Le business du handicap

Thibault Petit, journaliste indépendant, a enquêté sur les ESAT, les établissements ou services d’aide par le travail (ex CAT). Son livre “Handicap à vendre”, qui se déroule en partie à Lyon, n’a pas provoqué le même buzz que “Les Fossoyeurs” sur les maisons de retraite. Il lève pourtant le voile sur des pratiques contestables. Entretien. Par Maud Guillot.

Comment vous êtes-vous intéressé à ce monde du handicap?
Thibault Petit: J’ai 33 ans et je suis journaliste indépendant pour la presse écrite : l’Obs, l’Express, le Figaro, National Geographic… Je traite plus volontiers les questions de société : les migrants, l’hôpital psychiatrique… Je n’avais pas d’intérêt personnel au sujet du handicap. Je n’ai pas de proche concerné. Je suis tombé dessus par hasard.

Quand avez-vous commencé à enquêter ?
Alors que j’étais étudiant à l’école de journalisme de Strasbourg, j’ai fait un reportage dans un ESAT. J’avais recueilli la parole de deux travailleurs, ainsi que d’un encadrant. J’en étais sorti satisfait : on traitait les handicapés comme des gens normaux, on participait à leur intégration. Quelques semaines plus tard, j’ai creusé un peu ce sujet. Ces salariés avaient une rémunération très faible, avec des contraintes dignes d’une entreprise classique. Ça m’a donné envie d’aller plus loin… Et j’ai découvert un monde hallucinant.

Qu’est ce qui vous surpris dans ce monde ?
D’abord, le handicap se résume souvent à la question de l’accessibilité en ville pour les personnes en fauteuil. Or le handicap invisible est extrêmement fréquent. Ensuite, c’est un monde de sigles, tous plus incompréhensibles les uns que les autres, ce qui ne favorise pas sa compréhension. Enfin, il y a de nombreuses associations qui représentent les personnes handicapées. Mais ces dernières, elles, sont invisibles. On leur donne peu ou pas la parole. C’est ce qui j’ai essayé de faire. J’ai recueilli de nombreux témoignages, à partir des forums en ligne.

Quelle est la mission des ESAT ?
Les établissements ou services d’aide par le travail emploient exclusivement des travailleurs en situation de handicap. Avant 2007, on les appelait les CAT. Il s’agit de structures médico-sociales, dont le statut est associatif et qui sont financées en grande partie par des dotations de l’État. Leur mission principale est d’apporter un boulot, une occupation, à des personnes exclues du monde du travail dit classique, en adéquation avec leur invalidité. L’accompagnement social et l’inclusion par le travail sont donc les valeurs défendues par les ESAT.

C’est parfaitement louable. Où est le problème?
Ils sont censés être des tremplins, des lieux de passage vers le monde du travail classique. Or, selon les statistiques, moins de 2 % des travailleurs empruntent ce chemin. Mais surtout, ces personnes ne sont pas des salariés, mais des “usagers”, donc des bénéficiaires. Ils ne dépendent pas du Code du travail, n’ont pas de syndicat, d’accès au conseil des Prud’hommes. Leur rémunération est de 750 euros net pour 35 heures de travail…

Mais ce statut d’usager est censé les protéger, notamment des licenciements…

Oui, mais il est désormais vécu comme une sorte d’humiliation. Il faut bien comprendre que la population des ESAT a considérablement évolué au cours des 20 dernières années. Les handicaps lourds sont globalement moins fréquents dans notre société. Les ESAT accueillent majoritairement des personnes souffrant de handicap mental, et de plus en plus de maladies psy ou des accidentés de la vie… Le handicap psychique étant reconnu depuis 2005, on a au sein de ces établissements des personnes schizophrènes, bipolaires, dépressives, dépendantes à l’alcool mais qui ont un parcours de vie avant, dans le milieu ordinaire.

Ce sont donc des personnes qui ont des compétences professionnelles ?
Oui, elles ont souvent des qualifications. J’ai rencontré un homme à Toulouse qui était très cultivé, s’exprimait très bien et qui était agent administratif. On est loin de l’image un peu dégradée des CAT qui offraient un travail répétitif, pour la sous-traitance industrielle ou le conditionnement. D’ailleurs, ces marchés ont été délocalisés dans des pays à faible coût de main-d’œuvre. Désormais les ESAT proposent des services avec une valeur ajoutée : entretien des espaces menuiserie, maraîchage…

Vous expliquez aussi que ces ESAT sont au fond des entreprises qui interviennent sur des marchés classiques…
Les ESAT doivent en effet trouver des missions à leurs “usagers” qui, comme je viens de l’expliquer, ont changé. De ce fait, ces établissements doivent encore plus privilégier des profils de qua- lité, au détriment des personnes avec des handicaps plus lourds… Certains usagers témoignent de pression sur les cadences, sur la qualité de leur travail. Ils disent même avoir été poussés vers la sortie… Il faut bien comprendre qu’il y a des listes d’attente pour intégrer les ESAT, un à trois ans. Quand on est un directeur d’ESAT, on va logiquement choisir le profil qui est le plus “productif ”.

Ces directeurs d’ESAT sont-ils conscients du problème ?
Ça dépend. J’en ai rencontré plusieurs, ils ont eux aussi des exigences de “rentabilité”. Ces directeurs sont de moins en moins issus du milieu social, mais du monde marchand, comme la grande distribution… Ils doivent rendre des comptes à leurs clients. Dans un ESAT dont je n’ai pas cité le nom, les “usagers” en vacances sont remplacés par des intérimaires non handicapés ! C’est pour dire le niveau de productivité attendu. On n’est plus là pour réinsérer ou occuper des personnes qui en ont besoin, mais pour répondre à l’impératif économique.

Pour découvrir l’intégralité de cet article, vous pouvez commander Mag2 Lyon de mars.

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