Faire de l’ESS la norme de l’économie de demain, c’est le souhait affiché par Jérôme Saddier en couverture de son livre “Pour une économie de la réconciliation”. Originaire de Villefranche sur-Saône et aujourd’hui président d’ESS France, il souligne le rôle citoyen de cette économie qui pourrait jouer un rôle nouveau dans l’après Covid. Par Lionel Favrot
Entretien paru dans Mag2Lyon N°145
Dans ce livre, vous faites de nouveau le lien entre République et ESS. Pourquoi ça vous semble important ?
Jérôme Saddier : Pour moi, l’Économie sociale et solidaire incarne une bonne partie du contrat social républicain. C’est évident dans le secteur de la santé et de la protection sociale mais pas seulement. En favorisant la mobilisation des personnes, les délibérations et la prise de décision collective, les organisations de l’ESS forment des citoyens. En accolant République et ESS, je veux aussi la replacer au centre du jeu politique. En période d’élection présidentielle et législative, ça m’a semblé opportun!
En quoi l’ESS peut être une “boussole” comme vous le proposez ?
Je reconnais que c’est ambitieux et même un peu prétentieux, tout comme affirmer que l’économie sociale et solidaire doit être la norme de l’économie de demain. Le message de l’ESS, en étant soucieuse de son impact économique, social et environnemental, c’est que le monde peut s’améliorer en montrant l’exemple avec ses valeurs. Avec des principes concrets d’organisation et de fonctionnement. Elle doit en être fière à une époque où les partis font preuve de confusion intellectuelle sur de nombreux sujets et où le poids de la technocratie étouffe beaucoup d’initiatives politiques. L’ESS ne peut pas régenter la planète mais elle peut irriguer la société de manière positive.
La loi de 2014 portée par Benoit Hamon, alors ministre, et à laquelle vous avez contribué, a élargi le périmètre de l’ESS. Elle n’a pas permis de mieux diffuser ses pratiques ?
D’une certaine façon. À l’époque, le Conseil d’État nous a dit qu’on ne pouvait limiter la définition de l’ESS a des statuts associatif ou coopératif. Ce qui nous conduit à définir ce qui la caractérisait. L’article 1 de cette loi définit une structure soucieuse de sa pérennité, de son utilité sociale et d’une gouvernance qui laisse de la place à toutes les parties prenantes. Au final, cela peut s’appliquer en dehors de l’ESS.
La loi PACTE de 2019 qui permet un statut d’entreprise à mission pour aller plus loin que le simple objet social prévu à l’origine, cela va aussi dans votre sens ?
Malheureusement, la loi Hamon de 2014 n’a pas bénéficié du service après-vente qu’elle méritait que ce soit des services publics ou de l’ESS elle-même qui a sous-estimé ce qu’elle apportait. C’est pourquoi la loi PACTE est venue avec une philosophie complémentaire mais sans aller très loin dans la transformation des entreprises.
Dans votre livre, vous semblez avoir également des doutes sur l’expression “d’entreprise à impact” très usitée actuellement !
C’est un terme à la mode et il est donc difficile de le critiquer ! Par ailleurs, étant de nature optimiste, je prends tout ce qui me semble aller plutôt dans le bon sens, la loi PACTE et les entreprises à impact. Mais je pense que cela demande des préalables qui ne sont pas si simples. Peu d’entreprises ont encore la capacité d’évaluer leur impact. Gérer une entreprise n’a même jamais été aussi difficile car les injonctions sont multiples voire contradictoires.
Quelles sont ces injonctions ?
Être rentable, respecter ses salariés et même aller au-delà de ce que prévoit la loi, se montrer transparent envers ses clients, être attractif pour les jeunes générations qui exigent du sens dans leur travail, se soucier de son impact vis-à-vis de ses sous-traitants, de son territoire, de l’environnement… Cela signifie un accroissement des engagements et du reporting auxquels très peu d’entreprises sont prêtes. Les accompagner pour leur permettre de ne pas être contraintes d’arbitrer que sur des impératifs financiers et à court terme, reste un grand chantier.
Du coup, faute d’évaluation approfondie, on risque de tomber dans le greenwashing?
En tout cas, je ne vois pas en quoi on compense un impact négatif sur son territoire en plantant des arbres à 10 000 km. Se poser des questions qu’on ne posait pas avant, c’est déjà bien. Mais si, côté solutions, c’est la foire au n’importe quoi, on manque l’objectif initial. Il faudrait commencer par s’interroger sur son modèle et en tirer des conclusions structurelles sur ses activités pour définir des évolutions. Prenez Danone qui a décidé de devenir une entreprise à mission. Ce groupe reste un des plus grands pollueurs du monde. Il doit démontrer comment il veut faire évoluer son modèle de manière intentionnelle pour limiter son impact négatif : l’utilisation de matières plastiques à grande échelle, l’absence de souci du devenir de ces déchets plastiques…
C’est une déception qu’il n’y ait pas de “monde d’après” suite à la crise sanitaire?
La pandémie a plutôt congelé que transformé l’économie comme annoncé par certains. Mais je n’avais pas forcément de grands espoirs à ce sujet. Les pouvoirs publics devraient davantage s’interroger sur la relocalisation et je dirais même la re-régionalisation des emplois pour avoir de nouvelles activités productives et assurer notre souveraineté sur des activités stratégiques. Aujourd’hui, on entend des discours convenus mais je ne vois toujours pas de vision.
L’ESS pourrait avoir un rôle à jouer dans les secteurs où la France s’est retrouvée en risque de pénurie ?
Oui, en 2020, j’avais proposé avec François Dechy, devenu depuis maire écologiste de Romainville, de créer des sociétés coopératives d’intérêt collectif pour produire du paracétamol en France. La particularité des Scic, c’est de permettre aux pouvoirs publics d’investir au capital. On pensait vivre dans un pays qui avait le meilleur système de santé du monde mais on s’est retrouvé en manque de médicaments de base. Quand on voit le retard de Sanofi sur les vaccins par exemple, on comprend que ce groupe a grossi par acquisitions pour des raisons avant tout financières mais sans vision stratégique globale.
Faut-il augmenter les capacités de financement de l’ESS?
Oui, mais il faut aussi que les structures de l’ESS assument d’être l’égal des autres organisations. Exemple : les dirigeants de l’ESS sont disséminés dans les organisations patronales classiques auxquelles ils sont rattachés par la convention collective qui régit leur branche d’activité. C’est une raison mécanique et c’est la raison principale. Mais ce n’est pas la seule. De nombreux dirigeants de petites entreprises de l’ESS adhérent à la CPME parce qu’ils veulent discuter avec des patrons qui ont des sociétés de même taille qui exerce la même activité. Ils le font aussi car ces structures classiques sont davantage reconnues par l’État, ce qui leur permet d’être mieux intégrées aux négociations sociales.
Vous critiquez la stigmatisation de l’ESS comme une économie subventionnée…
Oui, car c’est vrai pour les associations qui le sont pour assurer un rôle social que les pouvoirs publics leur confient ou n’assument plus. Mais ce n’est pas le cas de toutes les structures de l’ESS et c’est aussi oublier que l’économie dite classique est fortement subventionnée, avec des sommes en jeu bien plus importantes. Exemple : le Crédit impôt recherche.
La planification écologique que veut confier le Président de la République a son futur Premier Ministre, va-t-elle donner une nouvelle place à l’ESS car il y a souvent des liens via le bio, les circuits courts, les énergies renouvelables, les filières de recyclage et de réemploi…?
Emmanuel Macron est tantôt idéologue tantôt très pragmatique. Cela va donc dépendre comment il aborde les questions d’écologie mais aussi de fracture sociale où l’ESS peut beaucoup apporter. Pour recoudre le pays, Macron a besoin de l’ESS, de ses hommes et de ses femmes ancrés dans leur territoire qui ont toujours montré plus de résilience que les structures de l’économie classique. Mais va-t-il s’adresser à nous ?
Jérôme Saddier “Pour une économie de la réconciliation, Faire de l’ESS la norme de l’économie de demain”, 133 pages, Éditions les Petits Matins, 12 €.
——Entretien paru dans Mag2Lyon N°145 – mai 2022
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