Hommage aux Tirailleurs sénégalais

Dans le film “Tirailleurs”, Omar Sy rend hommage aux Tirailleurs sénégalais engagés pendant la Première guerre mondiale. Ils ont aussi été mobilisés pour la Seconde guerre mondiale. A Chasselay, près de Lyon, un cimetière accueille les Tirailleurs sénégalais massacrés par l’armée allemande en juin 1940. Entretien avec Julien Fargettas, qui leur a rendu hommage dans deux ouvrages.

LE MASSACRE DE CHASSELAY
48 tirailleurs sénégalais ont été tués en juin 1940 à Chasselay par l’armée allemande à qui ils s’étaient rendus. Un collectionneur a exhumé des photos du massacre qui ont relancé les travaux de Julien Fargettas, spécialiste de ce sujet (1). Ce qui a donné lieu à un nouveau livre de sa part. Pour restituer précisément ces faits et ne pas oublier. Propos recueillis par Lionel Favrot

D’où vient votre intérêt pour le tata sénégalais ?
Julien Fargettas : De mes études d’histoire. En 1997, je devais choisir le sujet de mon Mémoire de Maîtrise et après avoir fini Les Français de l’An 40, le livre de Jean-Louis Crémieux-Brilhac, j’avais vraiment envie de travailler sur cette période. Ma mère m’a alors parlé du Tata sénagalais, ce cimetière aménagé en hommage à des tirailleurs sénégalais massacrés par l’armée allemande, à Chasselay, en juin 1940. Elle le connaissait parce que mon grand-père originaire de ce secteur, l’avait emmenée le voir. Je me suis aperçu qu’il n’y avait pas énormément de recherches sur ce sujet et j’ai élargi mon travail à tous les massacres qui ont eu lieu à cette période. Terminé en 1999, ce mémoire a obtenu le prix Marcel Paul l’année suivante (2) et j’ai poursuivi mes recherches sur les travailleurs africains de l’armée française auxquels j’ai consacré une thèse.
Comment avez-vous mené vos recherches ?
J’ai mené un travail dans les archives des armées pour essayer de comprendre pourquoi il y avait encore eu des combats en juin 1940. J’ai pu lire les rapports des officiers qui parlaient des combats, des massacres et de la captivité. J’ai aussi rencontré les témoins de ce massacre qui étaient encore vivants comme Henriette Morin, pharmacienne à Chasselay qui a été la première à se rendre sur place.
Quelles connaissances nouvelles avez-vous amené sur ce sujet ?
J’ai montré que la campagne de 1940 n’avait pas été une parenthèse enchantée pour l’armée allemande comme on le présente généralement. On retient que le régime nazi a mené une blitzkrieg, une guerre éclair, face à une armée française rapidement en déroute. En réalité, elle a résisté à bien des endroits. Par ailleurs, les massacres étaient généralement attribués aux divisions de la Waffen SS, les plus idéologiques et les plus violentes, notamment de la Totenkopf, constituée d’anciens gardiens de camps de concentration. C’était le cas du massacre de Chasselay. Or, ce sont des soldats du 8e régiment de panzer de la Wehrmacht, l’armée allemande qui a perpétré ce massacre.
Les résultats de votre travail ont-ils fait l’unanimité ?
Non, lors du premier colloque aux Invalides, de vieux historiens m’ont reproché d’impliquer l’armée allemande qui aurait été uniquement composée de parfaits soldats et de bons tacticiens. Pourtant, on a plusieurs autres cas en France où elle a été impliquée. Dans la Marne, on a retrouvé les corps de soldats africains à moitié calcinés avec des bidons d’essence à leurs pieds.
Qu’est-ce qui explique cette réaction de protection de la Wehrmacht ?
Cela correspondait à une période de guerre froide où on voulait retrouver de bonnes relations avec l’Allemagne qui elle-même entretenait cette image d’une Wehrmacht exemplaire.
Du coup, vous êtes devenu professeur d’histoire ?
Pas du tout. Je me suis engagé dans l’armée dont j’ai démissionné. J’ai ensuite travaillé dans le tourisme et aujourd’hui je suis directeur de l’Office national des Anciens Combattants et victime de guerre pour le département de la Loire.
Comment vous êtes-vous de nouveau intéressé au Tata Sénégalais ?
Jacques Branciard, des éditions du Poutant qui sont installés dans le Beaujolais, m’avait sollicité il y a quelques années pour revenir sur mes travaux. J’ai hésité car je n’étais pas si sûr de l’intérêt de mon travail d’étudiant ! Mais j’ai été très sollicité par les media au moment de la commémoration du débarquement des Baux-de-Provence car il y avait beaucoup de tirailleurs africains parmi les soldats. Puis j’ai été contacté par un jeune collectionneur, Baptiste Garin, qui cherchait des photos sur Troyes en 1940. Il a acheté l’album d’un soldat allemand et il a trouvé au milieu des images d’un massacre. Ne pouvant les identifier, il les a montrées à mon collègue directeur des anciens combattants dans l’Aube, qui m’a contacté et je suis allé les voir.
Avez-vous reconnu sans difficulté que c’était Chasselay ?
Oui, une photo m’a immédiatement accroché : celle où on voit tirer la mitrailleuse d’un char avec au fond, le Mont Verdun.
Beaucoup de soldats allemands constituaient des albums-souvenir de leur guerre ?
Oui. Le régime nazi avait distribué largement des appareils photos pour que les soldats puissent raconter leur guerre où ils retracent leur parcours. Cette guerre victorieuse était un motif de fierté et on retrouve à la fin des photos avec leurs femmes. Là, il s’agissait d’un soldat dont on a juste la photo mais pas le nom, qui raconte sa guerre.
Qui recherchent ces albums de guerre ?
Il y a certainement des collectionneurs qui ont des idées malsaines mais il y en a aussi qui poursuivent des recherches sérieuses. En tout cas, on sait qu’il existe d’autres photos du massacre puisque les officiers français ayant assisté à la scène et qui l’ont décrite très précisément, évoquent plusieurs soldats prenant des photos.
Comment s’est déroulé ce massacre ?
Mi-juin 1940, c’est l’effondrement complet en France, civil et militaire. L’Italie depuis le 15 juin et le gouvernement français veut absolument les bloquer car ce pays a de fortes revendications territoriales. L’Armée Française va constituer un front sur le Rhône, de la frontière suisse jusqu’à Lyon, sur le Rhône avec des groupements d’unités, souvent constitués de bric et de broc. Des soldats sont ainsi acheminés de Grenoble pour tenir une ligne de front de Caluire à Tarare notamment le 25e régiment de Tirailleurs sénégalais… En majorité du Sénégal mais aussi du Mali, du Guinée ou de Côte d’Ivoire.
Les Français envoyaient-ils spécialement le RTS sur les terrains difficiles ?
Non, cette polémique est née dès la fin de la 1ère guerre mondiale, avec la bataille du chemin des Dames où beaucoup de tirailleurs sénégalais sont morts. On a même inventé l’expression de chair à canon à cette occasion. Mais si on compare les chiffres des morts pendant cette guerre, on peut voir qu’ils n’ont pas été plus touchés que les soldats français métropolitains.
Ces combats à Chasselay se justifiaient-ils vraiment alors que la défaite semblait inéluctable ?
Lyon a été déclarée ville ouverte depuis le 18 juin. Ces combats de Chasselay c’est un baroud d’honneur décidé par le capitaine Gouzy, l’officier qui dirige ce bataillon. Ses soldats se retrouvent coincés au château de Plantin et doivent se rendre faute de munitions. Très vite, les Allemands sont plus agressifs avec les tirailleurs sénégalais et ils vont les séparer pour les amener à part. Le capitaine Gouzy tente de s’interposer et il va prendre une balle dans la jambe. A Lentilly, où une autre partie du régiment s’est réfugiée, il y a aussi eu des massacres de tirailleurs sénégalais et des officiers français ont protesté eux aussi.
Les soldats allemands sont plus agressifs par racisme ?
Il y a non seulement l’idéologie du régime nazi mais aussi toute la campagne de presse menée par l’Etat allemand depuis la 1ère guerre mondiale, avant même l’arrivée d’Hitler au pouvoir. L’Allemagne reprochait aux Français d’avoir enrôlé des sauvages pour se battre. On les accuse d’être des coupeurs d’oreilles et des cannibales. Il y aura une nouvelle campagne abjecte contre eux quand ils font partie des troupes françaises d’occupation de la Ruhr après la défaite allemande en 1918. Ils sont accusés de toutes sortes d’exactions, notamment d’enlèvement de femmes allemandes et de viols. Une campagne internationale avec même des films. Une propagande où les Allemands parlent de peste noire. Le régime nazi va recycler ces images pour galvaniser leurs troupes au front en 1940. Du coup, ses soldats de la Wehrmacht qui combattent en France, en ont une peur bleue et quand ils vont les affronter, ils vont se défouler.
Comment se sont déroulés ces massacres ?
Au lieu d’être dirigés vers la caserne de La Part-Dieu où sont emprisonnés les prisonniers de guerre, les tirailleurs sénégalais sont amenés dans un pré, au bord d’une petite route entre Chasselay et les Chères. Deux chars vont ouvrir le feu avec leur mitrailleuse. Quelques soldats africains, situés en arrière du groupe, s’enfuient et les Allemands les tuent au fusil. Un des chars va aussi partir à leur poursuite, roulant au passage sur les corps jonchant le sol.
Ce massacre, c’est une consigne du commandement de l’Armée ou une initiative locale ?
On n’a jamais retrouvé la trace d’une consigne explicite demandant de s’en prendre plus particulièrement aux soldats noirs. Et ce n’est pas une attitude générale. J’ai reçu le récit de la famille d’un tirailleur sénégalais qui a été fait prisonnier à Saint-Cyr-au-Mont-d’Or et qui a passé toute la guerre comme prisonnier en Allemagne sans subir de violence. Mais quand les soldats allemands laissaient libre cours à leurs pulsions, le commandement laisse faire.
Est-ce qu’il y aura des survivants ?
Oui, peut-être trois ou quatre. La population de Chasselay va entendre les tirs et aller voir sur place. Ils vont trouver des blessés graves qu’ils vont soigner. Des tirailleurs égarés sont aussi retrouvés. On sait à l’époque qu’ils vont être maltraités. Ils sont donc cachés dans des fermes avant d’être confiés aux gendarmes ou à des élus pour qu’ils soient traités convenablement. Mais on n’a pas de liste nominative des soldats composant le régiment car les archives, entreposées dans un camp en Haute-Loire, ont brûlé pendant la guerre.
Cette histoire avait-elle été oubliée depuis juin 1940 ?
Localement non car Bollaert, le préfet du Rhône à l’époque, se soucie assez rapidement des dépouilles des soldats et confie ce dossier à Jean-Baptiste Marchiani, à la tête de Anciens Combattants dans le Rhône, qui a pour mission de leur donner une sépulture digne. Il va recenser toutes les tombes dispersées puis prendre l’initiative d’acheter le pré sur lequel a eu lieu le massacre. Il va aussi financer cette édification sur ses deniers personnels. Il avait aussi le projet d’acquérir les prés voisins pour y installer un musée.
Vichy ne va pas bloquer ce projet pour plaire aux Allemands ?
Non. Le Régime de Vichy dans l’idée de montrer sa fidélité à l’Empire, va organiser une cérémonie très oecuménique dès 1942. Après-guerre, cela devient une occasion pour l’Etat Français de montrer son attachement à l’Union Française qui devait lui succéder. Il y a des donc des arrières-pensées derrière ces hommages. En plus, ces cérémonies passent sous silence que ces tirailleurs ont été massacrés. On parle de soldats tués au champ d’honneur. Mais localement, personne n’a oublié depuis 80 ans ce qu’il en est.
Est-ce que la perception de vos travaux a évolué ?
Oui. Il y a clairement une évolution. L’intérêt pour ce sujet s’est élargi et on met surtout en valeur le parcours de ces hommes.

(1) Julien Fargettas : Les soldats noirs entre légendes et réalités 1939-1945, éditions Taillandier, 2012, Des soldats noirs face au Reich, PUF 2015 (2) Prix national décerné par Fédération Nationale des Déportés et Internés, Résistants et Patriotes, (F.N.D.I.R.P.) (3) Julien Fargettas : juin 1940, combats et massacres en Lyonnais, 194pages, juin 2020

Entretien paru dans Mag2Lyon N°125 juin 2020

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