CARBON : une initiative lyonnaise

Portée par le lyonnais Pierre-Emmanuel MARTIN, la giga-factory solaire CARBON sera construite à Fos-sur-Mer, sur le Grand Port Maritime de Marseille. Sa capacité de production annuelle sera de 5 GW de cellules photovoltaïques et 3,5 GW de modules pour une mise en service annoncée fin 2025 et une “montée en puissance graduelle en 2026”. Budget d’investissement : 1,5 milliard d’euros avec plus de 3000 emplois à terme. “C’est aussi une réponse à ceux qui craignent de perdre des emplois en aidant le solaire”, déclarait Pierre-Emmanuel Martin à Mag2Lyon dans un entretien publié en décembre dernier. Le fondateur de Terre et Lac Solaire, président et cofondateur de CARBON, y révélait sa stratégie en se positionnant sur cette co-existence d’une relance du solaire et du nucléaire.
Le projet CARBON avait besoin de 60ha pour passer directement à une production industrielle et faire face aux géants asiatiques qui dominent ce marché, surface qu’il n’a pas trouvé en Auvergne-Rhône-Alpes. Son ambition : contrer cette perte de savoir-faire en matière de fabrication de panneaux photovoltaïques en Europe, généralement simplement assemblés à partir d’éléments venus d’Asie. “Ne plus avoir la capacité en Europe de produire les cellules des panneaux photovoltaïques, c’est une question qui interpelle tout le monde”, déclarait Pierre-Emmanuel Martin à Mag2Lyon qui affichait son volontarisme : “Soit on se plaint de Manchester City, soit on essaye de monter un club au même niveau. Moi, j’accepte le match avec les Chinois. Accepter ce match, c’est oser jouer dans la cour des grands.” En expliquant avoir écrit le scénario Carbon à 4, “Laurent Pélissier, du groupe ECM Technologies qui fabrique des fours pour l’industrie photovoltaïque réputés dans le monde entier à Grenoble, et deux consultants, le Lyonnais Pascal Richard fondateur d’Aura digital solaire et le Belge Gaétan Masson, patron du Becquerel Institut et de l’European Solar Manufacturing Council.”

Cette annonce du choix de Fos-sur-Mer a été saluée par de nombreuses personnalités politiques : Agnès Pannier-Runacher, ministre de la Transition énergétique qui souligne que “La France et l’Europe doivent se repositionner rapidement sur la chaîne de valeur du photovoltaïque pour ne pas passer d’une dépendance à une autre”, mais aussi Roland Lescure, le ministre délégué à l’Industrie pour qui “Cette annonce est une bonne nouvelle pour la filière française et européenne du photovoltaïque que nous voulons redynamiser.” Et bien entendu les élus concernés en région : René RAIMONDI, Maire de Fos-sur-Mer, Christophe Castaner, président du Conseil de surveillance du Grand Port Maritime de Marseille – Port de Marseille Fos, Martine Vassal, présidente de la Métropole Aix-Marseille-Provence, et Renaud MUSELIER, Président de la Région Provence-Alpes-Côte d’Azur.

Dans cet entretien à Mag2Lyon, Pierre-Emmanuel Martin évoquait aussi le projet de centrale solaire dans le Nouveau Rhône qu’il va développé avec SERFIM solaire et Solarhona suite à un appel à projet du Syder.


“L’avenir sera 100 % renouvelable”
Décentralisées par nature, les énergies renouvelables permettent aux territoires de reprendre en main leur production d’énergie localement. À une époque où la dépendance vis-à-vis du gaz russe et les pénuries d’essence entraînent une inflation galopante et où l’on parle d’une grande relance du nucléaire, l’initiative du Syndicat d’Energies du Rhône de lancer une centrale solaire peut surprendre. Ou servir d’exemple. Entretien avec le lyonnais Pierre-Emmanuel Martin, patron de Terre et Lac qui fait partie du groupement choisi pour cette centrale et qui ambitionne de relocaliser toute la filière photovoltaïque en France. Objectif : atteindre le TOP 10 mondial d’ici 2030 avec à la clé 11 000 emplois directs et indirects. Par Lionel Favrot

Quelle est l’histoire de ce projet de centrale solaire dans le Nouveau Rhône ?
Pierre-Emmanuel Martin : La volonté du Syder, le syndicat d’énergies du Rhône, c’est de participer à la transition énergétique en maîtrisant les actifs de production d’énergie renouvelable. Cette logique locale permet de mieux associer les territoires et les citoyens plutôt que de lancer des projets sortis de nulle part dans une logique spéculative. Ce qui peut susciter des résistances légitimes. Le groupe Terre et Lac a justement développé un système adapté à cette stratégie.
À quoi correspond ce dispositif ?
On l’a développé à partir d’une première opération à Faverges-Seythenex, où l’on a installé une centrale photovoltaïque sur un ancien centre d’enfouissement. Les élus de cette commune de Haute-Savoie souhaitaient profiter de sa production en circuit court. On a développé My Energy Manager, une application qui permet d’optimiser sa consommation. Notre idée, c’était que ces outils pouvaient trouver leur intérêt dans d’autres territoires.
Qu’est-ce qui permet de parler de boucle locale d’énergie ?
Pour continuer sur l’exemple de Faverges-Seythenex, 80 % de la production est vendue au réseau et 20 % est distribuée aux habitants et aux entreprises de cette commune. My Energy Manager, c’est de l’internet des objets. Un capteur positionné sur le compteur Linky permet de voir en direct sa consommation pour réaliser ce que cela coûte de laisser un appareil allumé inutilement par exemple. Les usagers bénéficient de conseils dignes d’un professionnel et on constate au final qu’on peut facilement diminuer sa consommation d’environ 10 %. Le bilan de cette opération, c’est 6 206 panneaux solaires pour 2,5 MégaWatt crête de production installée. Cette centrale solaire évite l’émission de 270 tonnes de C02 par an et cet investissement est prévu pour durer 30 ans.
Avec cette centrale installée dans l’ensemble du Nouveau Rhône lancée par le Syder, on passe à une autre dimension !
Oui. L’objectif c’est 1 GigaWatt crête en 2050, soit la puissance équivalente d’un réacteur de centrale nucléaire. Cela représente près d’un milliard d’euros d’investissement. Il faut se rendre compte de l’ambition. Il y a 56 réacteurs actuellement en France. Si 56 départements lancent le même projet, on atteint la puissance équivalente.
Mais ça parait loin 2 050 !
On espère atteindre 300 MW dès 2026. On ne peut pas s’affranchir de certaines étapes : permis, études d’impact, volet paysager, phases de concertation… Ensuite il y a les travaux. Peut-être qu’on atteindra cet objectif d’1 GigaWatt crête dès 2035. On est tout à fait d’accord pour accélérer dans le respect des procédures.
Votre ambition est de remplacer le nucléaire par le solaire ?
Je n’ai pas cette volonté de puissance et je ne veux surtout pas me situer dans cette compétition délétère ! À chaque génération, son défi. Le nucléaire est une prouesse technologique. Mon grand-père qui travaillait à Merlin Gerin a contribué à la naissance de Framatome, mon père était à l’Institut français du pétrole… Moi, je veux développer le solaire mais je ne dis pas que ma technologie va remplacer toutes les autres. Dans les énergies renouvelables, il y a même une forme de modestie que j’apprécie. On développe, on fait ses preuves et le jour où on pourra décoller le Sparadrap nucléaire sans se faire mal, cela se fera naturellement.
Mais sortir du nucléaire grâce aux énergies renouvelables vous semble une ambition raisonnable, sans revenir au charbon ?
L’avenir est au 100 % renouvelable mais il faut investir pour y parvenir. Il faut aussi être précis sur les chiffres. Il y a d’un côté la puissance installée et de l’autre la production. On ne va pas tout faire avec le solaire qui ne produit pas la nuit par exemple et produit moins l’hiver que l’été. Mais il y a d’autres énergies renouvelables et des solutions de stockage à l’étude. On peut aussi se poser des questions fondamentales sur le fonctionnement de notre société : faut-il absolument produire la nuit et avoir besoin d’autant d’énergie 24h sur 24 ? On sait que cela bouleverse le rythme de ceux qui y sont contraints.
Aujourd’hui, on a pourtant le sentiment d’un grand retour du nucléaire !
Je pense qu’il y a aussi une spécificité française. On est très attaché au nucléaire et à EDF l’opérateur unique. Mais la direction donnée par Emmanuel Macron lors de son discours de Belfort en février, c’est bien de multiplier par dix la puissance solaire installée en France. Ce qui veut dire passer de 14GW à 140GW d’ici 2050. On a surtout retenu ses déclarations sur le nucléaire mais il n’a pas parlé que de cela. Et au niveau mondial, il faut savoir qu’aujourd’hui, 50 % de la puissance installée, c’est du solaire.
Qu’est-ce qui vous a permis d’être choisi par le Syder alors que vous étiez en compétition avec des géants mondiaux, notamment Total ou GreenYellow ?
On savait que la CNR allait se porter candidate avec Solarhona, sa filiale dédiée à la production solaire. On a donc décidé de s’associer pour être plus forts. On a aussi présenté notre projet avec Serfim EnR, un spécialiste lyonnais de la dépollution des sols et de la pose des réseaux. Cette proposition à trois nous a permis de l’emporter.
Comment les élus vont-ils garder la main sur ce projet ?
On va créer une société de production d’énergie renouvelable comme le permet la loi de novembre 2019 Energie-Climat qui est venue renforcer celle de 2015 qui encourageait déjà la transition énergétique. Le Syder assurera la présidence de cette SAS dont il détiendra 40 % des parts tandis que chacune des trois sociétés privées en contrôlera 20 %. On va donc co-détenir et co-investir dans une logique de co-construction pour poser 1 000 ha de panneaux solaire.
Où comptez-vous poser autant de panneaux solaires ?
Notre mission c’est d’identifier puis de qualifier des sites. Le Syder va fonctionner en tiers de confiance car le propriétaire des terrains ou des bâtiments concernés, commune, entreprise ou particulier, saura à qui, dans quelles conditions et pour quel objectif il loue ses biens. Il faut être conscient qu’aujourd’hui, des sociétés tentent de mettre des options sur des terrains pour les bloquer en promettant des loyers très intéressants. Les citoyens sont perdus face à ces sollicitations et il faut assainir la situation avec un travail préparatoire sérieux.
Tout le territoire du Nouveau Rhône est vraiment adapté ?
Évidemment, dans le Beaujolais par exemple, poser des panneaux solaires dans un vignoble très dense n’est pas facile. Mais les modes de culture peuvent évoluer. Surtout, il y a d’autres sites d’ores et déjà adaptés. Je pense aux plaines de maraîchage dans la Vallée de la Saône ou aux cultures de l’Est lyonnais. On peut également utiliser des délaissés urbains près des autoroutes, des gravières, des anciennes décharges mais aussi systématiser les ombrières sur les parkings ou encore poser des panneaux flottants sur des plans d’eaux…
Tout cela pour éviter la polémique sur les panneaux solaires qui grignotent les terres agricoles et les espaces naturels ?
Il y a effectivement cette crainte du grand parc solaire mais l’agrivoltaisme peut justement permettre d’aider les agriculteurs qui restent les grands oubliés de la transition énergétique. On leur demande de révolutionner leurs pratiques agricoles pour aller vers desplus respectueuses de la nature tout en étant rémunérés une misère. Ces panneaux solaires peuvent leur apporter un complément de revenu intéressant.
La filière des énergies renouvelables se plaint beaucoup des obstacles qui ralentissent son développement. Une loi est en préparation. Elle pourrait être votée en janvier. Vous partagez ces reproches ?
Il faut évidemment éviter les recours abusifs mais je ne suis pas d’accord avec ceux qui regrettent l’époque de la planification nucléaire et qui voudraient imposer le solaire comme on a imposé les réacteurs. Les panneaux solaires, c’est aussi de la ferraille, on ne va pas poser cela dans des espaces naturels sensibles sans réfléchir ! Le solaire doit se développer de manière démocratique.
L’avenir pour vous, c’est plutôt des centrales solaires disséminées sur tout le territoire que quelques grands sites de production centralisés ?
Je rêve d’un pays plus girondin que jacobin et l’intérêt du solaire c’est justement sa plasticité. Non seulement cette énergie s’adapte à tout type d’installation, 2 GW dans le désert d’Atacama ou ces 1 000 ha disséminés dans le Rhône, mais elle est compétitive pour toutes les tailles d’installation. Sur le toit de sa maison, ou sur un site beaucoup plus grand.
L’autre polémique, c’est l’origine des panneaux solaires. La France a beaucoup subventionné la pose de panneaux chinois avant de tout arrêter. Ce qui n’a servi à rien car cet arrêt brutal a cassé la filière européenne et la majorité des panneaux sont toujours asiatiques !
Ne plus avoir la capacité en Europe de produire les cellules des panneaux photovoltaïques, c’est une question qui interpelle tout le monde. Mais on sait pourquoi ! Au début des années 2000, la France maîtrisait encore la production des cellules photovoltaïques, en particulier à Lyon, car elle l’avait développée pour des sites isolés, que ce soit des refuges en haute montage ou des villages en Afrique. Mais on a tout perdu dans les années 2006-2010. Quand j’en parlais à l’époque à des dirigeants d’EDF, ils m’expliquaient que produire de l’électricité avec du solaire, c’était “de la confiture donnée aux cochons”. Produire un watt crête coûtait en effet très cher. Du coup, en 2008, la société qui avait racheté certains actifs de Rhodia Vaise, dans le 9e arrondissement, a vendu ses ingénieurs français sont donc partis monter des usines en Asie. C’est là qu’a eu lieu le transfert de technologie.
La France a manqué de décideurs visionnaires à l’époque ?
Pas que la France. Toute l’Europe. Des ingénieurs allemands sont également partis en Chine à la même époque. En fait, l’analyse du Parti communiste chinois a été simple : son pays avait des besoins énergétiques énormes et il lui fallait investir tous azimuts. Charbon, gaz, nucléaire, solaire… Il a vite compris que la Chine pouvait devenir leader mondial du solaire sans être dépendant des Occidentaux. La Chine a débloqué des investissements massifs pour doubler sa production tous les deux ans.En cinq ans, elle a divisé le coût de production des panneaux solaires par 35. Aujourd’hui, les cinq leaders mondiaux de ce secteur sont chinois et ils détiennent 50 % du marché mondial ! Le budget recherche et développement sur le solaire d’un seul de ces groupes est douze fois supérieur à celui que la France consacre à ce secteur.
D’où votre idée de relancer la fabrication complète de panneaux solaires en France ?
Oui, et c’est aussi une réponse à ceux qui craignent de perdre des emplois en aidant le solaire alors que les emplois du nucléaire sont en France. Là aussi, il faut arrêter cette opposition. Pour le projet Carbon, on s’est associé avec Laurent Pélissier, du groupe ECM Technologies qui fabrique des fours pour l’industrie photovoltaïque réputés dans le monde entier à Grenoble, et deux consultants, le Lyonnais Pascal Richard fondateur d’Aura digital solaire et le Belge Gaétan Masson, patron du Becquerel Institut et de l’European Solar Manufacturing Council. On a écrit le scénario à quatre.
Est-ce réellement envisageable de relancer cette production Made in France ?
Ce qui peut paraître un peu fou c’est le timing mais je suis persuadé qu’on ne s’en sortira qu’en visant très rapidement le grand volume. C’est pour cela qu’on a choisi d’utiliser des techniques de production éprouvées d’un partenaire allemand qui a déjà développé des usines en Lituanie. On veut ouvrir ce site dès 2025. Lancer cette production nécessite un investissement de 7 milliards d’euros d’ici 2030.
Pensez-vous être entendu par les pouvoirs publics ?
Oui, car on est dans une situation post-Covid où cette nécessité de relocaliser les activités apparaît au grand jour. Que ce soit pour le Doliprane ou le solaire.
Où allez-vous construire cette nouvelle usine ?
On doit trouver 50 ha. On étudie des sites dans toute la France et on espère pouvoir annoncer la bonne nouvelle dès mars-avril 2023.
Mais il y a d’autres projets en France !
Ils sont plutôt complémentaires que concurrents car il ne vise pas la production des mêmes éléments ou avec des technologies différentes. D’ailleurs, ma grande fierté, c’est d’avoir embarqué tout l’écosystème solaire français. On collabore avec des industriels du solaire comme Photowatt, Voltec et Systovi mais aussi des laboratoires de recherche comme l’IPVF et le CEA. Ils ont tenu bon dans ces années très difficiles et il faut les remercier d’avoir été aussi résilients.
Exigez-vous des mesures protectionnistes contre les importations chinoises ?
Il faut arrêter de demander des mesures de protection. Soit on se plaint de Manchester City, soit on essaye de monter un club au même niveau. Moi, j’accepte le match avec les Chinois. Accepter ce match, c’est oser jouer dans la cour des grands et savoir anticiper les coups bas. C’est aussi oser dénoncer le dumping et les distorsions de concurrence. C’est notre stratégie.

 

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