Délinquance : le maire, le ministre et le tabou des chiffres

Dans une tribune publiée par Marianne, Sébastian Roché, spécialiste lyonnais de l’insécurité, démontre très bien les limites des postures actuelles. Cela m’a encouragé à apporter mon propre témoignage de journaliste sur un dossier que je traite depuis des années et sur lequel on assiste à une régression totale en matière d’informations des citoyens. Par Lionel Favrot

Pourquoi les politiques -toutes étiquettes confondues- refusent la transparence sur les chiffres de la délinquance ? Certes, des données circulent mais de manière limitée. Exemple : les chiffres au niveau d’un département ou même d’un arrondissement. Il faut les relativiser car ils gomment toutes les spécificités territoriales pour arriver à une moyenne.
Pourtant, les outils existent pour une analyse plus fine et le refus de les rendre publics se basent sur des arguments fallacieux. Ce manque de transparence joue le jeu des extrêmes. 

Pendant une quinzaine d’années, l’Observatoire local de la sécurité de Lyon a réalisé un rapport précis avec des données sur….54 quartiers. Oui, 54 quartiers pour 9 arrondissements. 54 quartiers intelligemment identifiés par des professionnels de terrain et experts avec des données issues des services publics, étatiques ou municipaux : police, pompiers, centres sociaux, gestionnaires des transports en commun… Ainsi, on pouvait avoir une vision précise des différentes situations vécues par les Lyonnais.
Ce rapport était confidentiel. Je l’ai pourtant publié tant qu’il a existé.
La Ville de Lyon, à l’époque de Raymond Barre puis de Gérard Collomb, mais aussi la Préfecture, refusaient de le rendre public. J’ai donc du convaincre des personnes qui avaient signé un engagement de confidentialité, d’y renoncer pour permettre cette transparence. Evidemment en leur garantissant le secret des sources.

Puis, un jour, Jean-Louis Touraine, devenu adjoint PS à la sécurité de Gérard Collomb, m’a appelé avec un discours simple : “Ce blocage n’a pas de sens. J’accepte de vous le remettre officiellement. Permettez-moi simplement de le commenter. Dans le reste du dossier, vous écrirez évidemment ce que vous voudrez.” Ses prédécesseurs prétendaient qu’ils étaient aussi bloqués car ces chiffres “appartenaient” à l’Etat. Il a donc appelé la Préfecture. Finalement, on s’est retrouvés autour d’une table avec cet élu et des responsables des polices locale et municipale. Leurs analyses figuraient dans le dossier de Mag2Lyon mais ils n’en constituaient qu’une partie.

Cet exercice démocratique n’est plus possible aujourd’hui.

En 2017, Jean-Yves Sécheresse, le successeur de Jean-Louis Touraine, a fermé cet Observatoire local de la sécurité de Lyon en promettant de le remplacer par un organisme soi-disant plus sérieux. Il n’a jamais vu le jour et Gérard Collomb comme son successeur Georges Képénékian n’ont rien trouvé à redire. Il aura fallu l’élection de l’écologiste Grégory Doucet pour que son adjoint à la sécurité, dans un entretien accordé à Mag2Lyon, s’engage à remettre en place un observatoire. Mohamed Chihi a tenu à le rebaptiser “observatoire de la tranquillité publique”, abandonnant le terme de sécurité, mais l’approche se veut aussi élargie que le précédent observatoire, prenant en compte “les phénomènes de bas niveau qui nuisent à la tranquillité publique.”
Problème : les écologistes prônent généralement la transparence mais pour l’instant, ils considèrent que cela s’arrête à la question de la sécurité. Ce rapport s’il existe un jour, sera réservé à la Ville de Lyon et les professionnels concernés.
Un préfet ou un ministre a-t-il glissé à Mohamed Chihi que ces chiffres “appartenaient à l’Etat”.

En tout cas, on doit observer un théâtre politique comme le souligne Sébastian Roché.
La Droite et Gérard Collomb vous expliquent que Lyon est devenue une des villes les plus dangereuses de France. Les écologistes répliquent qu’ils exagèrent. L’extrême-droite vise les délinquants étrangers. L’extrême-gauche pointe les violences policières.
Les journalistes répercutent ces déclarations qui contiennent régulièrement des chiffres partiels, connus des seuls services de l’Etat ou de la Ville. Impossible de les remettre en perspective puisque le thermomètre a été cassé !

J’ai entendu tous les arguments possibles pour s’opposer à la diffusion intégrale de ces données sur la délinquance.
Le principal : on peut faire tout dire aux chiffres. En réalité, comme dans d’autres domaines, il peut y avoir des biais que les experts comme Sébastian Roché maîtrisent parfaitement. Rien n’interdit de publier ces données avec une mise en perspective.
Autre argument fréquent : les statistiques de la délinquance seraient en réalité des statistiques d’activités policières. Même réponse. Si on s’imagine qu’un quartier figure en tête de l’insécurité parce qu’un commissaire s’active à poursuivre plus qu’un collègue tel ou tel type de délinquance pour plaire à ses supérieurs, on supprime cette catégorie et on regarde. Une année, j’ai fait ce calcul sur les 54 quartiers en enlevant la catégorie « stupéfiant » car la police était accusée à l’époque de faire du chiffre en interpellant sans distinction petits consommateurs et gros trafiquants. Devinez quoi : à une nuance près, le résultat était identique.

Sans oublier l’argument récurrent sur la stigmatisation des quartiers. La médiatisation de la Guillotière qui va finir par paraître comme le seul quartier où on peut se faire agresser à Lyon, démontre bien qu’une réelle transparence sur les chiffres permettrait d’avoir une vision plus équilibrée que le traitement politique et médiatique actuel. De mesurer ensemble l’évolution sur ce quartier en particulier sans pour autant laisser croire que c’est le seul concerné.

En photo, un exemple (archive) de ce qui pourrait être rassemblé…

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