Alimentation et agriculture : les priorités de Bruno Bernard

Bruno Bernard, a fait sa rentrée politique à l’exploitation maraichère Maréchal Fraicheur à Rillieux. Le président de la Métropole a souhaité mettre l’accent sur son plan pour l’alimentation et l’agriculture, visant à favoriser les circuits courts et le bio. En mars dernier, Mag2 Lyon avait justement consacré plusieurs pages au projet des écologistes porté par le nouveau vice-président en charge de l’Agriculture et de l’Alimentation à la Métropole, Jérémy Camus. Par Lionel Favrot.

Le plan alimentaire territorial de la Métropole, destiné à favoriser la consommation en circuits courts des produits agricoles, c’est en fait David Kimelfeld qui l’a lancé ?
Jérémy Camus : Ce qui a été fait sous le précédent mandat, c’est la mise en place d’une stratégie territoriale avec un diagnostic au niveau de la Métropole mais aussi au-delà, dans un rayon d’une cinquantaine de kilomètres. Et c’est un écologiste, Bruno Charles, vice-président au Développement Durable, qui en avait la charge. Cette démarche exemplaire a été très utile pour arriver au Plan alimentaire territorial lyonnais, le PATLY, qui sera présenté par la nouvelle majorité le 15 avril prochain. On espère qu’il sera labellisé par le gouvernement d’ici juin prochain.
Quels enseignements avez-vous retirés de ces premières études ?
4,6 % de ce qui est consommé par les habitants du Grand Lyon est produit localement, le reste est importé d’autres territoires. Et en parallèle, seul 5 % de ce qui est produit localement est consommé par les habitants du Grand Lyon. On est donc très loin de l’autonomie alimentaire. Ce qui était aussi inquiétant, c’est que 30 % des personnes interrogées déclaraient ne pas avoir les moyens de se nourrir correctement et 15 % ne pas manger à leur faim. Une des priorités de ma feuille de route pour ce mandat, c’est la justice alimentaire : rendre accessible une alimentation saine au plus grand nombre.
Comment comptez-vous renverser cette tendance ?
On poursuit dans la continuité de ce qui avait été lancé mais on passe désormais à une phase opérationnelle. On a multiplié par quatre le budget consacré à ce sujet en passant de 2,5 millions d’euros à 10 millions d’euros. On veut intervenir de la fourche à la fourchette avec des aides à l’investissement aux exploitants agricoles mais aussi aux filières de transformation, à la logistique…
Concrètement, qu’allez-vous faire pour favoriser la production agricole locale ?
On va transformer une partie des surfaces de la Métropole en surfaces agricoles pour augmenter la production locale. Notre principal outil, ce sont les périmètres d’espaces naturels et agricoles protégés, les PENAP, qui sanctuarisent le foncier agricole. 10 000 ha du Grand Lyon sont déjà classés en PENAP. Exemple : une grande partie des Monts d’Or. Ils ne seront donc jamais exploitables autrement qu’en agriculture. Ce n’est pas comme le zonage d’un PLU qui classe les parcelles en constructibles ou non constructibles, mais qui peut évoluer d’une mandature à l’autre selon les orientations politiques. C’est beaucoup plus contraignant.
De l’extérieur, le Grand Lyon n’a pourtant pas une image de territoire agricole ?
Pourtant, sur les 54 000 ha de la Métropole, 24 000 ha sont des espaces naturels, soit 40 %, et 12 000 ha des espaces agricoles, ce qui représente quand même 22 %. Il s’agit des Monts d’Or avec 3 000 ha de surfaces agricoles à lui seul, les Terres du Velin, soit 300 ha près du parc de Miribel-Jonage à Vaulx-en-Velin, ou encore les Grandes Terres vers Feyzin, sans oublier les cultures céréalières de l’Est lyonnais.
Qui va bénéficier de ces 10 millions d’euros ?
On a lancé un appel à projet de 500 000 euros dans le cadre des PENAP, qui sera renouvelé chaque année. C’est donc 2,5 millions d’euros de subventions directes aux agriculteurs avec la prise en charge de 20 à 60 % de leurs investissements.
Un exemple d’opération déjà lancée ?
La ferme de la Morelle à Curis-au-Mont-d’Or. Sur ce territoire, le prix élevé de l’immobilier permet difficilement aux agriculteurs de se loger vers les terrains où ils produisent. Le syndicat mixte des Monts d’Or a racheté cette ferme pour la rénover et installer trois familles d’agriculteurs sur place en leur louant ces appartements à des tarifs abordables pour eux. C’est un prototype très intéressant. Je travaille avec les bailleurs sociaux de la Métropole pour voir comment ils pourraient eux-mêmes s’impliquer dans ce type de projets.
Et pour le bio ? C’est là que tout le monde attend les écologistes !
On va aussi lancer un Plan Bio sur ce mandat pour aider à l’installation ou à la conversion en bio. Il faut également davantage de légumeries, de casseries* et de conserveries sur le territoire du Grand Lyon. En effet, si les agriculteurs de la Métropole exportent 95 % de leur production sous forme brute, c’est parce qu’on manque de ces outils de transformation sur le territoire pour la consommer localement. Il y a même une partie de cette production métropolitaine qui part sous forme brute et revient après avoir été transformée.
Pourquoi avez-vous parlé de logistique ?
Parce qu’on veut accompagner les agriculteurs du Grand Lyon dans leur livraison du dernier kilomètre. L’idée est d’éviter qu’ils perdent de la valeur ajoutée en se dispersant dans la livraison point par point de leur client. La construction d’un hôtel de logistique urbaine au Port Edouard Herriot ** va se révéler très utile à ce sujet. J’ai un budget pour que l’agriculture métropolitaine ait sa place dans ce HLU et je travaille le sujet avec Fabien Bagnon et Jean-Charles Kohlhaas.
Le Grand Lyon va lancer un service de livraison ?
Non, ce que je dis souvent, c’est qu’il ne faut pas réinventer la roue. Si des acteurs se sont déjà lancés sur ces créneaux de la logistique pour les circuits courts, il faut les aider à changer d’échelle. Je pense à Maréchal Fraîcheur, un exploitant 100 % bio de Rillieux-la-Pape qui avait initié un service de livraison à domicile et qui l’a développé pendant le confinement. Une famille formidable !
Est-ce vraiment le rôle d’une collectivité locale de se mêler d’agriculture ?
Personne n’est choqué quand le Grand Lyon accompagne des incubateurs de start-up. Nous voulons avoir le même rôle auprès des nouveaux agriculteurs en finançant des espaces-test où ils pourront vérifier la validité de leurs projets pendant trois ans. C’est très utile pour favoriser les vocations. Aujourd’hui, si on veut se lancer dans cette activité sans avoir ni famille dans le métier, ni terrain à disposition, c’est très difficile.
Ces espaces-test agricoles n’existent pas du tout dans le Grand Lyon ?
Non. Mais on va mailler le territoire de la Métropole d’espaces-test agricoles en maraîchage, en élevage, en céréales… Selon la typologie du territoire. On sera par exemple davantage sur de l’élevage dans les Monts d’Or, du maraîchage au Velin, des céréales au sud de Lyon…
Comment sont sélectionnés ces nouveaux agriculteurs ?
Par un comité de sélection, comme pour les incubateurs.
Mettre des terres à disposition de jeunes agriculteurs, c’est suffisant ?
Non, mais on ne va pas les laisser seuls. On compte bien les accompagner pendant trois ans sur leurs pratiques culturales comme sur leurs modèles économiques. C’est donc à la fois du foncier, de l’ingénierie, de l’investissement… Certains ont même l’appétence pour ces métiers agricoles sans avoir une formation initiale suffisante. On interviendra aussi à ce niveau. On souhaite aussi aller plutôt sur un modèle coopératif pour changer du paradigme qui veut que l’agriculteur soit forcément seul sur son exploitation à porter tous les risques en termes d’endettement par exemple. L’un des projets, c’est de développer des Coopératives d’activités et d’emplois, des CAE, un statut qu’on connaît bien dans l’économie sociale et solidaire pour des activités tertiaires. On travaille par exemple avec la structure GRAP qui gère différents points de vente et qui a monté CoopAgri. Travailler en CAE peut permettre aux agriculteurs d’avoir accès à un statut plus protecteur que l’auto-entrepreneuriat pour exercer leur métier
Comptez-vous aussi ramener des agriculteurs qui produisent pour l’extérieur de la Métropole vers une production consommée localement ?
Oui, l’agence d’urbanisme du Grand Lyon a réalisé très récemment une étude complète sur la typologie des agriculteurs métropolitains. Le constat, c’est que certaines exploitations céréalières sont actuellement en difficulté. On leur a proposé de se réorienter sur des productions légumineuses, en l’occurrence des lentilles, tout en leur offrant un débouché. Ils l’ont testé dans le cadre de l’alternance des cultures en assolement. À l’est de Lyon, 10 tonnes de lentilles ont déjà été produites dans ce cadre et l’objectif est de passer à 20 tonnes. L’association des Robins de Champs a aussi décidé de nous accompagner dans ce type de projet qui démontre que les circuits courts peuvent être une solution pour des cultures traditionnelles en difficulté.
La commande publique c’est un de vos leviers pour accompagner cette transformation ?
Oui. On livre par exemple 24 000 repas dans les collèges, une compétence du Conseil Général reprise par la Métropole à sa création. L’un des enjeux, c’est de les approvisionner. Lyon peut rejoindre la démarche avec ces 30 000 repas.
D’autres actions précises ? L’opposition vous reproche de lister des millions d’euros par grandes thématiques dans votre programmation pluriannuelle d’investissement, mais sans préciser de projets…
C’est un reproche infondé. Exemple : on veut faire émerger de véritables fermes urbaines avec des cultures en pleine terre. Des espaces non exploités sont disponibles en ville, par exemple à la résidence du 8e Cèdre de Grand Lyon Habitat, dans le quartier des États-Unis. Une parcelle de terre est déjà exploitée par un maraîcher avec une vocation sociale. Je souhaite ajouter à ce projet, une serre semencière, un espace de vente et une maison de l’alimentation pour reconnecter la population avec le goût. On aurait ainsi une filière intégrée en pleine ville, des semences jusqu’à l’assiette. C’est cela travailler sur l’accessibilité alimentaire à des produits sains. Je me donne pour objectif d’inaugurer ce prototype de ferme urbaine d’ici fin juin. Ces investissements sont intégrés à la PPI, la programmation pluriannuelle d’investissement. Mais on va aussi recruter des collaborateurs pour étoffer le service en charge de l’agriculture où il n’y avait pour l’instant que deux personnes.
Cela fait partie des recrutements que critique l’opposition ?
Oui. L’opposition oublie de préciser qu’on lance de nouvelles politiques qui nécessitent donc de nouvelles compétences pour les accompagner. Si on quadruple le budget d’investissement pour l’agriculture, c’est normal que ce service s’étoffe aussi.
Du coup, comment on peut arriver à voir des agriculteurs manifester devant l’Hôtel de Ville pour reprocher aux écologistes de mettre en danger leur activité si vous affirmez vouloir au contraire les aider ! ?
Mes relations avec la Chambre d’agriculture sont restées totalement apaisées ! Y compris pendant cette crise. Au départ, il s’agit d’une action syndicale, qui est légitime, doublée visiblement d’une manipulation politicienne. Au printemps dernier, Gérard Collomb avait pris la même décision de menu sans viande et personne n’avait protesté.
Ce qui a choqué, c’est que l’opposition de certains écologistes à la viande est connue alors que la mesure de Gérard Collomb était apparue sans arrière-pensée…
Ramener davantage de végétal dans l’assiette des enfants, ce n’est pas négliger la viande. Mais on souhaite leur offrir une viande de qualité. Dans les Monts d’Or, c’est bien de l’élevage de bovins qu’on accompagne. Est-ce que cela correspond à l’image d’Epinal de l’écolo ? Il faut rassurer les agriculteurs, on veut évaluer les quantités nécessaires de viande à l’alimentation des jeunes lyonnais et on veut favoriser sa production locale. Gautier Chapuis, mon collègue de la Ville de Lyon en charge de ces sujets, a reçu ces agriculteurs et des groupes de travail vont se mettre en place.
Certains agriculteurs sont encore des anti-écolo primaires ?
Non, mais il y a encore des clichés. La première fois que je vois certains interlocuteurs, je sens bien qu’ils s’attendaient peut-être à me voir débarquer avec un poncho ou je ne sais quoi. Mais quand on discute, ils réalisent qu’on a des objectifs clairs et qu’on fonctionne en toute transparence.
Reconnaissez quand même qu’il y a eu, au départ, une maladresse dans la communication des écologistes ! La mairie de Lyon aurait pu directement assumer sa volonté de réduire à terme la quantité de viande dans les cantines plutôt que de passer par une étape justifiée par le Covid-19…
Non, je n’ai pas vu d’erreur de communication. En tout cas le débat de la viande dans les assiettes a été posé. C’est le mérite de cette polémique. Et les réactions dans la semaine qui a suivi, ont montré que la société n’était pas aussi clivée que certains voulaient bien le dire entre les écolos d’un côté et les défenseurs de la viande de l’autre côté ! Non seulement les spécialistes de la santé recommandent une alimentation moins carnée sans pourtant être déséquilibrée mais on sent bien une attente sociétale sur ce point.
Toute action en matière d’agriculture, en particulier les conversions au bio, exige plusieurs années. Que comptez-vous réussir d’ici la fin du mandat, soit seulement six ans ?
C’est important de souligner qu’on ne compte pas agir seuls. L’agriculture est une petite compétence du Grand Lyon même si on a quadruplé le budget. Il faut voir ce que compte faire le Département, la Région, l’État et l’Europe car la question, c’est aussi les relations entre la Métropole et ses territoires voisins. D’ailleurs, notre démarche de plan alimentaire territorial a inspiré des communautés de communes proches qui vont à leur tour lancer leur PAT. On ne va révolutionner le monde agricole avec 10 millions d’euros mais il y a un enjeu d’exemplarité sur ce que peuvent faire les écologistes en matière d’alimentation et d’agriculture pour montrer que c’est efficace, en allant vers des axes inexplorés au niveau des Métropoles et entraîner des actions positives. J’espère bien obtenir une clause de revoyure à mi-mandat pour un premier bilan et décrocher de nouveaux moyens pour l’agriculture métropolitaine.

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