilité pour être transparent sur nos contraintes. On va organiser des journées de portes ouvertes à tout le monde.

Lancer ce mouvement des Licoornes, avec deux O, ce n’est pas utiliser trop facilement des outils marketing qui n’ont rien d’alternatif ?
C’est un clin d’oeil aux licornes, ces start-up qui atteignent le milliard de dollars de valorisation, mais sans mimétisme. Au contraire, on veut montrer qu’il y a un autre type d’économie que la croissance pour la croissance comme on le voit chez certaines start-up. Mais l’ESS a encore beaucoup à apprendre en termes de marketing. Sa difficulté c’est de tout combiner, la démocratie de l’association et l’agilité de l’entreprise.

Gardez-vous réellement une avance en termes d’investissement écologique par exemple ?
Oui, on a sollicité Carbon4 qui est une référence dans ce type audit, et ce bureau d’études a démontré que notre impact carbone était quatre fois inférieur à la deuxième banque la mieux placée sur ce sujet. Ce qui veut dire qu’on est prêt à se faire évaluer. S’afficher vert ou éthique ne suffit pas.

Jusque-là, vous étiez plutôt discret car plutôt spécialisé dans une clientèle professionnelle… Pourquoi cette campagne ?
On avait déjà lancé une campagne en 2018 pour ouvrir des livrets, ce qui a généré des souscriptions supplémentaires. On a aujourd’hui 80 000 clients. Mais la demande de crédits reste soutenue côté professionnels. La crise sociale et climatique fait qu’une banque éthique comme la Nef est attendue sur tous les terrains qui relèvent de la transition énergétique, du bio…

Mais ces secteurs se développant fortement, les autres acteurs bancaires sont aussi très présents !
On est regardé de près et même parfois imité. Mais c’est bien que ces projets trouvent d’autres financements que la Nef car les montants sont de plus en plus importants. Un parc éolien aujourd’hui, c’est un budget bien plus élevé qu’à nos débuts ! Ce que je constate, c’est qu’on est souvent en cofinancement avec d’autres établissements. Étant une référence sur ces sujets, notre présence encourage visiblement d’autres banques à soutenir ces projets. L’émergence de fonds verts me paraît aussi une bonne chose. Mais on se doit aussi de grandir nous-mêmes pour continuer à accompagner ces secteurs en pleine croissance tout en développant notre implantation territoriale. Plus la Nef sera grande, plus elle financera de projets et plus elle sera présente en proximité.

Si vous réussissez cette prise d’autonomie, à quoi ressemblera la nouvelle NEF ?
On restera une banque d’épargne et de crédit mais on va aussi élargir nos services. En effet, un certain nombre de nos clients, notamment les plus jeunes, voudraient qu’on devienne leur banque principale. On doit donc proposer un compte courant pour les particuliers. Ce qui sera possible quand on aura cet agrément.

Compte tenu de la généralisation des nouvelles technologies, avez-vous les capacités de suivre ?
Oui, car la Nef est entrée dans une logique de collaboration avec des fintech qui ont développé les outils dont on a besoin avec une ergonomie très facile. On veut assembler les meilleurs d’un point de vue éthique et les meilleurs d’un point de vue technologique. On veut grandir sans tout réinventer.

Est-ce que vos ambitions agacent ?
Oui, constamment. Être une banque éthique durable qui défend des idées environnementales et sociales, fait qu’on nous attaque sur d’autres fronts pour ne pas remettre en cause ces objectifs.

La polémique actuelle sur vos liens avec l’anthroposophie relève de ces attaques selon vous ?
Absolument, c’est incompréhensible autrement car ce débat a déjà eu lieu il y a 23 ans et il a été réglé il y a 23 ans. Les autorités de contrôle avaient mené les vérifications nécessaires. Le rapport de la commission bancaire de l’époque démontrait notre indépendance et notre transparence. Mais cette transparence peut là encore être une fragilité. Ceux qu’on dérange peuvent identifier des projets à critiquer. Quand on a financé le bio alors que les produits chimiques étaient de plus en plus sophistiqués ou le vrac alors que les emballages étaient de plus en plus séduisants, on nous a traités de fous. Mais nous, on garde l’oeil ouvert et on accompagne ces entrepreneurs.

Aujourd’hui, on vous reproche surtout le financement des écoles Steiner, elles-mêmes inspirées de l’anthroposophie ?
Oui, mais savez-vous que sur ces financements, la Nef n’était pas seule ? D’autres banques ont accordé des crédits aux écoles Steiner mais personne ne le sait car ces banques ne sont pas transparentes sur leurs contrats de crédit. Du coup, personne ne le leur reproche !

Des banques classiques, autres que la Nef, financent les écoles Steiner ?
Évidemment. Mais j’ai du mal à me replonger dans ce débat vieux de 23 ans 

En même temps, vous ne pouvez pas éviter ces questions !
Tout à fait !

Ce qui est souligné par plusieurs médias, c’est qu’il y a quand même trois personnes du conseil de surveillance de la Nef impliquéés dans le mouvement anthroposophique…
Trois personnes sur douze. Dans un conseil de surveillance qui n’a aucun pouvoir opérationnel et décisionnel. Ce conseil de surveillance, comme son nom l’indique, vérifie après coup si nos actions sont conformes aux souhaits de l’AG. Leur influence n’est pas prépondérante. Ceux qui agissent et qui décident de la gestion de la Nef, c’est le directoire : Yvan Chaleil et moi-même.

Vous-même, êtes-vous anthroposophe ?
Non, je ne suis pas anthroposophe et Yvan Chaleil non plus. Parmi les huit membres du conseil de direction, il n’y a pas non plus d’anthroposophes. C’est très clair : A la Nef, ceux qui décident d’accorder ou non des crédits, ne sont pas anthroposophes.

Quand vous avez été recruté, on ne vous a pas demandé si vous croyiez à l’anthroposophie ?
Non. Quand j’ai été recruté il y a 5 ans, je me suis même clairement présenté comme un vieux militant laïc ! Même si ce n’est pas la même chose en France et en Belgique, je dirais que cela représente aussi l’ouverture et le libre arbitre. Je ne m’occupe pas de la dimension confessionnelle des gens.

Si la Nef avait été sous influence vous vous seriez méfié ?
Oui, et on n’a plus financé d’école Steiner depuis 2019 car certaines de ces écoles semblent poser problème. Il y a des débats et des endroits où il y a pu avoir des dérives. Mais c’est au ministère de l’Éducation nationale d’aller faire le ménage là-dedans ! C’est à l’État de dire ce qui est sectaire ou non, pas à un banquier ! Au lieu de cela, l’État a réduit les moyens de la Miviludes, l’organisme en charge de la lutte contre les sectes, et elle se contente désormais de compiler des avis dans des rapports plus ou moins bien faits. Moi, je ne connais pas l’anthroposophie, et j’aimerais bien qu’on m’éclaire !

À travers les écoles Steiner, on vous fait porter les craintes qu’inspire l’anthroposophie ?
On paye surtout un combat politique lyonnais de petite ambition avec un paradoxe : les élus de l’opposition lyonnaise qui nous critiquent aujourd’hui, sont des proches de Gérard Collomb qui est venu nous chercher il y a dix ans pour financer la Métropole. Il faut sortir de cette médiocrité. On avait trouvé très bien que la finance éthique et les collectivités locales travaillent ensemble. Il y a une force à travailler ensemble car on est en théorie tous mobilisés pour le bien commun.

Cette polémique vous porte tort ?
Beaucoup de sociétaires et de clients m’envoient des messages de soutien en me précisant qu’ils savent bien que la Nef n’a rien à voir avec des dérives sectaires ! Mais nos équipes sont furieuses. Elles se sentent salies par ces attaques sans fondement. Nos collaborateurs sont les mieux placés pour connaître notre fonctionnement qui n’a rien à voir avec une secte. Mais la nuisance est là puisque toute la presse en parle et que vous m’en parlez aussi dans cet entretien.

Mais on n’a pas parlé que de cela. Et dès la première interview de votre prédécesseur, il y a une
dizaine d’années, j’avais posé cette question sur l’éventuelle influence de l’anthroposophie sur la NEF. Sans attendre cette polémique…
Et je vous en remercie ! Cela fait du bien d’entendre un discours raisonnable dans ce contexte car pour la majorité des autres journalistes, la croissance de la Nef et notre opération Big Banque n’est même pas un sujet. Pourtant, 85 % du marché bancaire est tenu par seulement cinq acteurs. Cela me paraît important d’avoir en France un établissement comme la Nef qui est en pointe sur ces sujets éthiques. Je ne prétends pas qu’on sert de modèle mais au moins d’aiguillon.

*Autorité de contrôle prudentiel et de régulation

Cet article m’a intéressé. Je souhaite acheter le magazine dans lequel il a été publié : c’est par ici !

Anthroposophie
Difficile de résumer cette pensée ésotérique en quelques mots sinon qu’elle se veut proche de la nature avec une approche peu scientifique. Le Monde Diplomatique a publié un article à charge encore systématiquement cité par les détracteurs des idées de Rudolf Steiner, alors que Libération, autre journal de gauche, a publié un check new affirmant clairement que ce mouvement n’a aucun des traits caractéristiques d’une secte. Sans valider autant ses théories. En fait, la polémique vient des initiatives que ce courant a inspirées, en particulier les écoles Steiner dont certaines ont fait l’objet de signalements. La biodynamie, une manière étonnante de traiter la vigne, est aussi critiquée pour ses côtés ésotériques, à la différence des labels bio classiques. Avec sa BD, “Cosmo-Bacchus”, Jean-Benoît Meybeck a mené un travail de terrain assez précis et souvent ironique au coeur des vignobles, qui en révèle tous les aspects. Paradoxalement, de grands chefs d’entreprise, au profil plutôt rationnel, ont repris des vignes dans le Beaujolais ou dans la Vallée du Rhône, et ont choisi ce mode de culture atypique.

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