Grézieu-la-Varenne 
: Une pollution oubliée

Tout un quartier de Grézieu-la-Varenne est concerné par cette pollution suite à l’activité d’une entreprise de blanchisserie

La Cour d’appel de Lyon vient de donner raison à une famille habitant cette commune de l’ouest lyonnais qui avait redécouvert une pollution ancienne lors de travaux dans son jardin. Une affaire étrange où se mêle inaction des services de l’État, désormais très mobilisés, absence d’information de la part des vendeurs et notaires sur le passé de ces terrains, silence du maire en place… Par Lionel Favrot

Madame, il faut venir voir, on a un problème pour vos travaux. Ce que j’ai trouvé, c’est pas commun. Je n’ai jamais vu ça.” Ce 5 février 2019, Mélanie Devers pensait être arrivée au bout de ses peines pour la rénovation et l’extension de sa maison de Grézieu-la-Varenne, dans l’ouest lyonnais verdoyant. Après le parcours réglementaire classique, de demandes d’autorisation en formulaires divers à remplir, il ne restait plus qu’à passer à la phase de construction. Mais ces tracas administratifs n’étaient rien à côté de ce qu’elle va découvrir en revenant chez elle suite à l’appel du chef de chantier. Le début de 4 ans de procédure. Après avoir vécu 30 ans à Villeurbanne, la famille Devers était venue s’installer à Grézieu-la-Varenne pour que ses deux jeunes enfants, alors âgés de 1 et 3 ans, puissent grandir “en dehors de la ville”. Sa recherche : une maison atypique style loft. “Exactement ce qu’on a trouvé à Grézieu, avec des poutres métalliques apparentes.On pensait que c’était un ancien entrepôt servant d’espace de stockage pour la famille des propriétaires qui habitait tout autour. Ou pour faire des fêtes. Ils l’avaient eux-mêmes transformée et rénovée en 2001.” Un achat de 440000 € avec jardin
et piscine.

Ce 5 février 2019, il était juste prévu de déplanter un olivier pour dégager la place à un futur puits de drainage des eaux usées. “J’étais ravie que ces travaux d’extension commencent enfin”, se souvient Mélanie Devers. Quand elle revient dans son jardin, c’est un cloaque noir qui percale au fond du trou. Le soir même, elle envoie un mail à l’ancien
propriétaire pour demander des explications. Faute de réponse, elle commence son enquête. Sa première étape la mène juste au coin de la rue, chez Marie-Louise Simard. “Elle m’avait dit qu’elle ne voulait pas reparler de cette histoire qui était trop lourde pour elle. Passez un de ces quatre m’a-t-elle dit car j’ai un dossier.” Mélanie Devers débarque sans attendre chez cette voisine un peu éloignée qui ne lui avait encore jamais parlé de cette histoire. Et elle va aller de découvertes en découvertes, toutes plus inquiétantes les unes que les autres.

En fait, l’entrepôt familial transformé en loft faisait partie d’une ancienne usine qui avait déjà défrayé la chronique au début des années 1980 (voir document ci-joint). À l’époque, Marie-Louise Simard est maraîchère avec son mari à Grézieu-la-Varenne. Le couple et leur fille sont malades et des analyses révèlent une grave pollution. Responsable: une laverie industrielle, les Dégraissage Mercier, qui déclare exercer les activités “d’imperméabilisation, d’apprêts spéciaux et d’ignifugation.” À l’époque, le maire, Louis Veyret, ancien directeur général des HCL, se mobilise et demande à la préfecture d’intervenir. S’ensuivent des PV constatant la pollution et une série de mises en demeure.

Un festival
En consultant le dossier, Mélanie Devers découvre même que la maison dans un article du Progrès qui illustre cette première affaire… c’est la sienne. Avant d’être reconverti en loft, c’était un entrepôt industriel. Dans cet article, sa voisine témoignait avoir l’impression de “sortir du pressing” quand elle sortait de sa baignoire… Seconde étape : les archives départementales où elle retrouve tous les plans de l’entreprise. “C’était un festival.” Dernière étape : un rendez-vous chez une avocate lyonnaise Me Louise Tschanz, justement spécialisée dans le droit de l’environnement. “Elle ne me semblait pas plan-plan ! Et je ne le regrette pas.” Ingénieure technico-commerciale dans la santé, Mélanie Devers n’a pas peur de gérer des problèmes techniques et des dossiers complexes. Et elle va être servie.

Premier mystère à lever : comment cette affaire de pollution a pu tomber dans l’oubli entre 1984 et 2019 ? La famille Simard va devoir arrêter son activité de maraîchage du jour au lendemain. “Elle m’a raconté que cette affaire avait bousillé sa vie. Elle a dû changer de métier et elle a divorcé”, précise Mélanie Devers. En revanche, l’État va laisser cette affaire s’éterniser pendant 10 ans avant de… l’archiver. “La première fois que j’ai appelé la DREAL, la fonctionnaire tombait des nues car pour la Préfecture, cette entreprise était encore en activité”, assure Mélanie Devers. Ce qui pourrait expliquer l’absence de contrôle de dépollution du site.

Deuxième mystère : comment expliquer que la mémoire de ce scandale se soit effacée dans cette commune qui comptait moins de 3000 habitants à l’époque ? 35 ans d’omerta ? Cette fois, les recherches de Mélanie Devers et de son avocate Me Louise Tschanz vont prendre une tournure plus politique. Le maire qui a autorisé la transformation de cet entrepôt industriel en habitation n’est autre qu’Yves Hartemann, à l’époque marié avec une fille du chef d’entreprise mis en cause pour pollution dans les années 1980. Cet avocat lyonnais engagé politiquement chez les centristes, est une figure du barreau. Il est même aujourd’hui candidat avec Me Valérie Giet, une de ses consœurs, au poste de bâtonnier. Une collusion politico-familiale ? Interrogé récemment par le quotidien Le Monde, Me Yves Hartemann a répliqué que lui-même et la famille Mercier avaient habité sur le site, preuve qu’il ignorait tout du danger. Autre argument pour sa défense : sa décision urbanistique a été “strictement” vérifiée par l’État en l’occurrence la DDE. Mais il existe en théorie un troisième verrou : le notaire. Ce professionnel du droit a pour mission de vérifier l’histoire de tout terrain concerné par une vente. Il a pour cela à sa disposition deux bases de données officielles: l’inventaire des sites et sols pollués (BASOL) et celle des anciennes activités industrielles (BASIAS). Théoriquement accessibles à tous mais un peu techniques à l’utilisation, elles sont d’un usage courant pour les notaires et leurs équipes. Dans ce dossier, c’est Me Karine Gidon, notaire à Chasselay, qui a rédigé les actes de vente. “Mais elle n’avait même pas besoin de regarder ces bases de données puisqu’elle intervenait tant pour la famille Mercier que pour ses entreprises!”, s’emporte Mélanie Devers. De plus, il y avait bien une fiche dans BASIAS datée de 1999. Elle n’était pas aussi complète ni aussi alertante qu’aujourd’hui mais elle avait le mérite d’exister et elle aurait dû nous être présentée”, insiste Mélanie Devers qui ajoute : “L’ex-mari de Me Gidon, Me Joseph Palazzolo, avocat dans le même cabinet que Me Hartemann, était aussi l’associé de l’une des entreprises de la famille Mercier. Un joli petit monde !”, résume Mélanie Devers qui s’avoue “très en colère.”

Cet article vous intéresse ? La suite à lire dans le numéro de novembre 2022 : c’est par ici ! 

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