…et les réconcilier avec les “Nicolas qui payent”. Après une carrière dans des entreprises pionnières des services numériques, Eric Boisson dirige sa propre entreprise depuis 2016. Il s’inquiète aujourd’hui de la lassitude de cette génération de quinquagénaires qui porte à bout de bras les TPE françaises. Un profil qu’il a décidé de rassembler sous le prénom générique de Christophe pour le sortir d’une forme d’invisibilité. Propos recueillis par Lionel Favrot
Pourquoi cette prise de parole sous forme de tribune sur linkedin ?
Eric Boisson : Parce qu’il n’y a pas un jour où je ne m’entends pas un client, un prospect ou un ami dirigeant, me parler de ses difficultés et, surtout, faire état d’une certaine fatigue. Un signe : le nombre de cessations volontaires d’activité augmente. Ces patrons ressentent une telle usure qu’ils abandonnent d’eux-mêmes. C’est quand même un signal fort ! Mais c’est une souffrance presque silencieuse. C’est donc pour eux que je prends la parole car ma société, ZOL, s’en sort plutôt bien.
Les politiques sont-ils conscients de cette situation ?
Je ressens une certaine déconnexion entre les discours des politiques et cette situation qui touche tous les secteurs économiques. Le nombre de liquidations judiciaires atteint des records. Des gens cyniques me disent que ces entreprises seraient de toutes façons mortes en 2020 si elles n’avaient pas bénéficié des aides Covid. Non, malheureusement, non. On est désormais bien au-delà de ce rattrapage de disparitions.
Ces dirigeants quinquagénaires en souffrance vous semblent oubliés ?
Oui. On parle beaucoup des “Nicolas”, en résumé des “trentenaires” qui en ont ras-le-bol de payer les impôts pour tout le monde. J’ai donc voulu attirer l’attention sur ces patrons de TPE qui payent un défaut de visibilité et d’écoute dans les media car le patron de TPE, ce n’est pas sexy. Ils sont même très peu représentés par les organisations patronales qui ciblent plutôt les PME. Mais ces dirigeants, que j’appelle les Christophe car c’est un prénom courant dans cette génération, sont un pilier fondamental de notre écosystème économique.
Le profil type de ces “Christophe” ?
Sociologiquement, c’est plutôt un homme -même si je n’oublie évidement pas les dirigeantes- qui a un revenu moyen d’environ 3 500 € par mois, voire qui ne se paye plus du fait des difficultés de l’entreprise. Ce profil représente la moitié des actifs français et la très grande majorité des entreprises en France. C’est une force silencieuse fondamentale dans l’économie française. Et aujourd’hui, ils sont à deux doigts de la catastrophe. Ils ont réduit la voilure depuis 2024 mais aujourd’hui, ils arrivent au bout. Avec des carnets de commande en chute, ils sont confrontés à des problèmes de trésorerie qui deviennent insurmontables.
S’ils lâchent, cela aura des conséquences pour toute l’économie française ?
Oui. Si eux basculent, alors qu’ils font vivre chacun plusieurs familles, c’est toute l’économie française qui sera ébranlée. Et pourtant, je suis du genre optimiste ! Ce qu’on veut éviter, c’est-à-dire le chômage, le déficit public, etc…. On en aura encore plus.
Cette génération d’entrepreneur était pourtant plutôt réputée pour sa persévérance, quitte à sacrifier sa vie personnelle !
Oui, c’est assez troublant de voir à quel point ils s’accrochent. Ils sont câblés comme ça !Mais le défaut de croissance depuis deux ans les poussent à renoncer. Certains aimeraient leur faire payer plus d’impôt mais en réalité, ils ont déjà du mal à payer leurs charges. Sans oublier ce sentiment de panique face à ce septembre noir avec des jours de blocage à répétition. Ces chefs d’entreprise se disent que s’ils se prennent cela en plus, cela ne va pas être possible.
Le risque avec votre initiative, c’est d’opposer les générations ?
Ce n’est pas du tout mon objectif. Au contraire, c’est une prise de parole pleine d’empathie. Pour remettre les choses dans l’ordre et d’être dans le partage.
Le renversement probable du gouvernement de François Bayrou, voire des semaines d’incertitudes avant la nomination d’un nouveau gouvernement, ou une dissolution, va accentuer ces difficultés ?Oui, si on rajoute une difficulté, en l’occurrence politique, on va créer encore plus de flou et d’incertitude. L’inverse de ce dont on a tous besoin : en l’occurrence, ré-enclencher un peu d’investissement et de croissance.
Qu’espérez-vous de votre tribune pour les “Christophe” ?
Ma quête n’est absolument pas médiatique. J’ai voulu faire un zoom à la hauteur de mon réseau. Ce qui m’a beaucoup touché, c’est de recevoir énormément de messages de dirigeants qui, en privé, se livrent sur leurs difficultés et me remercient. Si ma tribune leur a fait un peu de bien c’est déjà ça ! Ces chefs d’entreprise se disent: on n’est pas seuls.
Photo : Eric Boisson, @DR